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Le Front national, un Front anti-régional

Le FN, parti profondément national aux régionales. Philippe Huguen/ AFP

La campagne que mène le Front national en vue des élections régionales devrait surprendre plus d’un électeur tenté par le vote frontiste, tant elle est en décalage avec les fondamentaux du Parti dirigé par Marine Le Pen.

A comparer les discours que tiennent, notamment, cette dernière, candidate à la présidence de la Région Nord-Pas-de-Calais-Picardie (NPCP) et Marion Maréchal-Le Pen, candidate en Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) avec le programme politique du FN tel qu’il a été développé durant les années précédentes, deux conclusions, exclusives l’une de l’autre, s’imposent en effet.

Soit le FN ne respecte pas ce qui fait son identité idéologique, et l’accusation qu’il adresse régulièrement aux autres partis de faire œuvre de clientélisme et d’opportunité électorale peut lui être retournée.

Soit le FN, malgré les discours tenus actuellement par ses candidats aux régionales, s’inscrit dans sa ligne idéologique traditionnelle, et la politique qui serait menée s’il l’emportait en NPCP et/ou en PACA serait profondément anti-régionale.

Un Front opposé à la décentralisation et à la démocratie locale

Le Front « National », comme son nom l’indique expressément, est en effet un parti dont tous les programmes témoignent, jusqu’à présent, d’un profond rejet de la décentralisation et de la démocratie locale, ainsi que des identités régionales.

La décentralisation permet, entre autres avantages, d’éviter une administration trop centralisée, et parisienne, de la France : elle consiste à confier à des collectivités territoriales – communes, départements et régions – un certain nombre de compétences locales, mises en œuvre par des élus dont les décisions sont ainsi adaptées aux particularités de la collectivité concernée.

On comprend aisément que la gestion des transports, des collèges et lycées, des aides sociales ou encore des services de secours soit plus efficace et légitime si elle s’exerce sous le contrôle démocratique de la population communale, départementale ou régionale directement concernée que par l’État lui-même.

Mise en place au début des années 1980, la décentralisation fait aujourd’hui, et depuis les années 2000, partie des caractéristiques constitutionnelles de l’État français, au même titre que son caractère démocratique, laïc et social (article 1er de la Constitution de 1958).

Constitutionnalisée à une très vaste majorité par les représentants du peuple souverain réunis en Congrès, la décentralisation est pourtant très vivement critiquée par le FN – alors même que celui-ci présente des candidats à la présidence des Régions, collectivités dotées des pouvoirs les plus importants, et qualifiées de « baronnies totalement irresponsables » par Mme Le Pen.

Programme officiel

Dans le programme officiel de ce parti, tel qu’il est disponible sur son site Internet, la décentralisation est plus largement accusée de favoriser « un creusement des inégalités entre les territoires et les Français, une complexité accrue de la décision publique, une corruption aggravée, et la reconstitution de féodalités locales dépensières au détriment d’un État stratège ».

Partisan d’un « État fort » qui « unifie la Nation », le FN propose ainsi de renforcer considérablement l’autorité des préfets – représentants des intérêts de l’État à l’échelon local – sur les collectivités, par un contrôle systématique des actes adoptés, et d’abaisser de 2 % les dotations de l’État à celles-ci, afin d’éviter le développement des « baronnies » et des « féodalités ».

Au contrôle qu’exercent aujourd’hui les élus sur les finances locales – contrôle encore renforcé par les dispositions de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République adoptée récemment – le FN préfère ainsi le contrôle assuré par une autorité non élue, nommée « depuis Paris » par le pouvoir exécutif étatique.

Rien d’étonnant cependant, en dépit de la dénonciation pourtant régulière par le FN des « élites parisiennes » : « une démocratie forte et véritable ne s’exerce qu’au niveau de la Nation souveraine », selon Bertrand Dutheil de la Rochère, conseiller « République-laïcité » de Marine Le Pen en 2012, qui ajoute que les citoyens pourront « plus facilement donner leur avis » si les collectivités sont plus directement administrées par les représentants du pouvoir central.

Qui s’est déjà rendu dans des préfectures sait en effet combien ce sont des lieux de débat et d’échange particulièrement propice aux échanges d’idées…

Un Front opposé aux identités régionales

Ce n’est pas tout : si l’on sait avec quelle vigueur le FN dénonce les cultures étrangères et leurs représentants pour constituer autant de « menaces » à l’identité et à l’unité nationales, on sait souvent moins que c’est avec la même vigueur que le FN dénonce les cultures régionales.

Vous parlez picard, provençal, alsacien ou breton ? Sachez que la reconnaissance de cette tradition, qui est aussi un savoir, est un « attentat » contre « l’unité de la France et l’indivisibilité de la République », selon les termes de Florian Philippot dans un communiqué publié en juin dernier, puisque cette reconnaissance risque, selon le même, de « balkaniser la France ».

Ainsi, le FN s’oppose-t-il avec une application toute particulière à la ratification par la France – procédure qui, soit dit en passant, témoigne de la souveraineté de l’État, qui ne peut être lié par ce texte que si le peuple l’accepte expressément – de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires qui offrirait pourtant aux locuteurs de ces langues les moyens juridiques et institutionnels d’assurer la survie de ce patrimoine, dont on sait qu’il tend à disparaître peu à peu.

Cette charte permettrait, par exemple, aux parents qui le souhaitent de faire bénéficier leurs enfants de l’enseignement public de cette langue, ou assurerait la possibilité de publier dans ces langues certains textes juridiques. Permettre la transmission d’une langue et en assurer la visibilité à l’échelon local : à chacun sa définition de l’attentat…

Que la décentralisation ait des inconvénients est un fait, qui ne doit cependant pas masquer ses avantages, notamment s’il s’agit de soumettre les élus locaux à des autorités non élues nommées par le pouvoir central, et dont l’un des rôles serait de nier les éléments constitutifs des identités et cultures locales.

Le FN a-t-il cependant renoncé à ces deux propositions, et reconnu les bienfaits de la régionalisation et de la démocratie locale, comme la plupart des discours que tiennent actuellement ses représentants le laissent entendre ?

Si tel est le cas, force est de constater que l’accusation de clientélisme et d’opportunisme électoral peut lui être aisément retournée, tant le changement est soudain et brutal – et paraît en contradiction avec le nom même du parti.

Si tel n’est pas le cas, Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen auront toute latitude de le prouver, en prenant, si elles étaient élues, leurs instructions auprès des préfets, afin de ne surtout pas compromettre l’unité nationale par une prise en compte trop attentive des besoins de la population des régions qu’elles dirigeront…

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