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Le lycée professionnel, enfin sujet de débats ?

La scolarisation de formations professionnelles est spécifique au système éducatif français. Shutterstock

Dans les discussions de fin d’année autour du baccalauréat, il s’agit de la voie la moins mise en lumière. Mais la voie professionnelle aurait-elle gagné l’attention du public à travers les débats politiques ? Le lycée professionnel serait en tout cas devenu un « sujet surprise de campagne », titrait Le Monde le 1er avril 2022.

Et il ne s’agit nullement d’une plaisanterie. Le président candidat Emmanuel Macron a déclaré en lançant sa campagne vouloir mener une grande réforme du lycée professionnel, en rapprochant établissements et entreprises et en rémunérant les lycéens durant leurs périodes de stage. Valérie Pécresse (Les Républicains) entend quant à elle confier la responsabilité de l’orientation, de l’apprentissage et de la voie professionnelle aux régions, tandis que Yannick Jadot (Les Verts) et Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise) soulignent l’importance de ces filières pour former les spécialistes dont la transition écologique a besoin.

Ce n’est cependant pas la première fois que le lycée professionnel et la question de l’apprentissage sont l’objet d’une vive attention des candidats à la présidentielle. Cela avait déjà été le cas lors du grand débat télévisé sur TF1 le 20 mars 2017, comme l’avait retenu le site d’information spécialisé sur l’éducation VousNousIls. François Fillon disait alors vouloir « renforcer » l’apprentissage, Emmanuel Macron le jugeait « très important », tandis que Jean-Luc Mélenchon le critiquait, préférant la formule des stages sous statut scolaire et déplorant « la fermeture de 170 lycées professionnels » en 10 ans.

Spécificités françaises

On voit bien les clivages et les continuités politiques sur le sujet, de 2017 à 2022. Mais pour mieux les saisir et comprendre les enjeux des tentatives d’inflexion importantes qui sont en débat, il convient de prendre la mesure de la singularité de la France en la matière, une singularité qui vient de loin.

Selon les historiens de l’enseignement professionnel Guy Brucy et Vincent Troger, la scolarisation de formations professionnelles est spécifique au système éducatif français, comme ils l’expliquaient dans la Revue française de pédagogie

« Cette scolarisation, qui a commencé à se construire à la fin du XIXe siècle, est le résultat de la collaboration entre une partie de la haute fonction publique et le patronat des secteurs les plus modernes de l’industrie et du commerce […]. La guerre, le gouvernement de Vichy, la Libération ont fait basculer cette politique vers un interventionnisme plus prononcé et une généralisation de la scolarisation. Le “modèle français” de scolarisation et de régulation des formations professionnelles par le diplôme s’est alors mis en place, mais toujours avec le soutien explicite des secteurs les plus dynamiques de l’industrie et du commerce. »

Un second palier, décisif, est atteint dès le début de la Ve République. La formation professionnelle devient alors une préoccupation majeure de l’école française. Le traité de Rome, signé en 1957, vient d’instituer l’Europe communautaire. Le volontarisme nationaliste gaulliste prend cette situation comme un défi à relever, une ardente obligation pour la survie et le rang de la France.

Atelier boulangerie dans un centre de formation des apprentis (Caen, 2007). Mychèle Daniau/AFP

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« La concurrence internationale, à laquelle nous soumettent la fin des douanes à l’intérieur du Marché commun et la libéralisation des échanges mondiaux, met nos entreprises devant des problèmes que jadis leur épargnait le protectionnisme », explique Charles de Gaulle dans Mémoires d’espoir : l’effort

L’école, pour le Général, doit profondément évoluer pour apporter son concours – direct ou indirect – à cette transformation nécessaire et voulue. Les témoignages des anciens collaborateurs du Président de la République sont sans équivoques : il tenait sans ambiguïté à ce que la formation professionnelle soit une affaire d’État, une affaire de l’État.

Michel Debré, son Premier ministre, souligne que « l’importance à donner à l’enseignement technique et à la formation professionnelle était l’un des grands points d’accord entre le Général et lui ». Il rappelle que, ministre des Finances, il a fait voter une loi déclarant que « L’État était responsable de la formation professionnelle », et il évoque « le plaisir ressenti par le Général à la sortie de ce texte ».

Stratégies économiques

L’institution en 1985 des baccalauréats professionnels et des lycées professionnels parachève cette évolution. Le 22 mai 1985, le Premier ministre Laurent Fabius annonce que le gouvernement prépare « une loi-programme sur cinq ans ». Il s’agit de favoriser « un gigantesque bond en avant, fondamental pour la modernisation du pays ». Laurent Fabius précise que cette loi permettra la création de nouveaux établissements scolaires, les « lycées professionnels », et la mise en place d’un nouveau baccalauréat, le « baccalauréat professionnel ».

La réalisation d’un chef-d’œuvre en lycée professionnel (Education France).

Le 28 mai 1985, le ministre de l’Éducation nationale commente cette annonce. Selon Jean-Pierre Chevènement, il s’agit en premier lieu de répondre aux besoins de la modernisation du pays en formant des ouvriers de plus en plus qualifiés, « souvent au niveau du baccalauréat, quelquefois à un niveau supérieur encore ». Le ministre de l’Éducation nationale souhaite « effacer l’image de parent pauvre de l’Éducation nationale attachée à l’enseignement technique professionnel » pour « cette partie de la jeunesse qui a le plus besoin qu’on lui offre des perspectives » mais aussi pour ses professeurs, dont la carrière a été « trop souvent bornée par l’horizon du système même ».

La création du baccalauréat professionnel est donc référée à une volonté d’affirmation nationale dans une conjoncture de guerre économique intensifiée, à l’instar de la réforme gaullienne de la formation professionnelle du début de la Ve République.

Il n’est pas sans importance lors de cette élection présidentielle que l’on traite de la « formation professionnelle », et surtout des « lycées professionnels » ou de « l’apprentissage ». Est-on dans une conjoncture mondiale nécessitant un aménagement dans l’ordre économique et industriel comparable aux antécédents historiques évoqués ?

Doit-on traiter le sujet d’abord et avant tout dans une ambition et un cadre national réaffirmé, « comme avant » ? Est-ce un sujet politique national de première importance à traiter comme tel, ou doit-il être laissé aux opportunités et aux aléas des entreprises et des possibilités « libérales » ? Tel semble être en l’occurrence le choix décisif à faire. Encore faut-il l’expliciter et l’assumer clairement, en toute connaissance de cause.

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