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Le « péril rouge », un discours politique de droite à la finalité bien particulière

Les membres du Comité central du Parti communiste français défilent lors de la Fête du Travail, le 1er mai 1945 à Paris. AFP

Ces dernières semaines, les élections municipales ont entraîné un changement de ton dans les discours de certains candidats Les Républicains (LR).

À Marseille, Martine Vassal appelle à l’union face au « péril rouge » que constituent la gauche et les « extrêmes » de la liste d’union de gauche, le Printemps Marseillais, menée par Michèle Rubirola. Le 18 juin à Lille, c’est le chef de la liste divers droite (DVD) Thierry Pauchet qui se rallie à un vote « de raison » en soutenant désormais la maire sortante Martine Aubry (Parti socialiste) contre les « fous furieux » de la liste écologiste.

L’idée sous-jacente dans ces prises de parole reste la même : discréditer les candidats de gauche et d’extrême gauche en les diabolisant. Ce processus de diabolisation visant à jouer sur le « péril rouge » est désormais centenaire puisqu’il est employé en France (comme dans le reste du monde) depuis la prise de pouvoir des bolchéviques en Russie en 1917.

Après la révolution d’octobre 1917, un anticommunisme acharné

La Russie connaît deux révolutions en 1917 : une première en février, qui fait tomber le tsarisme et instaure une démocratie représentative républicaine ; la seconde en octobre, où les bolchéviques s’emparent du pouvoir par un coup d’État. La mise en place d’une dictature d’un genre nouveau où la bourgeoisie et le capitalisme sont voués aux gémonies inquiète particulièrement les États européens et américains.

La situation catastrophique en Europe suite à la Première Guerre mondiale influence grandement les réactions. En Allemagne, la guerre civile oppose les communistes à leurs opposants dans des affrontements sanglants (notamment en 1918-1919). Aux États-Unis, la révolution russe provoque une première « red scare » (peur des rouges) entre 1917 et 1920 où attentats et arrestations arbitraires sont réguliers.

La France ne connaît pas de situation aussi extrême. Certes, l’anticommunisme est très répandu dans le pays et touche toutes les tendances politiques (du socialisme à l’extrême droite en passant par le radicalisme). Particulièrement inquiet, le patronat met à la disposition des candidats de droite des fonds très importants pour faire « face au péril rouge », cette peur de voir des communistes « assoiffés de sang » prendre le pouvoir et créer une dictature où les opposants politiques seraient torturés et exécutés ou envoyés dans des camps de travaux forcés. Une peur motivée par les échos terrifiants (et les rumeurs) provenant de l’URSS qui serait impitoyable envers ses adversaires.

Affiche anticommuniste à l’époque du Front populaire, 1936. Author provided

C’est pourquoi ils n’hésitent pas à pratiquer la corruption des notables pour augmenter les chances de succès de leurs protégés. Le « cartel des gauches » de 1924 et plus encore le Front populaire suscitent la peur dans les rangs de droite, d’extrême droite ainsi que du patronat. À chaque fois, mais plus encore avec le Front populaire, l’opposition est convaincue (ou feint de croire) que l’URSS manipule le gouvernement, confirmant leur crainte d’un « péril rouge » imminent.

Traques contre les communistes

Après la parenthèse vichyste durant la Seconde Guerre mondiale, la France de la Libération reconnaît les sacrifices consentis par les militants du Parti communiste français (PCF) qui combattirent dans les rangs des Francs-tireurs et partisans. Le PCF devient le principal parti politique et domine temporairement l’Assemblée constituante. Cependant, l’idylle est de courte durée : de plus en plus critiqué et craint, le PCF décide de rejoindre l’opposition en mai 1947.

L’anticommunisme revient de plus bel, trouvant dans le Rassemblement du peuple français (RPF, parti gaulliste fondé et dirigé par Charles de Gaulle en personne) et le mouvement « Paix et Liberté » (créé par le radical Jean‑Paul David et soutenu par l’État), ses plus ardents adversaires. L’État traque les personnes soupçonnées d’être communistes ou proches du communisme, par exemple dans l’armée. Les affrontements entre militants communistes et anticommunistes sont fréquents, notamment entre gaullistes et communistes.

Les enjeux étant importants, les élections législatives de 1951 connaissent de fortes tensions et excès de violence militante. Les grands gagnants sont le RPF (121 députés) et le PCF (103 députés). Ce succès ne permet à aucun d’eux de prendre l’ascendant : marginalisés, diabolisés (les uns étant qualifiés de fascistes, les autres de stalinistes), ils sont voués à rester dans l’opposition et à mener un combat sur trois fronts (partisans de la IVe République, communistes, gaullistes). L’effondrement du RPF en 1952-1953 et la baisse des tensions internationales provoquent un recul de l’anticommunisme (sans y mettre un terme).

