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Le gouvernement Sanchez et la Catalogne : une fenêtre de négociation entrebâillée

Le nouveau premier ministre espagnol, à Madrid, le 14 juin 2018. Javier Soriano/AFP

Mariano Rajoy a été renversé par une motion de censure portée par Pedro Sanchez et votée par une coalition hétéroclite regroupant le PSOE, Podemos, et les partis nationalistes catalans et basques. Le gouvernement constitué par le leader socialiste a suscité plus d’éloges que ses prédécesseurs. L’inconvénient est son faible soutien au Cortes (84 députés du PSOE) pour lutter contre l’opposition du Parti populaire et de Ciudadanos, voire des autres formations qui ont contribué à la chute de Rajoy.

La Catalogne, principal dossier du gouvernement

Ce gouvernement majoritairement féminin, libéral est « espagnoliste » avec la nomination du catalan Josep Borell comme ministre des Affaires étrangères et du juge Grande-Marlaska à l’Intérieur.

Ces nominations ont été vertement critiquées par les indépendantistes, notamment celle du flamboyant Borell, nouveau ministre des Affaires étrangères, de l’UE et de la Coopération. Anti-indépendantiste, il est connu pour ses excès de langage : en octobre dernier, il déclarait ainsi qu’il fallait « désinfecter la Catalogne » et, plus récemment, que « la Catalogne est au bord de la guerre civile ».

Dans une conférence de presse, E. Arditi, porte-parole et « Consellera » de la présidence de la Generalitat, a considéré « surprenant et loin de la réalité » la déclaration de Borell. Si une des missions du ministre des Affaires étrangères consiste à contrer, au niveau international, le récit indépendantiste, il sera contraint à l’avenir de nuancer ces propos. D’autant que Pedro Sanchez souhaite abaisser la tension dans les relations avec la Catalogne.

La Catalogne est le principal dossier du nouveau gouvernement. Il lui a consacré son premier Conseil des ministres lequel a adopté la suppression de la supervision financière des comptes de la Generalitat. En fait, il s’agit de passer d’un contrôle a priori des dépenses à un contrôle a posteriori. Par ailleurs, Sanchez doit recevoir le président de la Generalitat, ce qu’avait refusé de faire Rajoy.

Avec l’arrivée de Pedro Sanchez à la Moncloa s’ouvre une fenêtre d’opportunité pour normaliser les relations avec la Catalogne, mais en réalité les options des uns et des autres sont limitées.

Les positions antérieures de Sanchez et des indépendantistes évolueront à la marge

Le PSOE a soutenu sans faille la mise en œuvre de l’article 155 de la Constitution qui a permis à Rajoy de mettre sous tutelle la Catalogne. Celle-ci a été levée juste avant le vote de la motion de censure. Pedro Sanchez souhaite engager un dialogue avec les indépendantistes, mais dans le cadre strict de la légalité et de la Constitution espagnoles.

La ministre des Affaires territoriales, la Catalane Meritxell Batet, a déclaré que la réforme de la Constitution était « urgente, viable et souhaitable ». Si la révision de la Carta Magna est souhaitable, elle n’est pas viable à court terme sans l’accord du Parti populaire qui dispose de la majorité absolue au Sénat. En fait, Meritxell Batet a insisté sur une position officielle du PSOE.

De façon symétrique, le président de la Generalitat, le sulfureux Quim Torra, nationaliste radical et suprémaciste, a rappelé de son côté que le point de départ de toute négociation était le référendum du 1er octobre et la déclaration d’indépendance unilatérale du 27 octobre dernier. Mais quelle est son autorité réelle dans le camp indépendantiste et a-t-il la capacité de s’autonomiser de Carlos Puigdemont, qu’il considère toujours comme le président légitime de la Generalitat ? Les indépendantistes continueront-ils de « jouer au poker et de bluffer » comme l’a déclaré Clara Ponsati, l’ancienne « Consellera » de l’Enseignement, en exil en Écosse, à propos du précédent gouvernement de la Generalitat ?

Au-delà des postures, les positions des uns et des autres peuvent-elles vraiment évoluer ?

La normalisation est possible

La normalisation est possible pour plusieurs raisons.

Quim Torra, en renonçant à nommer des ministres emprisonnés, s’est incliné face à la force de la légalité et du pouvoir de l’État espagnol. À court terme, il peut être enclin à respecter ce cadre, d’autant que la supervision des dépenses de la Generalitat a été levée par Pedro Sanchez.

Celui-ci a, de son côté, besoin d’abaisser la tension et de négocier un geste mutuel et des sujets concrets afin d’orienter le sens de la crise catalane avant les prochaines élections. Il s’agit de réduire le camp des indépendantistes partisans de la voie unilatérale.

Près de 36 % des électeurs indépendantistes souhaitent un accord négocié avec le gouvernement central et 20 % l’abandon du procés.

Mais ce que les électeurs déclarent dans les enquêtes, la plupart des dirigeants sécessionnistes ne sont pas encore prêts de l’affirmer en public.

Plus de politique, moins de poker

La négociation ne se peut tenir que dans le cadre constitutionnel – ce qui écarte d’emblée la question du référendum d’autodétermination. Mais les sujets ne manquent pas, comme les douze lois catalanes suspendues par le Tribunal constitutionnel et les vingt-trois revendications économiques et sociales de Artur Mas soumises à Rajoy et devenues quarante-six avec Puigdemont en 2016.

Si l’on écarte le référendum, les quarante-cinq revendications concernent quatre catégories de politiques publiques : la garantie des droits sociaux, les politiques sociale et fiscale, les conflits de compétences avec l’État espagnol et la fin de la juridisation de la vie politique catalane.

À l’époque, ce point concernait les poursuites contre les organisateurs de la consultation sur l’indépendance de la Catalogne en 2014 (9-N), notamment Artur Mas condamné le 13 mars 2017 à deux ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique élective et à une amende de 36 500 euros. Aujourd’hui, il porte sur le sort des indépendantistes emprisonnés ou en fuite.

Dans ce domaine, les marges de manœuvre de Pedro Sanchez sont limitées par le principe de séparation des pouvoirs. Mais la ministre de la Justice peut agir auprès de son administration pénitentiaire et du parquet général de l’État afin que les prévenus soient détenus en Catalogne.

Les sujets de dialogue ne manquent pas, donc. Mais Pedro Sanchez aura-t-il les coudées franches pour agir à temps alors qu’il n’a pas de majorité parlementaire et qu’il est surveillé par les barons du PSOE ? Quant aux indépendantistes feront-ils plus de politique et moins de poker ?


Christian Hoarau est l’auteur de « La Catalogne dans tous ses états », L’harmattan, 2017.

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