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Vue surélevée d'une falaise sur la côte française entre Wimereux et Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais
Vue surélevée d'une falaise sur la côte française entre Wimereux et Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais. Jens Deppner/Shutterstock

Le phytoplancton, essentiel à nos vies, mais impacté par le changement climatique

Le phytoplancton est invisible pour nos yeux, mais essentiel à l’équilibre marin. Il nous fournit aussi une bonne partie de l’oxygène que nous respirons. Mais le réchauffement climatique provoque une diminution de la masse globale de ces algues microscopiques. Cela pourrait entrainer une diminution du CO2 séquestré par les mers et océans, et grandement perturber la chaine alimentaire du milieu marin.


Respirez profondément. Que vous soyez chez vous, dans les transports en commun, ou dans un jardin public au cœur de la France, peu importe : au moins 45 % de l’oxygène que vous aurez inspiré provient du phytoplancton marin. Ce même phytoplancton est aussi à la base de la chaîne alimentaire des écosystèmes des mers et océans, influençant les poissons que vous consommez peut-être. Vous l’aurez compris, le phytoplancton a beau être souvent invisible à l’œil nu, il est essentiel à nos vies. Mais ce groupe de microalgues n’est pas épargné par le changement climatique.

Le changement climatique, en plus de la pression humaine, influence le fonctionnement des océans et impacte la biodiversité, notamment celle du phytoplancton. L’augmentation de la température, la modification de la chimie des océans ou des courants va également avoir une influence considérable sur la répartition du phytoplancton marin dans les océans mais également sur sa composition et son développement.

Pourquoi le phytoplancton est essentiel à nos vies

Comment cela est-il possible ? Pour le comprendre, revenons sur le rôle du phytoplancton dans les écosystèmes marins. Le phytoplancton est donc un groupe de microalgues unicellulaire (majoritairement invisibles à l’œil nu) très diversifié aussi bien de par sa taille, sa forme ou les fonctions qu’ils exercent dans les écosystèmes marins. Comme les végétaux terrestres, il capte l’énergie solaire grâce à ses pigments et va la convertir en énergie chimique pour transformer le CO2 atmosphérique en biomasse via le phénomène de photosynthèse, et produire du dioxygène. Avec près de 100 millions de tonnes de dioxyde de carbone capté par jour, il constitue un maillon majeur dans la diminution des gaz à effet de serrer et la régulation du climat.

De plus, le phytoplancton constitue la base de l’alimentation dans les océans et supporte ainsi directement les échelons trophiques supérieurs de la chaine alimentaire tels que le zooplancton, les mollusques filtreurs, les poissons tels les sardines et, indirectement, l’ensemble des consommateurs de ces organismes, dont l’Homme.

Micro-photographies de quelques espèces de phytoplancton marin de tailles comprises entre 5 et 100 µm observés en Manche Orientale à l’aide d’un cytomètre en flux imageur. (CytoSense), Fourni par l'auteur

Des nutriments de plus en plus difficiles à trouver pour le phytoplancton

Et le changement climatique dans tout ça ? Principalement dû à l’augmentation des gaz à effet de serre, il a conduit à une augmentation de la température atmosphérique et océanique de +0.88 °C depuis le début du 20ᵉ siècle (de 1850-1900 à 2011-2020) et les modèles prévoient que ces augmentations perdurent, entre +0.86 et +2.89 °C, selon les scénarios à horizon 2100.

L’augmentation de la température de l’eau a des effets sur de nombreux autres phénomènes physico-chimiques tels que la modification des masses d’eau (stratification), les changements des courants voire de la circulation océanique globale, l’augmentation du niveau de la mer, l’acidification des océans, la modification des précipitations et des apports terrigènes (fleuves, rivières, eaux de ruissellements) ainsi que l’augmentation des évènements extrêmes (vagues de chaleur, ouragans/typhons, pluies diluviennes).

Pour le phytoplancton, cela se traduirait par une difficulté à accéder aux nutriments qui lui sont nécessaires pour sa croissance, favorisant des cellules de plus petites tailles plus compétitives dans ces conditions. Ces cellules phytoplanctoniques de petites tailles peuvent alors être moins productives pour l’écosystème. D’autre part, l’augmentation de la température accroît l’activité de prédation du zooplancton sur le phytoplancton, amplifiant la diminution des cellules de plus grandes tailles qui seront majoritairement consommées.

Globalement, cela pourrait donc entraîner des conséquences sur l’ensemble des réseaux alimentaires marins avec des répercussions prévisibles sur la pêche et les espèces marines commerciales.

Comment étudier ce phytoplancton invisible à l'oeil nu ?

Pour évaluer ces effets globaux qui se dessinent en cascade, point de secret, il faut tâcher de monitorer scrupuleusement les façons dont le réchauffement climatique impacte le phytoplancton. Or la découverte de l’importance du phytoplancton est relativement récente à l’échelle de l’histoire de la science, et depuis lors, les méthodes pour étudier ces organismes invisibles à l’œil nu ont bien évoluer.

