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Le macronisme avant Macron

Le Président qui dynamiste la Vᵉ République. Christophe Archambault/AFP

Depuis une décennie, la droite et la gauche ont fait mouvement vers leurs extrêmes. Nicolas Sarkozy a évoqué un débat identitaire tandis que François Hollande a déclaré la guerre à la finance… Mais, une fois au pouvoir, tous deux adoptent une politique assez similaire, à quelques mesures emblématiques près. Aux yeux des citoyens, la scène politique ressemble dès lors à « un théâtre d’ombres » (Dominique Schnapper, 2017). Situé en retrait de la droite, de la gauche et des extrêmes, Emmanuel Macron a bien compris l’état de la scène politique, et décidé de se repositionner au centre. Il réussit ainsi à conquérir l’Élysée en mai 2017 grâce à sa « nouveauté » et à la compatibilité de son repositionnement et de la scène politique.

Devenu Président, Macron tente d’établir un centre parlementaire sous la Ve République en incluant une partie de la droite et de la gauche tout en excluant leurs extrêmes, via les législatives en juin 2017. Cette expérience centriste est plutôt inhabituelle pour les citoyens sous la Ve République. En revanche, elle est bien connue en politique depuis Cicéron jusqu’aux radicaux de la IIIe République française, en passant par Machiavel et Bonaparte.

Le macronisme à la Cicéron, la fragilité du pouvoir

Le Président Macron, voulant rétablir un enseignement solide du latin au collège, incarne la concordia ordinum de Cicéron. Dans une République romaine (509-27 av. J.-C.) marquée par un conflit permanent entre conservateurs et progressistes, Cicéron, un jeune politicien centriste, entre en scène en 63 av. J.-C. Il offre aux Romains une concordia entre les centres, c’est-à-dire entre les conciliants aristocrates, les chevaliers progressistes et la part élargie des Romains (Ratti, 2017).

À 40 ans, il réussit à devenir Consul grâce à sa personnalité, sa maîtrise de la scène politique et sa « nouveauté ». En réalité, Cicéron n’est ni un ancien candidat ni issu d’une famille politique. Mais, le succès de Cicéron ne lui permet pas de conserver le pouvoir. Ses alliances hésitantes le ramènent à une opposition qui lui coûtera in fine sa vie.

Le macronisme à la Machiavel, la conservation du pouvoir

La quête macronienne d’une majorité absolue à l’Assemblée vise à éviter un échec à la Cicéron : l’objectif est d’éviter toute cohabitation entre un Président et un premier ministre politiquement antagonistes après les législatives. En « dynamitant » la gauche et la droite, La République en Marche (LREM) adopte une méthode machiavélienne pour régner, au moins, tout au long d’un mandat.

Portrait de Nicolas Machiavel par Santi di Tito. DR

Nommé ministre de l’Économie en 2014, Macron expliquait au New York Times que ses études sur Machiavel lui avaient permis de survivre dans le microcosme politique parisien. Divers points à ce sujet méritent d’être rappelés, qui ne sont pas sans lien avec les changements introduits dans la scène politique française par le nouveau Président. Premièrement, Machiavel, qui n’a pas d’expérience politique, obtient à 29 ans un poste stratégique au sein de l’organe souverain du régime de Florence, le Grand Conseil (Boucheron, Un été avec Machiavel, 2017). Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de Macron qui, durant sa carrière professionnelle et même sa vie personnelle, semble toujours en avance sur son âge.

Deuxièmement, durant son exil suite au coup d’État rétablissant le pouvoir des Médicis à Florence, Machiavel rédige De pricipatibus, communément appelé Le Prince (1532), dans lequel il analyse la pratique du pouvoir et les vertus nécessaires pour l’exercer. C’est là un des enjeux des législatives de ce dimanche pour le Président. Il a lancé son parti centriste en réaction à la déception suscitée par les partis traditionnels ; comme Machiavel qui a inventé son Prince de papier faute de princes à admirer (Boucheron, Un été avec Machiavel, 2017).

Troisièmement, l’ambiguïté – incarnée par le Prince de Machiavel – entoure le positionnement précisément centriste de LREM, attaquée depuis ses débuts sur sa droite, sur sa gauche et depuis les extrêmes.

Le macronisme de Bonaparte et du Parti radical

Dans son livre Révolution (2016), Emmanuel Macron ne voit pas la Révolution française de 1789 comme une transition vers la lumière absolue succédant à l’ombre. La Révolution est un événement sociopolitique et historique ; elle n’est ni un problème, ni une solution.

Macron s’interroge sur les conséquences de la Révolution sur l’exercice du pouvoir. On peut dire que la Révolution fusionne une base régicide-tyrannicide et une conception de la souveraineté populaire qui existe soit dans les institutions, soit dans les mouvements sociopolitiques.

La Révolution induit deux effets : l’installation d’un doute permanent d’illégitimité du pouvoir et l’apparition des notions de droite et de gauche – autrement dit « la dislocation de la nation politique au moment même où l’on affirmait que son principe réside dans sa souveraineté » (Sureau, 2017). Depuis la Révolution française, la politique intérieure, et parfois extérieure, essaye de résoudre cette équation et plusieurs mouvements ont ainsi tenté de constituer un groupe médian en excluant les extrêmes.

Ainsi, le Concordat napoléonien (signé avec le Pape Pie VII) apparaît comme une forme de centrisme permettant de rétablir la paix religieuse dans une France ravagée par la guerre civile après la Révolution de 1789. De leur côté, les radicaux de la IIIe République incarnent aussi une forme de centrisme. Ils ont réussi à « couper l’omelette aux deux bouts » en excluant les extrêmes de la gauche et de la droite. Ce faisant, ils sont les artisans d’un progrès remarquable sur le plan de l’éducation, des associations, de la séparation des Églises et de l’État…

Allégorie du Concordat de 1801. Pierre Joseph Célestin François)/Wikimedia

Cette Troisième République associe la droite et la gauche, – Ferry, Jaurès, Briand et, à un certain degré, l’abbé Gayraud –, mais elle exclut leurs deux extrêmes (comme de Baudry d’Asson et Maurice Allard). Ainsi, Jean Jaurès, se référant à Rabelais, explique pourquoi la France s’est « réservée » dans la Réforme protestante, mais a procédé à la séparation de l’Église (Catholique) et de l’État sans provoquer de schisme théologique avec Rome (Briand, La séparation : discussion de la loi 1904-1905, 1908).

Enfin, le macronisme prouve que rien ne change du jour au lendemain, mais qu’au fil des ans tout est en train de changer. La dernière décennie a décalé la droite et la gauche vers les extrêmes, provoquant un vide politique que Macron essaye de remplir. L’histoire de la France incarne une recherche permanente de compromis centristes. La politique française évolue sans cesse dans un processus de conflit : entre royalistes et républicains, la France établit l’Empire concordataire ; entre Versaillais et communards, elle installe la IIIe République ; entre le catholicisme d’État et la religion civile, elle choisit la laïcité… Entre une VIe République et une forme de populisme, la France préfère, en 2017, un néo-centrisme sous la Ve République.

Ces élections législatives peuvent conduire le centrisme à la Macron soit vers un échec de type cicéronien (des arrangements difficiles et instables entre les partis, comme sous la IVe République), soit un succès à la mode « radicale » (comme la IIIe République), ou encore un équilibre à la Giscard d’Estaing (un équilibre des forces politiques entre giscardiens, mitterrandiens et chiraquiens permettant quelques réformes). Ou une nouvelle expérience véritablement inédite, et purement macronienne.

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