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Le macronisme, ou la privatisation du politique

Emmanuel Macron, le 28 août, à Copenhague. Ludovic Marin / AFP

La démission de Nicolas Hulot du gouvernement, le 28 août, est venue jeter une nouvelle lumière sur la pratique du macronisme. Se prétendant être « ni de gauche ni de droite » dans un premier temps, puis « et de gauche et de droite » dans un second, il constituait une doctrine pragmatique qui s’appuyait, pour l’essentiel, sur le constat de l’incapacité des gouvernements de droite (Nicolas Sarkozy) comme de gauche (François Hollande) à mener des réformes rapidement qui puissent concrètement améliorer la vie des Français.

Très vite, cette apparente nouveauté a été qualifiée de « disruption » sans que l’on prenne garde au fait que l’action empirique a besoin d’une légitimation théorique et que celle-ci doit être suffisamment claire et cohérente pour construire une base électorale du long terme.

Le macronisme au risque du paradoxe

Sur le fond, le macronisme repose sur l’alliance du libéralisme économique et du libéralisme culturel, un modèle proche de celui partagé par de nombreux Démocrates aux États-Unis mais dont le cœur de cible, celui des sociaux-libéraux, ne représente en fait que 5 % de l’électorat en France. Mais il repose aussi sur un mélange assez curieux de populisme et d’élitisme.

Du populisme, dans la mesure où le discours d’Emmanuel Macron comme de ses ministres fustige le « système » des partis comme les « statuts » qui bloquent la mobilité sociale : statut des fonctionnaires comme des retraités ou de tous ceux qui sont considérés comme des « insiders » profitant d’une protection qui leur paraît injustifiée au détriment des « outsiders » qui subissent le chômage et la précarité.

De l’élitisme, car Emmanuel Macron est moins le président des riches (qui lui ont nettement préféré François Fillon au premier tour de la présidentielle de 2017) que celui des gagnants et des optimistes qui évaluent très positivement leurs perspectives d’avenir.

Né du déphasage entre l’offre politique et une demande politique en miettes où le vote de classe ne constitue plus une clé d’analyse, le macronisme vit dans le paradoxe mais pourrait tout autant y succomber. Reposant moins sur un corpus de textes que sur une pratique du pouvoir, le macronisme doit donc être étudié avec les outils de la sociologie politique.

Le « renouveau », une formule commerciale

Ce qui se joue dans le macronisme ne se limite donc pas à l’habituel jeu de chaises musicales qui accompagne les alternances électorales. L’étude purement électoraliste du macronisme se révèle d’ailleurs assez vite décevante car les analyses montrent à l’envi que la majorité des électeurs l’ont choisi par défaut et dans un contexte de forte incertitude voire de contestation radicale de la Ve République.

La thématique du « renouveau » scandée par les leaders de la République en Marche ne doit pas faire illusion car ce « renouveau » ne pouvait satisfaire ni ceux qui aspiraient à plus de démocratie directe par l’usage régulier de référendums (notamment du côté de LFI ou du FN) – ce qu’Emmanuel Macron avait clairement écarté lors de la campagne – ni ceux qui portaient désormais un regard désabusé sur un système politique dont ils n’attendaient plus rien.

Le « renouveau » est devenu une formule commerciale qui n’a pas pu cacher ou contrecarrer le profond discrédit du personnel politique en qui les Français ont encore moins confiance après 2017 qu’avant.

On peut donc opérer deux lectures du macronisme.

La fin du macronisme mondialisé, écologiste et high-tech

La première s’inscrit dans la perspective tactique ou stratégique des élections européennes de 2019 ou des élections municipales de 2020, et conduit à rechercher les marges de manœuvre politiques du macronisme pour qu’il puisse durer et s’institutionnaliser. Limité par sa propre ambiguïté originelle, celui-ci appelle une extension idéologique soit du côté de la gauche, soit du côté de la droite.

Le Président et son ministre, Nicolas Hulot, le 20 juin 2018, durant un déplacement en Bretagne. Fred Tanneau/AFP

La démission de Nicolas Hulot vient apporter le point final d’une évolution droitière qui s’est déjà manifestée par l’appel à renouer les liens entre l’État et l’Église catholique, par la priorité donnée au travail sur la protection sociale, par la décentralisation du dialogue social au sein des entreprises, par la réduction programmée des effectifs de la fonction publique ou par la réduction des dépenses publiques.

On attend encore le positionnement clair de l’Élysée ou du gouvernement Philippe sur des questions sociétales comme l’immigration ou la laïcité, même si les décisions en matière de migrants laissent entendre que la voix de l’autorité et de la fermeture nationale est plus forte que celle de la « société ouverte » à laquelle Emmanuel Macron était associé par certains commentateurs.

Le départ de Nicolas Hulot ne pose pas seulement la question, à la fois banale et tragique, de savoir comment faire de l’écologie une politique. Il a pour effet de mettre un terme à la dimension moderniste du macronisme qui se voulait résolument mondialisé, écologiste et high-tech. Dès lors, le macronisme vient rejoindre le rang des politiques centristes plus ou moins néo-libérales et ne peut que se focaliser sur les moyens de récupérer les électeurs des Républicains qui n’aiment pas Laurent Wauquiez.

Dans la lignée des Rocard, VGE et Chaban…

Une autre lecture, en revanche, porte sur l’organisation du pouvoir en tant que telle. Le macronisme tient beaucoup à cet égard de la pensée de Michel Crozier : la société française est bloquée par des règles et des comportements archaïques et seules des réformes institutionnelles peuvent résoudre son retard sur le libéralisme ambiant, sans avoir à prendre en compte les clivages sociaux.

