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Expliquer pour mieux agir

Le lieu géométrique de la gauche

Les candidats à la primaire socialiste en août 2011. Webstern Socialiste/Flickr, CC BY-NC

Les commentateurs politiques les plus écoutés parlent de la gauche en termes totalement contradictoires. À les suivre, en effet, d’un côté, elle existe, mais dans l’espace inédite du tripartisme, et non plus dans le cadre de la seule opposition centrale gauche/droite. Et d’un autre côté, la gauche est fragmentée, voire pulvérisée, en miettes, sans unité, elle n’existe plus.

Quant aux instituts de sondage, ils font preuve d’une absence totale d’imagination, et leurs catégories sont celles de la situation passée, à peine présente, bien plus que celles qui pourraient naître des processus politiques en cours, à commencer par celui qu’a déclenché l’appel (dont je suis un des initiateurs) pour une primaire des gauches et des écologistes. Où est le sondage, par exemple, qui ferait entrer dans les questions sur les intentions de vote en 2017 des personnalités neuves, ou fraîches ?

Abordons par conséquent ces enjeux autrement que dans les termes que nous imposent les débats convenus au sein de la sphère médiatico-politique. Et demandons-nous s’il existe ou non la possibilité qu’une gauche réapparaisse, capable de développer une vision cohérente tournée vers l’avenir, et de redonner sens à l’action politique d’acteurs qui en incarneraient les valeurs, les idées ou les projets.

La synthèse façon Hollande

Il y a là un défi électoral qui ne se limite pas à la seule élection présidentielle. Si les partis actuels de gauche souhaitent éviter le pire aux prochaines législatives, s’ils veulent conserver quelque espoir de réussite, alors, il leur faudra bien se présenter devant les électeurs avec un minimum d’unité, et, mieux encore, en montrant qu’ils sont inscrits dans une dynamique vertueuse, et avec des propositions claires, fortes et bien comprises de l’opinion.

On voit bien ici les difficultés. Quoi de commun, entre un Jean-Luc Mélenchon au ton souverainiste vigoureusement anticapitaliste, et un Emmanuel Macron, ouvert à l’Europe et à une économie de marché ? Entre un Manuel Valls martial, et convaincu de l’utilité de mesures d’urgence ou de l’état d’exception, et un Yannick Jadot ou un Dany Cohn-Bendit qui n’auraient assurément pas voté comme la majorité des députés le projet de loi sur la déchéance de la nationalité ?

Il y a au moins deux façons d’aborder les prochaines échéances électorales en tentant de conjoindre des orientations aussi disparates. La première est celle que semble avoir choisie le chef de l’État. La logique est ici institutionnelle et politicienne. Il s’agit, pour François Hollande, de tenter d’incarner la seule synthèse de gauche possible, au sommet, face à la droite et à l’extrême droite. Cela implique des appareils politiques de gauche suffisamment dociles pour ne pas entraver une telle démarche – il est vrai que, de ce point de vue, le PS mais aussi EELV ne posent aucun problème tant ils donnent l’image de l’affaiblissement.

Cela exige aussi qu’aucun débat de fond ne puisse se développer à gauche, la seule personne du chef de l’État devant suffire à incarner un camp unifié sans avoir réfléchi à ses propres contradictions. Et cela peut s’avérer très dangereux pour le PS : comment choisir un candidat convainquant si, à l’automne 2016, le Président décide de ne pas se représenter ?

Des débats d’idées et une primaire

Une deuxième possibilité existe, qui oblige à regarder en bas, et non en haut. Elle correspond aux attentes massives des électeurs de gauche, qui disent à 80 % dans les sondages souhaiter une primaire de leur camp. Dans cette logique démocratique et citoyenne, l’intégration (qui ne veut pas dire nécessairement la fusion) d’orientations plus ou moins contradictoires au début passe par le débat d’idées, la mobilisation associative et politique, le retour des intellectuels. Elle est le résultat, et l’enjeu, d’un processus qui impose aux acteurs politiques de gauche d’en finir avec la soumission au pouvoir, tels des godillots, ou au mieux de se contenter de le critiquer sans rompre réellement avec ses injonctions.

Un espace immense sépare aujourd’hui les figures politiques de gauche les plus visibles, celles dont on parle sans imagination pour d’éventuelles candidatures en dehors de François Hollande : les Hervé Hamon, Arnaud Montebourg, Manuel Valls, Emmanuel Macron, Cécile Duflot et Jean-Luc Mélenchon. Si le lieu géométrique où leurs orientations peuvent trouver à négocier et composer existe, il n’apparaîtra qu’au fil de discussions qui ne peuvent pas être le fait des partis entre eux, et encore moins des sommets de l’État.

Il apparaîtra, il se dessinera d’autant mieux que des simples citoyens auront eu l’occasion de débattre entre eux, et avec des acteurs associatifs, syndicaux ou politiques, avec aussi des intellectuels, et notamment des chercheurs. Quand aura été dressé le bilan de l’expérience s’achevant en 2017, et qu’il aura été possible de se projeter vers l’avenir. Quand auront été avancées des idées, soupesés les avantages et les inconvénients des propositions disponibles face à tous les grands problèmes du moment. Et quand une primaire à gauche aura permis aux candidats de se situer en tenant compte de tous ces débats, de toutes ces idées.

Restera à savoir qui pourra incarner ce lieu géométrique, ce qui est un autre défi : cela peut-il être une des figures actuelles parmi les plus en vues, s’agira-t-il d’un nouveau venu sorti du monde politique, ou en provenance de la société civile ?

Ce deuxième scénario ne sera assurément pas un long fleuve tranquille. Mais il est le seul qui pourra permettre à l’idée de gauche de se reconstruire et de s’incarner.

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