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Le quatuor Annesci, la métaphore de l’orchestre à cordes pour comprendre le management

Ce collectif musical d'Annecy entrecoupe ses prestations par des explications managériales. Capture d'écran Youtube.

La musique, au même titre que d’autres activités artistiques ou sportives, offre une analogie attrayante pour porter un nouveau regard sur le travail d’équipe et le management. La littérature de gestion et les intervenants en entreprise évoquent la « pédagogie par le détour ». La découverte du quatuor Annesci décrite ici par Miguel, entrepreneur, illustre bien l’effet miroir de la musique sur les pratiques managériales.

« 18h10. En retard, je m’assois sur l’une des rares chaises encore libres, au premier rang. Devant moi, quatre musiciens jouent un morceau que j’écoute d’une oreille distraite. Je relis le carton d’invitation : “Osez l’émotion en management !”. Dirigeant d’une petite entreprise de services, je suis toujours à la recherche de sources de réflexion originales. Malgré mon emploi du temps chargé, j’ai suivi les conseils d’un ami qui m’a recommandé d’assister à cette présentation. Mais une négociation difficile avec un client, un dossier à boucler pour demain et 30 minutes de bouchon rendent mon cerveau peu perméable à l’écoute de la musique. Juste au moment où je commence à évacuer mes pensées du jour, le concert se termine !

Le violoniste prend la parole. Il explique que le quatuor est un ensemble musical exigeant qui vise l’harmonie parfaite. Il nous propose ensuite d’entrer dans le monde très secret des répétitions et de jouer le rôle du formateur. La simulation est captivante. Les musiciens jouent plusieurs fois le même extrait mettant chaque fois en évidence un défaut. La prestation du quatuor devient ennuyeuse, voire cacophonique. Je n’y connais rien en musique, pourtant, il est frappant de voir combien la somme des jeux individuels ne donne pas naturellement un son collectif harmonieux. Nos clients identifient-ils avec la même acuité nos dissonances internes ? Progressivement, le quatuor nous montre ce qu’il faut mettre en place pour jouer correctement : écoute, empathie, partage des rôles, responsabilisation de chacun, soutien collectif, etc. Tous les ingrédients nécessaires à la création d’une équipe sont évoqués. Je ne suis pas musicien, mais il est incroyable de constater la différence de qualité sonore, quand tout ou partie de ces ingrédients sont développés. “Sommes-nous arrivés à la perfection ?” demande alors le premier violon. Le public hésite. “Pas encore”, dit-elle, si nous sommes maintenant techniquement bons, il nous manque l’émotion, ce supplément d’âme qu’on puise au fond de soi-même et qui fait la différence. Le même morceau est à nouveau joué par le quatuor et cette fois, le résultat est incroyable ! J’ai l’impression de toucher la substance de la musique. Au fond, le stade ultime du travail d’équipe n’est-il pas le retour vers l’individu ?

Je suis en pleine introspection quand, pour aborder le thème du leadership, le quatuor demande un volontaire pour tenir le rôle du chef d’orchestre. Après maintes hésitations, quelqu’un se lève et entame des mouvements désordonnés de chef d’orchestre. C’est incroyable de voir comme le quatuor s’adapte et suit les mouvements. “C’est comme piloter une Formule 1”, dit l’un des volontaires. Pour un autre : “On conduit autant le quatuor qu’il nous conduit”. Le leader et ses troupes entraînés dans la même dynamique, chacun apportant à l’autre… voilà une belle métaphore pour l’entreprise ! Je suis surpris par la diversité des styles. Certains se mettent en retrait, d’autres au cœur du quatuor, très directs ou plus souples… “Pourquoi vouloir copier un modèle qui n’est pas le sien ?”, s’interrogent les musiciens, “cet exercice, dans une situation où vous ne maîtrisez pas le contenu, permet de revenir à vos savoir-faire personnels, à la qualité de votre présence relationnelle, à la confiance que nous devons établir entre nous”. Et moi, dans mon entreprise, ne devrais-je pas lâcher prise parfois, sans intervenir systématiquement ou imposer une méthode ? Passer de “l’homme-orchestre” au “chef d’orchestre” ?

L’orchestre termine par un miniconcert d’une dizaine de minutes. Je n’ai jamais écouté avec autant d’intensité un moment de musique. Au-delà des musiciens, je voyais mes collaborateurs, se passant avec fluidité les informations, les décisions et les actions en totale harmonie. »

« Les Violons du management », quatuor Annesci (TEDx Annecy, 2017).

