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Le pari risqué de la « dé-extrémisation » chinoise au Xinjiang

Un policier monte la garde devant une mosquée durant la fête de Eid al-Fitr, juillet 2017, à Kashgar dans le Xinjiang. Johannes EISELE / AFP

Depuis début 2017, des centaines de milliers de citoyens chinois de religion musulmane sont détenus (1 million selon les Nations unies), de manière extralégale, dans des « centres de transformation par l’éducation » (教育转化), plus communément appelés « camps de rééducation ».

Derrière les hauts murs coiffés de barbelés, ils sont contraints d’apprendre le socialisme, la pensée du président Xi Jinping, les chants patriotiques et les dangers de la religion. Après plusieurs mois de détention dans des conditions très difficiles, les éléments les mieux disciplinés sont libérés. Ces camps sont situés dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, principalement peuplée par les Ouïghours qui représentent moins de 50 % des 21 millions d’habitants, ainsi que par d’autres minorités ethniques numériquement très faibles, notamment des Kazakhs, Hui, Kirghiz et Mongols.

Carte du Xinjiang,2013. PANONIAN/Wikimedia, CC BY

Cette campagne s’inscrit dans une politique plus large, initiée dès 2001 au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) de lutte contre les « trois forces » : l’extrémisme, le séparatisme et le terrorisme. Celle-ci se traduit par un système de surveillance et de « dé-extrémisation » (去极端化) généralisé. Or, il semblerait au contraire que cette stratégie pourrait aboutir à l’aliénation définitive de la population ouïghoure et d’autres minorités musulmanes et aggraver considérablement le radicalisme violent tant en Chine qu’à l’étranger.

Rejet des faits

Le 13 août, après avoir longtemps ignoré les rapports de chercheurs et de journalistes internationaux sur le sujet – on pense aux travaux de chercheurs tels que Adrian Zenz, Rian Thum, Jessica Batke et Shawn Zhang –, la Chine a finalement été contrainte de s’exprimer sur la question, réfutant en bloc l’ensemble de ces informations.

Hu Lianhe, un membre de la délégation chinoise entendue par le Comité sur l’élimination de la discrimination raciale (CEDR) de l’ONU, a ainsi déclaré qu’il « n’y [avait] pas de détention arbitraire » ni de « quelconques centres de rééducation » au Xinjiang.

La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a quant à elle soutenu que les rapports sur les camps de détention au Xinjiang « [étaient] basés sur des « informations » non vérifiées et irresponsables qui n’ont aucune base factuelle ». Pourtant, les nombreux témoignages, documents officiels, photographies et images satellites démontrent une toute autre réalité.

Capture d’écran réalisée le 1ᵉʳ octobre 2018, district de Dabancheng, où se trouverait l’un des plus importants camps de « rééducation », selon Shawn Zhang. Google Earth

Il convient alors de s’interroger sur les effets de long terme qu’auront l’appareil sécuritaire et la campagne de rééducation au Xinjiang, sur la stabilité de la Chine et sur ses intérêts à l’étranger.

Un appareil de sécurité sans commune mesure

En 2013 et 2014, la Chine a connu une forte recrudescence des attentats terroristes, causant la mort de centaines de personnes à travers le pays. Parallèlement, plusieurs milliers de combattants ouïghours venus d’Asie centrale et de Chine luttent en Syrie depuis 2013, accumulant entraînement et expérience pour combattre leur ultime ennemi qu’est le pouvoir chinois au Xinjiang.

La campagne antiterroriste menée par la Chine depuis 2015, en réponse à la vague d’attentats, s’est alors révélée efficace puisque presque aucune attaque n’a eu lieu sur le territoire depuis.

Cette diminution est due à l’omniprésence de l’appareil de sécurité déployé au Xinjiang. La surveillance y est plus étroite qu’elle ne l’a jamais été auparavant en Chine ou ailleurs dans le monde. Pékin a en effet mis en œuvre un appareil sécuritaire total alliant surveillance humaine (police, assistants de police, police armée, armée) et surveillance technologique en recourant à des dispositifs inédits déployés à l’échelle de la région : surveillance d’Internet, reconnaissance faciale et vocale, caméras de vidéosurveillance intégrées, fichiers ADN, patrouilles de drones, etc.

