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Hip Hop Management

Le hip-hop doit-il devenir fréquentable ?

« Here » de Christine and the Queens, featuring Booba. Capture d'ecran

Quand le morceau est sorti, je n’ai pas été surpris puisque c’était l’évidence : Booba figurait au générique de l’excellent « Nowhere » de Twinsmatic, tout comme Christine and the Queens ; ces deux-là allaient donc forcément un jour ou l’autre se croiser en mode « featuring ». C’est donc chose faite.

Comme tout le monde, j’ai été cueilli à froid avec cette bonne vieille Mercedes 190 – E ? – qui prend l’eau de partout. J’ai appuyé sur le bouton de lecture et le morceau m’a plu, d’emblée, parce que décidément cette dame a quelque chose de plus. Quant au couplet de Booba je n’ai pas pensé grand-chose, dans un premier temps. Et puis comme d’habitude je m’y suis fait très vite. Restait enfin le clip, avec cette Mercedes qui me rappelait celle des voisins, quand gamins on partait en vacances, du côté de Royan. Parce que j’avais toujours trouvé qu’elle avait de la gueule, la Mercedes des voisins.

Et puis assez vite le buzz délirant a commencé. Parce que dès qu’il est question de Booba, allez savoir pourquoi, mais ça buzz. C’est comme ça. L’atmosphère est donc devenue lourde, très lourde même. Et ça a commencé à tirer dans tous les sens. Et c’est quand est sortie la lettre d’explications de Christine sur son compte Facebook, justifiant le pourquoi du comment de la collaboration, qu’on en a fait des papiers dans Le Parisien, 20 minutes et ailleurs que j’ai compris qu’on avait définitivement touché le fond.

Pas la lettre, bien sûr, très belle. Non, la nécessité de devoir s’expliquer, tant bien que mal sur cette « collaboration ». Et voir ainsi une artiste devoir justifier ses choix artistiques a déclenché comme un soupçon d’hallucination.

J’ai donc préféré réécouter, re-regarder, réécouter encore. Et la conclusion s’est imposée : ils ont quand même sorti un sacré track la « Christine » et l’« B2O ». Et à force d’écouter, surtout un jour de « merci pour ce remaniement » symboliquement absolument déplorable, le tout sur fond de panique boursière et bancaire générale, allez savoir pourquoi mais j’y ai vu comme une sublime image dans cette merco qui prend l’eau ; celle-là même que s’est tant plu à utiliser Barack Obama en période électorale : pas question de refiler les clés à des mecs qui ne savent pas conduire…

Et cette voiture dans la flotte, ça m’a fait aussi penser à autre chose. J’avais entendu quelqu’un d’autre prendre cette image d’une voiture pour parler airbag et essence, mais qui donc ? Je me souviens aussi que je m’étais pincé, que j’avais halluciné de ses propos. Mais de qui pouvait-il donc bien s’agir… ?

Quand j’ai constaté que les valeurs bancaires étaient au cœur de la tourmente boursière, que la Société Générale avait perdu près de 12 % de sa valeur en une journée et plus de 30 % en six mois, ça m’a fait drôle aussi. Et puis j’ai vu cette interview du directeur général de la banque qui explique que « Nous ne sommes pas face à une nouvelle crise bancaire ». Ouch, j’ai pensé…

Comme lui, visiblement.

Ou lui, encore.

Et allez savoir pourquoi, c’est là que la mémoire (de crise) m’est revenue. C’était lors d’une conférence à HEC Paris qu’il avait employé cette métaphore de la bagnole pour parler airbag et essence, et qu’il avait dit espérer que tout le monde était actionnaire de la SG. Parce que 800 euros d’airbag par français, c’est quand même pas mal…

Voilà, je vous laisse écouter. N’en manquez pas une goutte puisqu’il n’est pas à une contradiction de noyade près. Entre ces subprimes et la politique criminelle d’« origination » des crédits dont il parle comme s’il n’avait pas été directeur financier à cette période. De ces banquiers déresponsabilisés à force de titrisation et qui ne vérifiaient pas si les crédits avaient été bien « originés » comme si son organisation ne s’en était pas goinfrée jusqu’à l’overdose. De nos économies dopées à la dette et de cette Europe en construction qui appelle une supervision supranationale mais avec laquelle il faudra faire attention parce que les contrôleurs ils font des perquisitions (sic !). De ces journalistes – demeurés ? – qui ne comprennent rien à rien – les cons ! – et de ces magistrats qui doivent appliquer le droit et qui ne peuvent pas faire autre chose – ah bon, pourquoi faire des procès alors ? – et de ce droit (voir à 57’) qui est au fondement de la démocratie et qui en France est ce qu’il est dans une affaire comme celle (dite) Kerviel… (Wesh, heureusement que de temps en temps il reste des traditions nationales alors !).

Bon, on arrête, parce qu’il y en a pour 1 h 39 de contradictions en tous genres où de temps en temps on parle France et à d’autres d’Europe, de Polytechnique de l’ENA et d’HEC et puis du commun des mortels même si tout le monde ne se prend pas pour Dieu mais un peu quand même…

Et on retiendra surtout ce moment ultime, où après avoir asséné que la police et les magistrats ont conclu à la culpabilité du seul Kerviel, on en arrive à la noyade complète : franchement, à 1 h 25, expliquer comment on a réussi un lobbying de tous les diables pour faire que la finance ne soit plus un sujet politique, comment on est allé voir les députés pour les convaincre qu’on ne traite pas d’adversaire des gens qui vous « tiennent » et comment les députés ont fini par comprendre (bah ouais Morray, faut leur expliquer longtemps ils ont pas tous fait l’X…), franchement c’est juste enorme !

Et le pire, c’est qu’il a l’air d’y croire à ce qu’il raconte, ce qui rend le tout franchement désarmant. Et tout ça, et puis tout le reste qui vaut mieux que toutes les auditions d’enquête parlementaire puisqu’il balance tout « cash » (dixit) : depuis l’inspection des finances, les années au cabinet de Sarko, en passant par les contrôleurs vachement utiles parce qu’il y a parfois de « bonnes raisons » pour qu’ils ne comprennent pas… (1 h 34’).

Voilà.

Dans ces conditions, à la question posée dans le titre, on répond : non ! Surtout, que le hip-hop reste infréquentable, parce que dans les bagnoles les fréquentations calculatoires et mimétiques ne sont pas toujours recommandables… Vaut mieux, donc, rester à la fenêtre ou sur le coffre pour tenir la barre, surtout quand tout prend l’eau !

On termine avec une note (musicale) positive : encore quelques points de baisse du cours de bourse, une petite dose d’amende US par-dessus le marché – qui ne saurait plus trop tarder –, et sur fond de taux d’intérêt bientôt négatifs, on attend la chute.

Puisque parfois, « La mémoire est un animal/Silence mat, réveil brutal » comme chanterait Christine. Ou le mettrait en scène David Lynch. Comme un hymne à la fin de la bagnole hollywoodienne de leur rêve américain.

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