Savez-vous ce qu’est le Fomo ? Acronyme de « Fear of Missing Out », l’expression désigne la « peur de passer à côté de quelque chose », une « anxiété de ratage » qui se manifeste par la peur constante de manquer un événement, une information ou une tendance. Cette phobie sociale a été décrite pour la première fois en 2004 par Patrick Ginnis, alors étudiant à la Harvard Business School, qui s’étonnait du rythme infernal que s’imposent ses camarades d’école pour rester toujours à la page et enchaîner de nombreuses activités scolaires et extrascolaires en une même journée. Plus de vingt ans plus tard, ce phénomène ne cesse de s’amplifier, alimenté par l’utilisation croissante d’Internet et, en particulier, par la surcharge informationnelle induite par les réseaux sociaux.
Ceux-ci font partie intégrante de la vie de plus de 5,04 milliards d’individus dans le monde en 2024, avec des temps de connexion qui ne cessent de s’allonger. En France, 78,2 % des Français possèdent un compte sur l’une ou l’autre de ces plates-formes, avec un temps de connexion moyen de 1h48, selon une enquête de médiamétrie 2024. Cette moyenne passe à 3 heures par jour sur les réseaux sociaux chez les 15-24 ans. Les cas de connexion quasi continue sur TikTok ou Instagram sont par ailleurs de plus en plus signalés.
Ces chiffres s’expliquent-ils par la peur de manquer quelque chose ? Particulièrement chez les plus jeunes, le Fomo peut être lié à des troubles anxieux et à des états dépressifs. Il a également été associé à des comportements addictifs renforcés notamment par le phénomène de nomophobie, contraction entre « no mobile phone » (pas de téléphone mobile) et « phobia » (peur), le téléphone étant le principal outil permettant de rester connecté.
Pour les chercheurs en psychiatrie, le Fomo requerrait davantage d’attention, même s’il n’est pas pour le moment répertorié par le DSM-V, un ouvrage diagnostique et statistique des troubles mentaux, édité par l’Association américaine de psychiatrie et qui fait référence. Certains s’interrogent notamment sur le fait qu’il fasse partie intégrante des stratégies de communication modernes où la captation de l’attention des consommateurs représente une compétence distinctive indéniable.
Une source d’engagement ?
Il apparaît bien que les praticiens du marketing des réseaux sociaux entendent instrumentaliser le Fomo pour cultiver l’engagement des utilisateurs, leur attachement et fidélité à la marque et, in fine, promouvoir l’intention d’achat. Parmi les techniques utilisées, on retrouve les offres à durée limitée, l’activité de vente en temps réel, l’affichage de stocks faibles, l’utilisation de comptes à rebours, les témoignages et avis en temps réel, les événements et expériences uniques et tout ce qui permet d’accentuer la perception de rareté, d’exclusivité ou d’urgence chez l’utilisateur.
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La recherche, en revanche, examine les effets de ces pratiques et certains travaux ont démontré qu’elles ne sont pas toujours efficaces. Dans un travail publié dans la revue Recherche et Applications en Marketing, nous avons mené deux études. Une première enquête en ligne auprès de 550 followers de marques sur le réseau social Instagram nous a permis de tester l’effet du caractère éphémère des contenus de marques sur l’engagement mais aussi sur une forme de fatigue envers la marque. Elle a été suivie d’une étude expérimentale où 535 participants ont été au hasard assignés à la consultation d’un scénario décrivant une marque qui publie régulièrement ou presque jamais de contenus éphémères. Dans chaque cas, pareillement, le degré d’engagement des participants d’un côté et leur fatigue de l’autre ont été mesurés.
Ni éthique ni efficace ?
Nos résultats démontrent que le Fomo s’avère être une épée à double tranchant. D’une part, il augmente certes l’engagement des followers envers le compte de la marque et un engagement plus élevé conduit à une attitude plus positive envers la marque. Cela ferait du Fomo un déterminant positif de l’engagement envers la marque.
Néanmoins, il se confirme que le Fomo est d’autre part corrélé positivement avec une forme de fatigue envers le compte de la marque. Ce deuxième effet résonne avec des recherches antérieures qui ont associé le Fomo à la « fatigue liée aux médias sociaux », à une forme de lassitude et à un manque d’intérêt, voire de méfiance envers les contenus diffusés.
Indépendamment de la dimension éthique de pratiques qui semblent instrumentaliser un biais psychologique à des fins commerciales, jouer sur le Fomo pour vendre ne semble ainsi pas spécialement efficace. Cela risque de détourner le consommateur d’une relation avec des contenus et des produits qu’il perçoit comme infantilisante, voire même trompeuse ou malsaine.