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Une femme assiste à une vigile devant l'hôpital où Joyce Echaquan est morte à Joliette, au Québec, le mardi 29 septembre 2020, après avoir fait l'objet de remarques dégradantes. LA PRESSE CANADIENNE/Paul Chiasson

Le principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination

La mort de Joyce Echaquan dans des circonstances horribles à l’hôpital de Joliette, après avoir été victime de propos dégradants de la part d’infirmières, a relancé le débat sur le racisme systémique. En santé, le problème est flagrant. Or une solution existe : la sécurisation culturelle.

Les circonstances entourant le décès de Joyce Echaquan, le 28 septembre dernier, offrent un exemple poignant du racisme systémique qu’expérimentent les autochtones dans notre système de soins. Ce racisme, à l’interface des interactions entre patients, prestataires et structures institutionnelles, se pose comme un artefact du colonialisme dans notre système de soins.

Depuis 2018, les partenariats de recherche que j’ai développés avec la communauté de Manawan ont permis de documenter les enjeux de racisme auxquels font face les patients Atikamekw. Ensemble, nous essayons de définir et mettre en place des solutions axées sur la sécurisation culturelle, une approche qui place la culture autochtone au centre de la transformation des soins de santé.

Un système colonialiste

Le rapport de la Commission Viens l’a bien mis en évidence : notre système de santé est érigé sur des politiques colonialistes, qui perpétuent les rapports de pouvoir et les processus d’exclusion sociale existant plus largement dans la société. Au plan structurel, le colonialisme s’incarne au sein de l’organisation des soins, des programmes et des pratiques de soins, qui sont construits sur la base des valeurs, des principes et des perspectives de la culture dominante (occidentale), très peu adaptés aux besoins des patients autochtones.

La médecine occidentale, par exemple, est fondée sur un modèle biomédical de la santé, tandis que plusieurs cultures autochtones conçoivent le bien-être de manière holistique, en intégrant les dimensions spirituelle, émotionnelle, mentale et physique de la santé.

Des gens participent à une manifestation contre le racisme systémique à Montréal, le samedi 3 octobre 2020. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes

Nos services de santé, construits et gérés conformément aux visions du monde occidentales, renforcent la suprématie culturelle occidentale, désavouant socialement et politiquement les pratiques et les connaissances traditionnelles (millénaires) des autochtones en matière de santé. Tel un reflet du racisme structurel ancré au sein de l’organisation de nos institutions sociales, les interactions entre les patients autochtones et les prestataires de soins de santé sont souvent caractérisées par la stigmatisation, la discrimination et le racisme.

L’effet du racisme sur la santé

En plus d’être totalement inacceptable aux vues des principes d’universalité et d’égalité qui gouvernent notre système de santé, le racisme a des conséquences désastreuses sur la santé des populations autochtones, déjà fragilisées par leurs conditions sociales précaires. Ainsi, la littérature scientifique a montré que les patients qui sont victimes de racisme et de discrimination ont tendance à anticiper les interactions avec les professionnels de santé, à sous-utiliser les services de santé et à sous-rapporter leurs symptômes auprès de leurs professionnels. Cela a pour effet d’augmenter des inégalités de santé déjà bien présentes pour les Autochtones, en nuisant au dépistage des maladies et à la prestation de soins appropriés.

Pour les Autochtones, le racisme dans les soins de santé s’ajoute à d’autres micro-agressions et facteurs de stress environnementaux qui diminuent la capacité de l’individu à y faire face. Cette exposition chronique à différents facteurs de stress précipite le déclin des fonctions biologiques, augmentant le risque de maladies pour les populations autochtones. Il s’agit d’un phénomène décrit par la recherche comme « la charge allostatique », qui a été documenté pour plusieurs populations minoritaires, telles que les Autochtones.

Renverser le rapport de pouvoir

Depuis plusieurs années, la culture est reconnue comme un élément central à mettre de l’avant afin de promouvoir la guérison et d’améliorer la santé des populations autochtones. Développée par une infirmière maorie, la sécurisation culturelle est une approche de transformation des soins de santé qui recentre l’attention sur les besoins, les valeurs, les droits et l’identité culturelle des patients autochtones. L’objectif de la sécurisation culturelle est de démanteler le colonialisme sous-jacent au système de soins. Elle permet de mieux considérer les déterminants sociaux, culturels, économiques et politiques qui ont une influence sur la santé des autochtones.

L’approche de la sécurisation culturelle suppose la mise en place de partenariats égaux entre les professionnels de santé et les communautés autochtones. Elle nécessite un engagement et une participation active des patients et des professionnels dans la prestation des soins de santé, ainsi que la protection de l’identité culturelle des patients autochtones. Dans cette perspective, les caractéristiques essentielles des pratiques et de l’organisation des soins doivent être définies par les communautés qui reçoivent les soins, conformément à leurs propres valeurs et normes culturelles. Le but est de renverser les rapports de pouvoir existants en offrant une place centrale aux voix historiquement marginalisées des populations autochtones.

Au-delà du concept, plusieurs pratiques illustrent comment la sécurisation culturelle des soins peut être déployée concrètement. Accorder une plus grande place à la main-d’œuvre autochtone dans le système de soins, en particulier dans les organisations qui desservent ces communautés, est un bon exemple.

Réduire les barrières

D’autre part, la sécurisation culturelle exige d’améliorer les connaissances des professionnels concernant la diversité culturelle de leur clientèle, ainsi que leurs compétences à mettre en œuvre des rencontres thérapeutiques sécuritaires et respectueuses des patients. Ces formations doivent permettre aux professionnels de reconnaître l’influence de leur propre culture sur les soins qu’ils donnent, de prendre conscience de leurs privilèges et de leur position de pouvoir dans le système de santé.

En outre, plusieurs interventions visent à réduire les barrières d’accès aux soins pour les patients autochtones, en offrant des services d’interprète, de liaison et de coordination pour les patients. Un modèle populaire dans la littérature est celui des « navigateurs-patients », où des pairs ou des professionnels de santé jouent le rôle d’intermédiaires entre le patient et le système de soins. Les navigateurs peuvent remplir une variété de rôles, allant jusqu’à prendre des rendez-vous, organiser le transport, accompagner les patients lors des consultations, traduire ou vulgariser les recommandations des professionnels. Ils peuvent procurer un soutien émotionnel ou diriger le patient vers des ressources de soutien communautaires.

D’un point de vue organisationnel, d’autres interventions visent plutôt à ancrer la spiritualité autochtone dans les pratiques traditionnelles de santé. La modification des structures organisationnelles afin d’inclure la voix des communautés desservies et de soutenir la modification des pratiques est aussi une façon de promouvoir la sécurisation culturelle.

En somme, ce concept s’applique à différents niveaux ; l’idéal étant la mise en place de stratégies agissant en synergie. Toutes ces solutions nécessitent des partenariats solides avec les communautés concernées, ainsi qu’une volonté politique pérenne. Celle-ci doit débuter avec la reconnaissance formelle de l’existence du racisme systémique et le droit d’accès des Autochtones à des services de santé libres de discrimination, tel que le propose le Conseil des Atikamekw de Manawan avec le Principe de Joyce.

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