Il était une fois au XIXe siècle, le premier ministre britannique William Gladstone demanda à l’inventeur Michael Faraday quelle était la valeur de l’électricité. « À quoi ça sert ? » insista Gladstone. Le scientifique répondit alors : « Vous pourrez la soumettre à un impôt ». Voilà la justification succincte de l’innovation il y a 150 ans.
De nos jours, un des mots les plus à la mode est « l’innovation ». On nous dit à maintes reprises que nos économies ne fonctionnent pas bien, simplement parce que nous n’avons pas assez d’innovation
Cependant, l’élément manquant pour notre fascination de l’ innovation est que l’économie du savoir est plus difficile à mesurer, et donc à soumettre à l’ impôt. Il y a actuellement une érosion de la base d’imposition à cause de la complexité de l’économie du savoir.
De fait, ce sont les aspects qui définissent l’économie du savoir qui la rendent tellement difficile à fiscaliser, y compris sa nature intangible, sa structure globale répartie sur plusieurs juridictions et ses composantes apparemment sans fin : la biotechnologie, la technologie financière ou « Fintech », les énergies renouvelables, la « ville intelligente », les réseaux sociaux, et l’économie collaborative entre autres.
L’économie du savoir est désormais un facteur déterminant pour les pays à travers le monde. Mais le contexte actuel présente des faiblesses qui ouvrent la voie à des pratiques d’érosion de la base d’imposition, ce qui engendre une grande perte de recettes fiscales. Par conséquent, on remarque un écart effrayant entre les bilans des nations et les bilans des multinationales.
Un exemple emblématique se trouve dans la comparaison des finances de l’état de Californie avec les bilans des géants de la Silicon Valley. L’état de Californie a souffert de difficultés budgétaires pendant des décennies, et celles-ci sont décrites dans ses documents fiscaux comme un « défi permanent ». Par contre, les entreprises de la Silicon Valley ont de l’argent à ne savoir qu’en faire.
Un autre exemple très récent de ce défi financier s’observe dans l’accord fiscal indulgent que le gouvernement britannique a signé avec Google, grand champion de l’économie du savoir, pour un maigre butin de 130 millions de livres. Ce montant a été vu par de nombreux experts comme « dérisoire », bien que Google insiste que l’accord soit juste.
En outre, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CECI) en France offre un exemple pertinent des difficultés qui entourent l’effort de stimuler « l’innovation » par des bénéfices fiscaux, car la multidimensionnalité du projet et le délai dans son versement compliquent la gestion du crédit.
Un véhicule pour la prospérité
Le rythme d’intégration des économies et des marchés nationaux a connu une accélération marquée ces dernières années. Pour transformer « l’ innovation » dans un véhicule pour la prospérité, il faut que ses bénéfices soient partagés d’une façon qui enrichisse le monde au-delà des technopôles. La fiscalisation de l’économie du savoir doit se conformer à la notion de moralité fiscale : cela signifie que l’impératif moral pour les grandes entités économiques, les grands « novateurs », se doivent de contribuer à l’assiette fiscale.
Dans un monde qui devient de plus en plus complexe, les régulateurs des secteurs innovants doivent s’adapter aux exigences de l’ère numérique, et participer à la surveillance active et responsable de l’économie du savoir. Dans le cas du débat Google au Royaume-Uni, c’est le Comité des comptes parlementaires qui a agi comme un véhicule de contrôle fiscal. Le poids législatif dans la surveillance budgétaire est plus nécessaire que jamais. De plus, les institutions qui sont responsables de la régulation financière doivent collaborer au niveau international pour réguler le pouvoir d’évasion des multinationales.
Tout cela ne signifie en aucune manière que la part d’innovation dans la société doit être ralentie ou bloquée. Au contraire, il est important que la politique budgétaire soit novatrice en tandem avec l’économie du savoir.
Des cas récents sont positifs, tels Amazon, qui démontrent que les multinationales peuvent être encouragées à contribuer à l’assiette fiscale. De plus, l’OCDE a fait un effort considérable pour concevoir une stratégie afin de lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Il y a 150 ans, d’après l’inventeur de l’électricité, le meilleur argument pour propager l’innovation était sa fiscalisation. De nos jours, cela vaudrait peut-être la peine de retourner à cette façon de penser au regard de l’économie du savoir – à moins que l’on ne cherche à continuer dans la lancée des accords « dérisoires ».