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Photographie d'un protée.
Le protée : un amphibien pouvant vivre 100 ans. Patrick Cabrol, CNRS Moulis, Fourni par l'auteur

Le protée : un amphibien des cavernes pouvant vivre plus de 100 ans grâce à son ADN particulier

Qu’est-ce que vieillir ? Biologiquement parlant, vieillir c’est subir un processus continu et progressif d’altération naturelle des performances autant en termes de survie que de reproduction.

Depuis longtemps les scientifiques recherchent des mesures fiables du vieillissement. S’il peut se mesurer grâce à différents marqueurs comme la force musculaire, la fonction pulmonaire, les taux hormonaux, la longueur des télomères reste un standard reconnu. Nous venons de publier une étude qui s’intéresse à cette variable chez le protée, un petit amphibien qui défie notre compréhension de la longévité chez les animaux au regard de ces télomères.

Découverts dans les années 30, ces séquences particulières d’ADN constituent des sortes de capuchons aux extrémités des chromosomes. Ces morceaux d’ADN sont constitués de répétitions de séquences non codantes (elles ne sont pas la base de production de protéines).

L’ADN est composé de 4 bases nommées Adénosine (A), Thymine (T), Cytosine (C) et Guanine (G). Les séquences des télomères sont différentes en fonctions des groupes d’organismes (TTAGG chez les arthropodes, TTAGGG chez les vertébrés et TTTAGGG chez les plantes) et le nombre de répétitions est également variable. Chez l’homme, par exemple la séquence TTAGGG est répétée sur environ 1 000 paires de bases.

Chez l’humain, les télomères raccourcissent avec l’âge

On sait maintenant clairement que la longueur des télomères diminue avec l’âge et les télomères plus courts sont associés à une augmentation du risque de mortalité. Pourquoi ? Car à chaque division cellulaire, 25 à 200 bases sont perdues aux extrémités des télomères de chaque chromosome mais, grâce aux télomères, sans affecter les séquences codantes (servant de base à la formation des protéines). Sans télomères, des séquences de cet ADN codant seraient perdues chaque fois qu’une cellule se divise (généralement environ 50 à 70 fois) et cela conduirait éventuellement à des mutations et/ou la perte de gènes entiers.

Lorsque le télomère est devenu trop court, le chromosome atteint une « longueur critique » et ne peut plus être répliqué ; l’apoptose (ou mort cellulaire programmée) est alors déclenchée.

À l’inverse, si la télomérase (l’enzyme qui synthétise les télomères) a une activité forte, la longueur des télomères est maintenue, et le vieillissement de la cellule est retardé, par exemple dans les cellules de la lignée germinale (ovules et spermatozoïdes) et dans les cellules cancéreuses.

Cette relation étant générale et de nombreuses fois démontrée chez les mammifères et les oiseaux, les télomères sont devenus une sorte d’horloge moléculaire universelle.

Chez le protée, les télomères s’allongent avec l’âge

Pourtant, chez les ectothermes (reptiles, amphibiens, insectes, mollusques, etc.) qui sont des animaux qui des croissances continues et conservent généralement des activités « télomérase » importantes dans toutes les cellules même somatiques (toutes cellules d’un organisme à part ovule ou spermatozoïdes) et ce tout au long de la vie. Les diminutions des télomères avec l’âge chez ces animaux deviennent beaucoup moins claires, voire inexistantes comme chez certains mollusques.

Une telle variabilité parmi les espèces ectothermes a souvent été attribuée aux effets de la température environnementale qui déterminent le métabolisme, la croissance et même la mortalité chez ces animaux. En effet, des températures plus basses entraînent généralement chez les ectothermes des taux de croissance plus faibles mais des tailles adultes plus grandes et des longévités plus importantes.

Or, il existe quelques espèces d’animaux ectothermes vivant naturellement à des températures stables sur l’ensemble de leur vie. Parmi ces espèces particulières, on trouve le protée (Proteus anguinus) qui est un amphibien cavernicole.

Photographie d’un protée
Les télomères du protée ne raccourcissent pas avec l’âge comme chez l’humain. Patrick Cabrol, CNRS Moulis, Fourni par l'auteur

Dans une grotte à la température constante, cet urodèle d’une vingtaine de centimètre, blanc, sans yeux et avec des branchies externes rouges peut vivre pendant plus de 100 ans et ne se reproduit que tous les 7 ans en moyenne. Ces données proviennent de l’unique élevage au monde commencé juste après la Seconde Guerre mondiale dans une grotte des Pyrénées (à Moulis, France) équipée de multiples bassins approvisionnés avec l’eau courante à 12 °C d’une rivière souterraine naturelle reproduisant fidèlement l’habitat naturel de cet animal.

Voilà donc un organisme qui vit longtemps et avec lequel il n’y a pas d’effet de la température ! Nous avons donc mesuré la longueur des télomères sur des protées allant de 4 à 41 ans et ils… augmentent avec l’âge, et ce aussi bien chez les femelles que les mâles ! Est-ce là la clef de sa longévité ? En tout cas cela montre que certains organismes ont sélectionné des mécanismes qui brisent le schéma classique de raccourcissement des télomères lié à l’âge.

Fait intéressant, le protée, comme le rat-taupe, certains poissons des grands fonds et certains mollusques arctiques, semblent appartenir à un petit groupe d’organismes qui sont de petite taille mais avec des durées de vie très importantes. Le rat-taupe (Heterocephalus glaber) pèse 35 grammes et vit plus de 30 ans ; un des champions de la longévité étant le mollusque appelé praire d’Islande (Arctica islandica) qui peut vivre jusqu’à 400 ans en ne pesant que quelques centaines de grammes.

L’extrême longévité de ces petits organismes s’explique en partie par leur habitat en général très stable et leur aptitude à réduire le risque de prédation, mais des télomères qui restent de même longueur qui augmenterait avec l’âge pourraient également être une de leur signature.

Mais cela aurait également des conséquences surprenantes. En effet, si les télomères longs protègent de la sénescence cellulaire, la surutilisation des processus de maintenance des télomères pourrait augmenter le risque d’immortalisation cellulaire et donc de cancer. Cela pourrait expliquer pourquoi il a été montré des mécanismes anticancéreux spécifiques chez le rat-taupe.

Est-ce le cas chez le protée ? Cela reste une question ouverte mais l’étude de la biologie d’animaux à longue durée de vie restant en bonne santé et capables de maintenir des niveaux élevés de reproduction jusque tard dans leur vie contribuera à notre meilleure compréhension de la façon dont les processus de vieillissement ont évolué en réponse aux facteurs environnementaux.

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