On retrouve ici une thématique qui imprègne la culture de la haute fonction publique française, et plus particulièrement celle de l’Inspection des Finances, qui a fourni des hommes politiques et de gauche et de droite. Le discours macronien prolonge celui de Michel Rocard, de Jacques Attali, mais aussi de Valéry Giscard d’Estaing sans oublier, jadis, celui de Jacques Chaban-Delmas, tous membres de l’Inspection, et désireux de changer la société française, par un « nouveau contrat » ou voulant bâtir une « nouvelle société ».

Le macronisme a donc des racines anciennes mêlant analyses à prétention sociologique, parfois reprises de la sociologie des organisations, et posture mystique en cherchant à incarner ou bien à « porter » un changement historique.

On remarque, à ce titre, l’accent quasi-sacrificiel des lieutenants du macronisme qui se dévouent à un but hegélien les dépassant. C’est dans ce creuset que se forge le managérialisme à la française, c’est-à-dire un libéralisme par l’État sous la coupe de ses élites issues des grandes écoles et des grands corps.

L’élitisme d’État réinventé

Le macronisme réinvente cependant un vieux modèle, et c’est en cela que l’affaire se complique. Bon nombre de commentateurs ont retenu la dimension technocratique du macronisme en soulignant la verticalité du pouvoir et l’abandon des rêves de participation sur lesquels avait été bâti En marche auprès de militants souvent très déçus un an après l’élection présidentielle. Le macronisme ne se déploie cependant pas sur le terrain technocratique.

Emmanuel Macron, et le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, en mars 2018. Ludovic Marin/AFP

La technocratie est un système de pouvoir qui s’est développé avant la Seconde Guerre mondiale et sous la IVe République dans lequel les hauts fonctionnaires se substituaient aux élus et aux partis politiques. En revanche, le macronisme se méfie de la haute fonction publique – encore un paradoxe –, du moins de celle qui n’est pas passée par le secteur privé.

L’idée de politiser davantage les directions d’administration centrale ou de recourir à des contrats pour recruter de hauts dirigeants administratifs s’inscrit dans la pratique néo-libérale des pays anglo-saxons et certainement pas dans la tradition des grands corps français.

Ces derniers se sont toujours considérés comme les gardiens de l’intérêt général au-dessus des aléas de la vie politique. Ils constituent une élite sociale en concurrence permanente avec les élites politiques depuis la IIIᵉ République.

Un mode « corporate » d’exercice du pouvoir

Les entourages d’Emmanuel Macron recèlent d’ailleurs moins de hauts fonctionnaires provenant des grands corps que ceux de Nicolas Sarkozy. Mais bien plus de pantoufleurs de retour du secteur privé ou de conseillers provenant directement de ce dernier. Rien que dans l’entourage présidentiel, la proportion de conseillers provenant du monde des affaires est de 20 % contre 13 % sous François Hollande et 9 % sous Nicolas Sarkozy.

Les nouveaux technocrates sont en fait des « managers » provenant des cabinets-conseils ou des grandes entreprises au terme d’un parcours professionnel qui a pu les faire passer par l’ENA comme par les grandes écoles de commerce. La fréquentation des groupes d’intérêts, dénoncée par Nicolas Hulot, n’est que la conséquence naturelle d’une culture partagée, certains conseillers provenant eux-mêmes de cet univers.

Dans l’entourage immédiat d’Emmanuel Macron, on trouve ainsi l’ancienne directrice de Vins et société, cabinet spécialisé dans le monde viticole, trois anciens membres de cabinets de communication, mais aussi un ancien du groupe immobilier Nexity, un ancien de BNP Paribas…

C’est ici que se noue l’identité du macronisme et à laquelle s’associe également une pratique personnalisée du pouvoir. L’affaire Benalla n’est sans doute pas en soi une affaire d’État, mais elle est révèle l’existence de relations interpersonnelles fortes au sommet de l’État qui peuvent conduire à contourner les institutions et les hiérarchies ordinaires. Rien n’était plus significatif que de voir avec quels efforts et quelle colère rentrée certains fonctionnaires devaient témoigner devant les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

On n’est donc ni dans le gaullisme ni dans le bonapartisme mais dans un mode « corporate » d’exercice du pouvoir, très concentré au sommet et très lointain pour le commun des mortels ou des élus. La politique privative se nourrit du modèle organisationnel des grands groupes privés.

La révolte institutionnelle du local

C’est d’ailleurs à ce titre qu’a émergé une véritable révolte institutionnelle des élus locaux. Celle-ci, dépassant réellement le clivage gauche-droite, s’est illustrée autant par les démissions en cascade des élus de petites communes que par l’opposition ferme du Sénat à la révision constitutionnelle. Cette dernière devait, là encore, « managérialiser » la politique en supposant qu’en réduisant le nombre de parlementaires et de circonscriptions la démocratie fonctionnerait mieux, ce qui est loin d’être prouvé.

Cette révolte n’est pas née seulement de la réduction des moyens financiers, de l’insertion des communes dans des intercommunalités aux compétences élargies depuis la loi NOTRe de 2015 ou des transformations sociologiques de l’habitat. Elle est plus profondément liée à la fracture entre le pouvoir national et le pouvoir local que le macronisme vient entériner ou aggraver.

Au pouvoir abstrait et mondialisé du centre s’oppose ainsi une politique très concrète du quotidien et de l’échange direct au niveau local qui peut être source de satisfactions mais aussi de tensions. C’est ici qu’apparaît la limite du macronisme et de la privatisation du politique.

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