Par ailleurs, les médias chinois, qui n’évoquent jamais les camps, présentent l’extrémisme religieux comme une maladie dont la campagne de « transformation par l’éducation » vise à « soigner gratuitement les personnes malades idéologiquement », « infectées par l’extrémisme religieux et l’idéologie de la terreur violente ».

Trois conséquences néfastes pour Pékin

En dépit de l’objectif légitime, affiché par Pékin, d’assurer « la paix et la stabilité » au Xinjiang, la démesure de l’appareil sécuritaire et de la campagne de rééducation, pourrait conduire à des résultats inverses que ceux escomptés.

Premièrement, le radicalisme et le séparatisme peuvent se développer, silencieusement, et de manière plus durable et dramatique. Compte tenu de la rigueur de l’appareil sécuritaire actuel, la violence terroriste semble très improbable car toute tentative serait immédiatement réprimée.

Cependant, le radicalisme violent ne peut que se renforcer dans les cœurs et les esprits de populations qui ressentent une profonde injustice sociale, en l’occurrence en se voyant persécutés pour leur appartenance culturelle et leurs croyances religieuses. Les exemples historiques d’insurrections et de recours à la violence abondent, de la Révolution française, aux printemps arabes, de la guerre d’Algérie à la Palestine.

Un manifestant ouïghour piétine un portrait du président chinois Xi Jinping et du leader communiste Mao Zedong devant le consulat chinois à Istanbul, le 5 juillet 2018. Ozan Kose/AFP

Deuxièmement, la politique chinoise vis-à-vis des Ouïghours incite déjà la diaspora, les ONG et les militants des droits de l’homme à faire pression sur les gouvernements et sur l’ONU pour que ces derniers confrontent la Chine sur cette question.

Plutôt que d’accuser les médias américains et occidentaux de diffuser volontairement de fausses informations pour nuire à la Chine, Pékin devrait fournir plus d’informations et se montrer plus transparent sur la situation au Xinjiang.

Or, au lieu de fournir des preuves tangibles, Hu Lianhe a déclaré devant le CEDR que « la Région autonome ouïghoure du Xinjiang respecte et garantit toujours les droits humains des personnes de tous groupes ethniques ». De fait, il alimente un certain discrédit de la voix de la Chine sur la scène internationale.

Enfin, des séparatistes ouïghours sont présents hors de Chine, en particulier le Parti islamique du Turkestan (PIT) qui opère en Afghanistan, au Pakistan et en Syrie. Ceux-ci sont proches d’al Qaida et des talibans depuis les années 1990 et combattent dans l’espoir d’instaurer un état islamique en lieu et place du Xinjiang.

Le PIT et d’autres organisations telles que l’État islamique, qui tente de s’implanter en Afghanistan et en Asie centrale, ont tout à gagner du ressentiment des populations ouïghoures et kazakhes contre la Chine, notamment pour recruter des combattants.

Pékin étant engagé dans un grand nombre de projets d’infrastructures hors de ses frontières dans le cadre des nouvelles routes de la soie, tout particulièrement en Asie centrale et au Pakistan, ces projets pourraient constituer des cibles de choix pour des organisations terroristes ou séparatistes qui voudraient venger leurs coreligionnaires opprimés. L’attentat du temple d’Erawan à Bangkok en août 2015, celui de l’ambassade de Chine au Kirghizstan en août 2016, ou encore l’assassinat de deux ressortissants chinois au Pakistan revendiqué par l’État islamique en juin 2017, ont déjà donné consistance à ce type de menace.

Ainsi, il est difficile de voir quels sont les gains que Pékin pourrait tirer de sa politique de « dé-extrémisation » au Xinjiang. Il existe au contraire un risque important que cette politique exacerbe le ressentiment interethnique, ainsi que le séparatisme et l’extrémisme à l’intérieur du pays, qu’elle nuise à l’image internationale de la Chine, et qu’elle fasse des Chinois la cible d’organisations terroristes à l’étranger. En somme, le remède pourrait s’avérer pire que le mal.

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