1968, renouveau du discours anticommuniste

La « peur des rouges » recule progressivement entre le milieu des années 1950 (où le PCF réalise son meilleur score aux élections législatives de 1956) et la fin des années 1960. Cela s’explique en grande partie par la mort de Staline en 1953 et la fin de la guerre de Corée, qui ont permis le début de la Détente entre les deux blocs.

La guerre d’Algérie et le terrorisme d’extrême droite (OAS) ont également contribué à cet apaisement relatif. Celui-ci semble déjà disparaître lors des élections législatives de 1967 où un début de renouveau de la violence militante anticommuniste s’entame. Toutefois, ce sont les événements de mai-juin 1968 qui changent réellement la donne. Le doute dans lequel fut plongé le pouvoir et l’impression de sa vacance ont provoqué l’effroi dans les rangs de la droite et l’extrême droite, à commencer par les gaullistes. Le sursaut du 30 mai 1968 (discours du président suivi par une immense manifestation sur les Champs-Élysées) permet une reprise en main progressive du pays par le général de Gaulle. Le ton employé par la majorité en place (gaullistes et républicains indépendants) est volontairement dramatique.

Affiche CDR de juin 1968. Archives de Jean‑Marie Vissouze, Author provided

Les candidats gaullistes comme les membres du gouvernement évoquent un complot international communiste (la « subversion marxiste ») dont les coupables seraient tantôt la Chine, l’URSS ou Cuba, les trois à la fois ou encore un ensemble de petits complots réalisés plus ou moins en même temps par plusieurs pays, tels la Chine et la RFA, la CIA et le Mossad, ou encore la « Tricontinentale rouge » – cette improbable coalition entre l’URSS, la Chine et Cuba pour financer, armer et former toutes les entreprises révolutionnaires du globe si chère à Raymond Marcellin.

La peur de l’anarchie et d’une dictature communiste se répand et offre à la majorité sortante une « vague bleue » sans précédent. C’est ce que l’opposition surnomme les « élections de la peur ». Les années qui suivent voient la prolifération de ce discours, amplement soutenu par les élus et ministres de droite, et largement amplifié par les organisations du « gaullisme d’ordre » (SAC, CDR, CFT, UNI) ainsi que des organisations d’extrême droite.

Nouvel apogée et déclin de l’antimarxisme dans les années 1970

Globalement, l’anticommunisme socialiste et radical de gauche tend à s’atténuer (sans disparaître complètement), ce qui permet la création du « programme commun » en 1972 – une alliance politique entre radicaux de gauche, socialistes et communistes. Programme qui permet à la droite et l’extrême droite de dénoncer le « péril rouge » à l’œuvre, à une époque où les violences d’extrême gauche disparaissent peu à peu. En effet, alors que la période 1968-1973 offre à la majorité et l’extrême droite l’opportunité de dénoncer les « sévices » des organisations libertaires, trotskistes et (surtout) maoïstes, le recul qui s’enclenche à ce moment-là (et s’accélère sous la présidence giscardienne) permet de diaboliser la gauche à travers l’idée – erronée – d’une future dictature soviétique en France en cas de succès « des socialo-communistes ».

La rupture du programme commun en 1977 rend ce discours obsolète, les socialistes et les communistes faisant désormais cavalier seul. Finalement, les élections présidentielles de 1981 voient le socialiste François Mitterrand l’emporter et prendre des ministres communistes dans son gouvernement. Elles marquent alors la fin de cette conviction (de plus en plus marginale) d’une dictature communiste en France où les chars soviétiques défileraient sur les Champs-Élysées.

La dénonciation d’un « péril rouge » est donc très ancienne et portée par tous les mouvements politiques anticommunistes. Idée vague, elle voulait à la fois convaincre la population d’un danger de dictature totalitaire imminente, le rôle d’agents intérieurs de puissances étrangères communistes revêti par les différents militants se revendiquant du marxisme, la fourberie de politiciens communistes prêts à tromper leurs prochains et leurs alliés (forcément temporaires) pour obtenir le pouvoir. La présidence de François Mitterrand voit se mobiliser de nouveaux discours justifiant l’opposition à la gauche. Cela ne met pas pour autant un terme définitif au discours anticommuniste. Bien que marginalisés, des militants de droite et d’extrême droite maintiennent ce discours, comme les Comités d’actions républicaines (CAR) de Bruno Mégret, le Mouvement initiative et liberté (MIL) de Jacques Rougeot ou encore le Front national (FN) de Jean‑Marie Lepen.

À l’occasion de grandes élections, la diabolisation de la gauche dite radicale ressurgit dans des discours politiques. Ce fut par exemple le cas lors des élections présidentielles de 2017 où Jean‑Luc Mélenchon fut de plus en plus attaqué au fil de sa progression dans les sondages. Il devint peu à peu, pour une partie des médias et des politiciens, un homme « dangereux », peut-être même un Lénine en puissance, voire un « péril » pour la nation. Certains, à l’instar de François Hardy, ne manquèrent pas de le qualifier de « fou furieux », ce qui n’est pas sans rappeler les mots de Thierry Pauchet lors de ce scrutin municipal…

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