Fourni par l'auteur

La nécessité d’acquérir davantage de données a de fait entraîné l’augmentation des campagnes et des observations, avec une volonté d’adapter les méthodes et approches d’observation en les rendant plus rapides et robustes, aussi bien lors de la mesure que lors de l’analyse a posteriori. Pour cela, des méthodes automatisées d’analyse du phytoplancton ont été mises en place afin de pouvoir analyser l’ensemble de ce compartiment le plus régulièrement possible.

Ces instruments reposent notamment sur des mesures optiques basées sur la fluorescence des pigments des microalgues (fluorimètres mono- et multi-spectraux), l’imagerie (imageur automatisé similaire au microscope optique) et la mesure de paramètres optiques cellulaires (cytométrie en flux). La véritable force de ces méthodes est qu’elles peuvent être déployées sans intervention humaine majeure pendant plusieurs jours voire semaines, et donc permettre d’acquérir des données à des résolutions jamais obtenues préalablement à bord de navire de recherche, de bouées, ou de mesure de routine.

En parallèle et de manière complémentaire, la diversité phytoplanctonique peut aussi être étudiée de façon quasi-exhaustive grâce aux outils de biologie moléculaire et des nouvelles technologies de séquençage de l’ADN. C’est avec ces méthodes que le Laboratoire d’Océanologie et de Géosciences de Wimereux (Pas-de-Calais) a acquis pléthore de données concernant le phytoplancton en Manche et plus spécifiquement au niveau du Détroit du Pas-de-Calais (campagnes DYPHYRAD).

Bouteille Niskin avec un plomb pour la refermer, rosette contenant une sonde CTD (température et conductivité/salinité) ainsi que plusieurs bouteilles Niskin et filet à phytoplancton. Fourni par l'auteur

L’analyse de ces données recueillies chaque semaine depuis plus de dix ans, nous a permis de mettre en évidence des changements locaux, notamment au niveau des écosystèmes côtiers. C’est particulièrement le cas de la température de l’eau de mer, qui au cours des dix dernières années, a augmenté de +0.9 à +1.2 °C avec un réchauffement plus important des eaux les plus proches de la côte. Des changements dans les concentrations en sels nutritifs (nitrite, nitrate, phosphate, silicate) nécessaires à la croissance et développement du phytoplancton ont également été mis en évidence.

Mesures en continu à bord du Sepia II (navire de la Flotte Océanographique Française) grâce à un cytomètre en flux automatisé. Fourni par l'auteur

Pendant de nombreuses années, des engrais azotés ont été utilisés en agriculture pour fertiliser les terres, ce qui a conduit, en cas de rejets excessifs dans les eaux, à des proliférations importantes d’algues, parfois toxiques, et à une dégradation de la qualité de l’eau. Dans notre zone d’étude cependant, les concentrations en nitrites et nitrates que l’on peut corréler à l’utilisation d’engrais agricoles, tendent à diminuer récemment proche des côtes, alors qu’elles étaient encore excessives il y a une dizaine d’années. En revanche, les phosphates, principalement issus du ruissellement des eaux usées, ont montré une tendance à l’augmentation au cours des dix dernières années. Les silicates quant à eux, semblent augmenter davantage au large, provenant principalement de l’altération des roches. Or la silice joue un rôle clé, notamment pour les diatomées (un type de phytoplancton), dans la formation de leurs parois cellulaires.


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Une diminution de la masse globale des phytoplanctons

Toutes ces modifications environnementales semblent avoir ainsi influencé le phytoplancton marin, entraînant une diminution de sa masse totale mais une augmentation du nombre de cellules de phytoplancton présentes (comptabilisé par cytométrie en flux automatisée).

Cela s’explique principalement par une croissance des cellules phytoplanctoniques de très petite taille, invisibles même au microscope traditionnel (les cyanobactéries et le picophytoplancton de moins de 3 µm de diamètre), tandis que les cellules de plus grande taille (notamment le microphytoplancton, > 10 µm) tendent à diminuer, en particulier près des côtes. Ce changement de taille au sein des communautés phytoplanctoniques a déjà été observé dans des contextes d’augmentation de la température ou de conditions environnementales pauvres en nutriments, où ces petites cellules sont généralement plus compétitives.


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Bien que plus nombreuses, ces cellules phytoplanctoniques de plus petite taille ont tendance à moins bien soutenir la productivité des réseaux alimentaires marins. Une diminution de 16 % de la masse totale du phytoplancton pourrait ainsi entrainer une diminution de 38 % de la masse de poissons, avec potentiellement des conséquences sur les stocks halieutiques et les rendements de la pêche. De plus, ces cellules de plus petite taille auraient également une capacité moindre à séquestrer le carbone organique par rapport aux cellules plus grandes.

Par ailleurs, nous ne serions pas à l’abri d’un déséquilibre pouvant augmenter l’incidence d’apparition d’espèces non indigènes et/ou espèces formant des proliférations de microalgues nuisibles (Harmful Algal Blooms-HABs) pour les communautés animales et/ou humaines.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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