Formés auprès des plus grands, le quatuor Annesci construit un parcours atypique marqué par une volonté de multiplier les rencontres et les sources d’apprentissage. Cette soif de découvertes les a amenés à jouer dans des écoles, des prisons et bien sûr dans des entreprises et les musiciens ont construit, au fil du temps, une démarche d’illustration du travail d’équipe au travers de leur expérience musicale. Leur prestation, source d’inspiration pour Miguel, met en lumière les deux lois fondatrices de la dialectique individu-collectif, inhérentes à toute performance collective, qu’elle soit artistique, sportive ou organisationnelle.

Plus que la somme des individualités…

Le quatuor à cordes est certainement l’une des configurations les plus exigeantes dans le monde de la musique classique. Dans un orchestre, c’est la cohésion d’ensemble qui prime et les individus doivent s’effacer au profit du collectif. Dans un quatuor, il s’agit de créer une cohésion entre quatre musiciens qui doivent conserver un jeu de solistes, et ceci sans chef d’orchestre ! Un parfait équilibre entre unité et diversité !

Pour parvenir à cette cohésion, la première étape consiste à construire le passage d’un savoir-faire individuel à une performance collective. Le quatuor reconstruit avec les participants, au cours de l’intervention, tous les ingrédients clés qui permettent de passer d’une situation où quatre musiciens, excellents solistes, sont confrontés à la situation de créer de la synergie pour obtenir un résultat collectif supérieur à la somme de leurs talents individuels.

C’est le problème de fond auquel est confrontée toute équipe, quel que soit le contexte. Toute la démonstration est construite autour de la présentation de mécanismes concrets, qui montrent comment se créent des liens, des interdépendances et des complémentarités entre les musiciens. En jouant plusieurs fois le même extrait musical, mettant en évidence à chaque fois un défaut, ils démontrent comment la notion d’ensemble gagne progressivement en intensité quand chacun accepte d’articuler son talent individuel avec celui des autres. Alors, le quatuor passe de quatre instruments à quatre cordes, maîtrisés par chacun des musiciens, à un seul instrument à 16 cordes maîtrisé par le groupe !

Prise de risque individuelle nécessaire

Pour autant, le travail d’équipe ne constitue qu’une étape sur la voie de l’excellence. Poussé à l’excès, le collectif présente le risque de dissoudre la singularité des personnalités. À la fin de la répétition simulée, les participants sentent intuitivement que, pourtant, le résultat n’est pas artistiquement satisfaisant, même si tous les éléments propices à un travail d’équipe sont en place.

Les musiciens passent à la seconde étape de leur raisonnement, le retour vers l’individu. Une équipe performante n’est pas qu’une mécanique bien huilée dans laquelle se fond l’individu. C’est un espace dans lequel, en retour de ses contributions au groupe, l’individu doit grandir et se développer en tant que personne.

Tout en respectant scrupuleusement les règles collectives élaborées précédemment, chaque musicien se recentre sur sa capacité individuelle à donner le meilleur de lui-même et à exprimer sa singularité. Cependant, cette étape est personnellement lourde et fragilise l’artiste. Certains artistes de théâtre utilisent l’expression « se mettre à nu devant un public » pour illustrer cette prise de risque individuelle.

Partager l’émotion

Dans le contexte de l’entreprise, il est souvent plus confortable et rassurant de se protéger derrière des règles de jeu collectives que de laisser libre cours à l’expression de son potentiel intellectuel, émotionnel et relationnel pour en tirer le meilleur. C’est pourtant dans la capacité des individus à retrouver leur authenticité que se trouvent les plus grands réservoirs de performance, quelle que soit la façon dont on la mesure (émotion, énergie, créativité, etc.).

Moyen d’expression universel, la musique permet de faire ressentir des situations simples ou complexes et de les imprimer dans la mémoire en ayant recours à la « résonnance des émotions ».

Une intervention en entreprise du quatuor Annesci peut servir de déclencheur, de catalyseur, de point d’orgue, ou les trois à la fois. Quoi qu’il en soit, elle demande à être intégrée à un projet général qui lui donnera tout son sens : la mise en intelligence – et pourquoi pas en musique –, par l’entreprise, de l’ensemble de ses membres autour d’une vision partagée, d’un projet soumis à son tour à « l’exigence de l’émotion partagée ». Si la musique aide à trouver une vision, c’est au management de définir le projet adapté. En ce sens, musique et management peuvent entrer en harmonie.

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