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Le FN et la paranoïa identitaire

Devant la mosquée de Reims, le 27 novembre 2015. François Nascimbeni/AFP

Le FN, un parti anti-islam

Depuis 2003-2004, on assiste au développement d’une ambiance populiste dans laquelle le FN progresse parce qu’il a changé de stratégie. De parti d’extrême droite stricto sensu, il est devenu un parti national socialiste. C’est-à-dire un parti qui n’est plus fondé sur un programme spécifique, mais sur l’angoisse de l’encerclement et de la guerre identitaire. Un parti que ne vise plus seulement un public de droite ou de gauche. À partir de cette période, en effet, le FN va intégrer la défense de la laïcité dans son discours alors que, jusque-là pour Jean Marie Le Pen, la laïcité était une forme de « complot judéo-maçonnique ». Progressivement, la laïcité devient pour le FN la « laïcité patrimonialisée » : un patrimoine français à défendre. Le but étant de protéger l’identité nationale sans programme réel. C’est de cette façon que le FN va élargir sa base électorale.

Parmi les focalisations du FN visant à justifier sa nouvelle logique de défense identitaire, il faut aussi mentionner la lutte contre la globalisation, contre l’Europe et contre l’euro. Et l’immigration. À partir de 2004-2005, s’est opéré un glissement : l’un des vecteurs centraux de son discours devient l’islam et l’islamisation. Auparavant, le FN était anti-immigration, anti-sioniste mais pas spécifiquement anti-islam. À partir de cette date, aux yeux du FN, le voile, le port de la barbe, etc. font partie de ces prétendues attaques contre notre identité qui serait en péril. On est là au cœur de la nouvelle rhétorique du FN.

C’est dans ce contexte que ce parti a tiré ponctuellement partie des attentats du 13 novembre en se présentant comme le seul mouvement qui aurait compris, depuis le début, que l’islam, c’était la guerre. Et la preuve ultime, selon lui, ce sont bien ces actes terroristes à Paris.

Islamophobie à la mode européenne

On est là à la limite de la psychiatrie, en tout cas dans une sorte de pathologie psychique collective qui résulte de cette angoisse de l’encerclement identitaire et qui est quelque chose de spécifiquement européen. L’islamophobie en Europe, en effet, n’a pas la même nature que l’islamophobie aux États-Unis. Aux États-Unis, elle est présente dans certains milieux, protestants, fondamentalistes. En Europe, il s’agit d’une ambiance générale qui dépasse très largement les milieux d’extrême droite ou catholiques ultra-conservateurs.

Tous les sondages aujourd’hui ne montrent pas forcément un rejet de l’islam, mais ils traduisent l’idée selon laquelle les musulmans seraient plus forts que nous. Au sens clinique du terme, nous ne sommes pas vraiment dans la phobie, mais dans quelque chose qui relève plus de la paranoïa. Si on est arachnophobe et qu’on voit une araignée, on demande à quelqu’un de nous en débarrasser et c’est terminé. Dans un état de paranoïa, on pense que l’araignée n’est pas là par hasard, qu’elle est là pour nous, qu’elle nous observe. Et s’il n’y pas d’araignée, c’est encore pire : on pense qu’elle se cache. Or nous sommes précisément dans ce type d’ambiance paranoïaque liée à un complexe d’encerclement et à un sentiment de déclin que l’on observe dans les discours publics où tout se mêle : le capitalisme, la globalisation, l’Europe, l’islamisation…

D’une certaine manière, « l’avantage » du musulman, si l’on peut dire, c’est qu’on lui prête une intentionnalité : il voudrait prendre notre place. Cette idée du grand remplacement a été développée par des extrémistes comme l’écrivain Renaud Camus. Un exemple très parlant : celui des discussions autour de l’interdiction du foulard dans les universités. Certains demandent l’interdiction du voile à l’école en la justifiant par le fait que ce sont des mineurs et qu’on leur a peut-être imposé le foulard. Mais à l’université, on est en présence d’adultes. Par ailleurs, il s’agit d’un simple foulard, et il n’y a jamais eu aucun problème dans les cours.

