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Jagmeet Singh et Alexandre Boulerice devant des caméras
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, et le chef adjoint, Alexandre Boulerice, lors d'une conférence de presse le 29 mars à Montréal. La Presse Canadienne/Ryan Remiorz

Le NPD a-t-il déjà concédé le Québec ?

En mai 2011, le Québec donnait au Nouveau Parti démocratique de Jack Layton la plus grande députation de son histoire.

Avec 103 députés, le parti devenait l’opposition officielle. La fameuse « vague orange » bénéficiait en partie d’un effondrement historique du Parti libéral du Canada, mais elle reposait aussi sur un effort sans précédent de la part du parti de répondre à certaines aspirations politiques des Québécois avec la Déclaration de Sherbrooke de 2005.

Cette déclaration faisait notamment la promotion d’une conception asymétrique de la fédération, reconnaissait le caractère national du Québec, entamait une réflexion sur un fédéralisme de coopération, reconnaissait un droit de retrait avec compensation du Québec, ainsi que son droit à l’autodétermination.

Aux élections fédérales de 2015, le NPD de Thomas Mulcair partait en tête des intentions de vote. Cette position de tête s’est effritée durant la campagne au profit du PLC de Justin Trudeau. Le parti a glissé en troisième position. Il a été réduit à 44 députés au parlement fédéral, dont 16 en provenance du Québec, où le parti a récolté encore 25 % du suffrage.

À la suite de ce recul du parti, les militants ont congédié le chef du parti et député d’Outremont, Thomas Mulcair, lors d’un Congrès à Edmonton en avril 2016. La course à la chefferie qui en a découlé a porté Jagmeet Singh à la tête du parti en 2017.

Deux années plus tard, le NPD allait être pratiquement rayé de la carte au Québec lors de l’élection fédérale. Il était réduit à un seul député au Québec et à 10 % du suffrage.

En tant que professeur de sociologie politique et auteur d’ouvrages sur la sociologie du nationalisme et la sociologie historique, je m’intéresse aux dynamiques nationales au Canada et à l’analyse comparative des populismes de droite. Je profite de la tenue virtuelle, ce week-end, du Congrès national du NPD pour examiner l’état de ce parti à quelques mois d’élections fédérales.

Thomas Mulcair et Jack Layton tenant un chandail du club de hockey Canadien
Le chef du NPD, Jack Layton, tient un maillot des Canadiens de Montréal que lui a donné le candidat Thomas Mulcair (à gauche), à Montréal, le 14 avril 2011, deux semaines avant les élections historiques pour leur parti. La Presse Canadienne/Jacques Boissinot

Comment expliquer le désintérêt des Québécois ?

À l’échelle canadienne, plusieurs facteurs peuvent expliquer le recul du NPD. Un système uninominal à un tour tend à favoriser l’alternance entre deux partis politiques. Au Canada, cette alternance est traditionnellement entre le Parti conservateur et le Parti libéral. On pourrait donc affirmer que c’est davantage l’effondrement du PLC en 2011 qui est l’anomalie à expliquer que le succès du NPD.

Cet argument n’explique cependant pas pourquoi le NPD obtient un appui plus faible au Québec que dans plusieurs autres provinces depuis 2017, surtout après lui avoir donné son plus grand nombre de députés en 2011 et 2015. Depuis un an, le NPD peine à s’élever au-dessus des 12 % des intentions de vote au Québec, alors qu’il atteint un appui entre les 17 % et 23 % dans plusieurs autres provinces.

On pourrait également affirmer que le déclin des partis sociaux-démocrates caractérise beaucoup d’autres États dans le monde occidental et qu’il n’a rien d’exceptionnel au Canada. Or, non seulement le NPD ne se démarque pas beaucoup par son programme économique, mais il serait difficile de pointer une proposition économique du parti qui expliquerait sa déconfiture au Québec.

À une certaine époque, le NPD était perçu comme très centralisateur. Ce facteur peut-il expliquer le désintérêt actuel des Québécois pour le parti ? Si c’est le cas, il est difficile de comprendre pourquoi le PLC, qui est allé jusqu’à proposer des normes canadiennes dans le domaine de la santé, un champ de compétence provincial, est en tête des intentions de vote au Québec. En fait, le parti étonne plutôt par son silence sur ces questions durant les dernières années.

Un député qui tir dans son but et un chef qui semble dépassé

Il y a quelques semaines, le député du NPD dans Hamilton-Centre, Matthew Green, relayait les propos de Amir Attaran, un professeur incendiaire de l’Université d’Ottawa, qui associe le Québec à l’Alabama du Nord et le premier ministre du Québec au suprémacisme blanc. Au-delà d’énoncés laconiques, le chef du parti a été incapable de demander des rétractations publiques à son député.

Traiter les Québécois ou le gouvernement du Québec de racistes ou de suprémacistes blancs pour expliquer le comportement politique des Québécois relève de la bonne conscience et du sentiment de supériorité morale de nombreux Canadiens anglais.

Or, les observateurs de la politique canadienne savent que ce type d’accusations à l’égard du Québec se retourne généralement contre leur énonciateur. Puis, le recours à une telle rhétorique fait davantage partie du problème que de l’analyse politique. En déplaçant l’explication du faible attrait du parti au Québec du côté de la demande, plutôt que de l’offre, le parti n’a pas à faire un examen de conscience de son absence de vision pour le Québec et pour la francophonie canadienne.

Depuis 2017, ce qui semble faire défaut au NPD, c’est une capacité à lire, analyser et prédire les dynamiques de la politique québécoise. En 2011 et en 2015, le parti arrivait armé de la Déclaration de Sherbrooke. Or, depuis quelques années, non seulement les références à cette Déclaration ont disparu, mais le chef du NPD semble le politicien fédéral le moins à l’aise sur la patinoire québécoise. Il multiplie les gaffes, les faux pas et semble surtout incapable de saisir les conséquences de ce qu’il dit, de ce qu’il fait et de ce qu’il ne fait pas.

Le problème cependant semble aller au-delà du chef. En naviguant sur le site de l’Institut Broadbent, un think tank fédéral associé au NPD, c’est en vain que l’on cherchera un article visant à comprendre les causes de l’effondrement du parti au Québec.

En survolant les six principes mis de l’avant en mars 2021 par Ed Broadbent sur l’avenir de la social-démocratie au Canada, on trouve un principe clé sur l’autodétermination des peuples autochtones, mais rien sur le Québec, sur les principes de la Déclaration de Sherbrooke ou sur la place de la francophonie au Canada.

Le passage de Jagmeet Singh à l’émission « Tout le monde en parle » le 28 mars dernier n’a sûrement rien fait pour rassurer les sociaux-démocrates du Québec. Le chef du parti a paru moins que convaincant dans ses réponses à un Guy A. Lepage, qui n’a pourtant pas posé des questions particulièrement surprenantes ou difficiles.

Comment le chef a-t-il pu être aussi mal préparé pour son passage à une émission d’aussi grande écoute dans un contexte préélectoral ?

La question se pose et en appelle une autre. Le NPD a-t-il déjà concédé le Québec ? Si la réponse est « oui », le parti semble faire le calcul que son absence de vision pour le Québec lui attirera des gains dans le reste du Canada. Ce serait une étonnante façon de se retourner contre les électeurs de la province qui lui ont donné ses seules chances historiques de se rapprocher du pouvoir.

Si la réponse est « non », il serait judicieux pour les membres de ce parti de cesser d’agir comme si c’était le cas.

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