Le polyamour — la possibilité d’avoir plus d’un partenaire amoureux à la fois, avec le consentement de chaque personne — est en hausse, en particulier chez les gens de moins de 45 ans.
En même temps, on nous dit que les jeunes se détournent de plus en plus des histoires d’amour et des rencontres. À première vue, ces tendances semblent contradictoires. Les jeunes générations veulent-elles plusieurs conjoints ou pas de conjoints du tout ? Que se passe-t-il donc ?
En fait, si on les considère du bon angle, ces deux phénomènes sont le reflet d’une même cause. Un changement fondamental est en cours : notre société apprend à accepter diverses visions de ce que signifie « mener une bonne vie ».
Nous pouvons examiner la situation en nous penchant sur chaque tendance séparément.
Chacun vit sa vingtaine et sa trentaine à sa façon. Certains économisent pour contracter un prêt hypothécaire quand d’autres se démènent pour payer leur loyer. Certains passent tout leur temps sur les applications de rencontres quand d’autres essaient de comprendre comment élever un enfant. Notre série sur les 25-35 ans aborde vos défis et enjeux de tous les jours.
Pas facile de rencontrer quelqu’un
Les jeunes sont de plus en plus nombreux à abandonner le monde des rencontres, et c’est compréhensible. Qu’on cherche soi-même l’amour ou qu’on suive les péripéties d’un ami qui le cherche, on comprend vite que cela peut devenir un cauchemar.
Faire des rencontres coûte cher. On risque constamment le rejet ou, pire, d’être perçu comme quelqu’un de malaisant. Les applications de rencontres ont subi une véritable « merdification » : des services autrefois relativement décents et gratuits sont aujourd’hui considérés comme moins bons et hors de prix.
Et si on commence une relation ? Aujourd’hui, dans une « couple typique » — qui reste, dans l’ensemble, hétérosexuel, monogame et de type conjugal —, il est statistiquement probable que la femme s’occupe de la plupart des tâches ménagères et des enfants, et ce, même lorsqu’elle est le principal soutien de famille.
Elle est sans doute aussi responsable de la majeure partie du travail émotionnel. Les jeunes femmes ont grandi en voyant leurs mères épuisées par ce type de relation qui était la norme, et il n’est pas surprenant qu’elles ne souhaitent pas le reproduire.
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D’un autre côté, les jeunes hommes trouvent de plus en plus les rencontres démoralisantes, en particulier via les applications, et peuvent être tentés d’abandonner. Une étude réalisée en 2022 a révélé que 63 % des hommes américains de moins de 30 ans étaient célibataires et que la moitié d’entre eux ne cherchaient pas à être en couple.
Déstigmatiser le polyamour et le célibat
On peut être tenté de mettre l’accent sur les aspects négatifs de ces tendances. Ils sont importants en soi. Mais elles ne découlent pas seulement du fait que les rencontres sont difficiles. Il se produit quelque chose de plus profond — et de moins déprimant.
On s’efforce de déstigmatiser le célibat en le présentant comme une option réaliste et souhaitable.
L’idée n’est pas tant que les gens sont dégoûtés du couple traditionnel, c’est plutôt qu’ils sont attirés par autre chose : bâtir une famille ne correspondant pas au modèle de la famille nucléaire qui repose sur un couple amoureux monogame.
Une fois qu’on a compris cela, on peut commencer à contextualiser l’autre tendance. Le polyamour est de plus en plus accepté, au point que la loi canadienne a pris certaines mesures pour reconnaître les familles polyamoureuses.
On peut penser que le polyamour est l’opposé du célibat, mais à certains égards, les deux statuts se ressemblent : ils représentent des approches de la vie qui ne se basent pas sur une relation traditionnelle ou qui n’en font pas une priorité.
Les relations et les familles polyamoureuses peuvent prendre toutes sortes de formes. Par exemple, quatre personnes vivent ensemble dans le cadre d’une relation de cohabitation. Ou quelqu’un a une relation avec deux personnes qui ne se fréquentent pas entre elles, et les trois vivent séparément. Il n’existe pas de formule toute faite.
Le seul type de relation qui vient avec une formule prescrite est la monogamie. Et elle repose sur l’hypothèse selon laquelle c’est ce que tout le monde devrait souhaiter. C’est ce qu’on appelle la mononormativité : l’injonction faite à chacun de vivre en couple. Le célibat est une forme d’écart par rapport à cette norme, et le polyamour en est une autre.
Des stéréotypes tenaces
Si vous avez toujours vécu des relations monogames, il peut être difficile de surmonter certaines idées reçues sur le polyamour. Pour comprendre comment la mononormativité réduit nos options, il suffit de prêter attention aux types de stigmates sociaux attachés à la fois au polyamour et au célibat.
Les polyamoureux sont considérés comme des personnes aux mœurs légères, superficielles, obsédées par la sexualité et souffrant d’une phobie de l’engagement.
Pour ce qui est des célibataires, on les perçoit comme des êtres solitaires, pathétiques et affligés d’un défaut incurable qui les empêche de nouer des relations. Si vous êtes un jeune célibataire, vous avez probablement déjà rencontré ces stéréotypes.
Ces préjugés suscitent des émotions différentes : les polyamoureux peuvent faire naître de la colère ou du dégoût, tandis que les célibataires engendrent la pitié ou le mépris.
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Le point commun de ces idées reçues et de ces réactions est qu’elles témoignent d’un manque de respect, d’une incapacité à reconnaître la valeur de ce type de vie. Avoir une vie dont on sait qu’elle ne sera pas respectée n’est pas facile. On a tendance à se remettre en question, et le manque de soutien des amis, de la famille et de la société dans son ensemble rend plus difficile la construction de la vie que l’on souhaite.
D’autre part, si l’emprise de la mononormativité sur nos sociétés commence à faiblir, on devrait s’attendre à ce que les gens choisissent davantage de nouvelles formules, car ils ne subiront plus autant de pression de conformité. À mesure que la société accepte une plus grande diversité de vies comme étant « bonnes », nous sommes mieux à même de décider de manière authentique comment, et avec qui, nous voulons vivre.
Évitons toutefois un excès d’optimisme. Les représentations nuancées des relations polyamoureuses et de la vie de célibataire sont encore insuffisantes, et les préjugés sont très présents. En outre, vivre seul coûte cher et la plupart de nos structures sociales et juridiques reposent toujours sur l’hypothèse que toutes les relations sont monogames.
La stigmatisation sociale est encore bien réelle. Si vous en subissez les effets, il est important de trouver des communautés de soutien, que ce soit en ligne ou en personne. Demander des conseils et lire peut également contribuer à lutter contre le sentiment d’isolement si les personnes qui vous entourent ne comprennent pas vos choix.
Ces deux tendances apparemment opposées — le polyamour et le célibat — éveillent néanmoins chez moi un certain optimisme et me poussent à croire que les jeunes vont bien. Dans l’ensemble, ces tendances semblent indiquer qu’ils sont de plus en plus réfractaires à la pression de vivre une relation dite normale et qu’ils valorisent une diversité de façon de vivre et d’aimer.
La philosophe existentialiste Simone de Beauvoir affirme que l’amour authentique doit être fondé sur l’appréciation de l’autre personne dans son entièreté, lui donnant ainsi la liberté de devenir qui elle souhaite être. C’est ce qu’elle a écrit en 1949. Peut-être commençons-nous à l’écouter.