Pourtant, on discute aussi de la possibilité d’interdire une épicerie halal, comme l’a fait par le passé Manuel Valls. On voit bien que, progressivement, on est entré dans une ambiance paranoïde et l’on part d’un postulat : l’intentionnalité maligne de l’autre. Fort de ce présupposé, on va mettre en place de nouvelles lois et de plus en plus d’individus vont être dans une posture d’autodéfense, au-delà même de l’islamophobie. Comme si le citoyen européen était attaqué par rapport à son identité. C’est évidemment dangereux car plus que le simple rejet, cela appelle une logique de guerre.

Néo-fondamentalisme et djihadisme

Pour sortir de l’ambiance actuelle, il existe une voie : celle de la connaissance. On ne peut pas rester dans une stratégie de méconnaissance. Il faut obliger les politiques à faire preuve de plus de responsabilité face à la situation. Par exemple, on doit répéter que les attentats du 13 novembre ne sont ni un produit de l’islamisation ni une attaque des musulmans ou de l’islam. Il ne s’agit certes pas de dédouaner l’islam idéologique : dans les années 80-90, sur un plan sociologique, Al Qaïda recrutait parmi des gens qui étaient passés par une formation théologique de fond. Et de ce point de vue, cela avait bien à voir avec un courant minoritaire et extrémiste au sein de l’islam.

Mais, aujourd’hui, la situation est complètement différente. On a, d’un côté, un mouvement qui s’apparente à une sorte de néo-fondamentalisme, un peu comparable à ce que l’on trouve chez les Amish aux États-Unis : entièrement axé sur les mœurs, avec des gens qui veulent vivre comme à l’époque du Prophète, qui portent la barbe et s’habillent avec une tunique qui ressemble à celle des bédouins du VIe siècle. C’est un nouveau type de fondamentalisme qui est visé par l’État français alors qu’il est complètement dépolitisé. Ce mouvement-là est même discrédité massivement sur les sites en français et en anglais de Daech. Car les fondamentalistes opèrent sur le même terrain que Daech auprès des jeunes un peu fragiles, mais ils les détournent de la lutte armée.

De l’autre côté, on est en présence de gens issus d’un milieu complètement dérégulé, qui sont dans un désir d’être des caïds, passés par la drogue et par la petite délinquance. En général, ils sont d’origine maghrébine et peuvent ne pas être pratiquants. Aucun d’entre eux n’a eu une formation idéologique poussée. Ils sont même généralement analphabètes. Et ils ont d’un seul coup décidé d’être djihadistes, sans doute inspirés par cette mise en scène qui fait de l’islam une sorte de ferment antisocial. Dans les années 60 ou 70, ils auraient préféré être punks, skinheads ou terroristes d’extrême gauche.

Ces individus entrent dans la logique djihadiste sans passer par la case de l’endoctrinement. Mais une fois qu’ils sont dedans, ils ont besoin de prendre une posture de fondamentaliste. Ils vont se mettre à fréquenter les mosquées, mais moins que d’autres. Car ils ont autre chose à faire, préparer des actions, rencontrer des gens via Internet.

Malheureusement, on continue à considérer un voile ou un simple foulard comme le passage possible vers le terrorisme. Or cela n’a rien à voir. Et le gouvernement approfondit cette mise en scène de guerre identitaire et culturelle et fait ainsi le jeu de Daech sur le terrain national. Ainsi il permet éventuellement des glissements qui auraient pu être évités. Nous avons besoin d’un vrai débat national sur les causes de la situation actuelle, sur le djihadisme, sur l’islam et sur le fondamentalisme.

Raphaël Liogier a publié « Le Complexe de Suez, le vrai déclin français (et du continent européen) », éditions Le Bord de l’eau.

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