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A Copenhague, le confort est érigé en art de vivre. shutterstock

Le « hygge », un concept danois qui a le vent en poupe

Si vous lisez cet article installé dans un fauteuil capitonné, entouré de meubles aux lignes douces, avec quelques bougies en toile de fond, vous ressentez sans le savoir cette forme particulière de confort et de contentement que l’on nomme hygge.

Le hygge est la dernière exportation danoise en date, qui envahit le design d’intérieur comme les séries télé scandinaves à haute valeur ajoutée.

Mais cette denrée-là tient plutôt du concept. Les conseils pour atteindre ce qu’on peut définir grossièrement comme un sentiment de contentement douillet remplissent désormais magazines de mode et revues lifestyle. Comme c’est souvent le cas en matière d’art de vivre, il s’agit là d’une pratique culturelle ancienne qui a été mise au goût du jour. Le véritable hygge peut survenir n’importe où et dans n’importe quelles conditions : au Danemark ou ailleurs, seul ou avec des amis, dedans ou dehors, avec ou sans bougies, chaussettes tricotées à la main ou meubles élégants.

Après une année particulièrement troublée, peu rassurante, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le hygge l’a emporté sur la méditation de pleine conscience, en tant que « tendance bien-être » du moment. Comme le dit un journaliste dans le Guardian, le hygge est un « baume apaisant pour les traumatismes de 2016 ».

Le hygge rencontre un succès grandissant au moment précis où l’idée que le Danemark est le pays le plus heureux du monde s’installe durablement dans l’imagination collective. L’office du tourisme danois s’est d’ailleurs empressé de profiter de cette réputation positive pour faire la promotion du pays, mettant ce sentiment de bonheur chronique sur le compte de l’état providence, d’un niveau de confiance sociale élevé, et bien sûr du hygge érigé en style de vie.

Cette petite nation d’Europe du nord-est désormais vue comme un pays sûr, familier et attirant ; un pays capable d’attirer notre attention avec un seul mot, étrange et impossible à traduire. Un mot que l’on peut déguiser en philosophie ou en un art de vivre suffisamment complexe pour inspirer plus d’une douzaine de livres à déposer au pied du sapin de Noël.

En plein hygge. Shutterstock

En nous jetant frénétiquement sur des pantoufles en feutre, des bougies parfumées et des boissons raffinées, nous investissons en réalité dans notre bien-être émotionnel. Et bien que le hygge soit souvent défini, dans ces livres magnifiquement conçus, comme le fait de savoir apprécier les choses simples, faites maison, le consumérisme fait partie intégrante de l’utilisation contemporaine du terme, y compris au Danemark. Les suppléments lifestyle et les marques usent et abusent terme dans leurs publicités, d’autant plus que les nuits s’allongent à cette époque de l’année, et que les bougies commencent à apparaître devant les portes des magasins et des cafés de Copenhague.

C’est sous forme de nom que le hygge a rencontré le succès dans les pages de magazines du monde entier, mais les danois sont tout aussi susceptibles d’utiliser le concept comme un adjectif ou un verbe. D’après le dictionnaire danois, la forme verbale du terme vient du vieux norrois hyggja et du vieil anglais hycgan, alors que le sens moderne du mot (« qui console ou donne de la joie ») vient du norvégien. Mais le mot pimente librement la conversation danoise d’aujourd’hui en fonction du contexte. Les noms composés peuvent ainsi indiquer des variantes saisonnières liées aux activités qui y sont associées (julehygge à Noël ou påskehygge à Pâques, par exemple).

Connus pour leur sens de l’ironie, les danois utilisent aussi le mot comme un euphémisme pour parler d’abus d’alcool ou d’autres excès. hyggelig(t), l’adjectif, peut être utilisé pour signifier « confortable » ou « agréable », mais en fonction du contexte, il est parfois plus proche de l’anglais « nice », ou du français « sympa » quand ils sont employés pour parler de quelque chose d’agréable, sans plus.

La forme verbale, at hygge sig, est souvent utilisée comme une façon de dire au-revoir – kan du hygge dig : l'équivalent d'« amusez-vous bien », ou de « bonne chance ». At hygge sig med, faire hygge avec quelqu’un – peut simplement signifier « partager une expérience amusante », mais peut aussi servir d’euphémisme pour désigner des activités plus intimes.

Hygge, un mot difficile

Cette séquence bizarre de lettres (y, g et e) a fait couler beaucoup d’encre. Dans l’introduction de son hilarant The Little Book of Hygge (Le petit livre du hygge), Meik Wiking tente d’écrire le mot en passant par « hooga », « hhyooguh » et « heurgh » avant de rassurer le lecteur en expliquant que la notion peut être ressentie, mais pas épelée. Le livre de Louisa Thomsen Brits hygge : « L’art danois de bien vivre » comporte quant à lui un guide de prononciation (« hue-gah ») « Hue-gah ») qui, selon un danois de ma connaissance, est plus proche du borborygme qu’il pourrait prononcer un matin de gueule de bois post-hygge que de la transcription phonétique fidèle du mot (ˈhygə).

Un journaliste du Daily Mail a tenté lui aussi d’expliquer comment prononcer le mot, en rapprochant la sonorité du terme hygge de celle de snug (confortable, en anglais). Car ce mot est terriblement difficile à prononcer pour un étranger : s’y essayer, c’est perdre de vue le hygge lui-même. L’angoisse qui s’empare du débutant en danois lorsqu’il découvre que la langue écrite n’a quasiment rien à voir avec la langue parlée lui permet d’ailleurs de ressentir l’opposé du hygge, le uhygge (le « u » étant ici un préfixe privatif) – autrement dit un sentiment de peur ou de malaise.

Peut-être la tension entre hygge et uhygge est-elle au cœur de l’engouement pour ce concept. Après tout, les fans de séries danoises ont passé beaucoup de temps, ces cinq dernières années, à regarder les personnages évoluer dans leurs maisons provinciales ou leurs appartements élégants et confortables de Copenhague, que ce soit dans The Killing, Borgen ou The Bridge. Fondé sur le confort émotionnel et matériel, le hygge est une aubaine pour les scénaristes et les scénographes.

Une télé pas si hyggelig que ça.

Et finalement, dans la fiction comme dans la vie réelle, le hygge offre un écrin parfait à des crimes inexprimables – et se fait l’antidote idéal d’une époque aussi uhyggelige que la nôtre.

This article was originally published in English

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