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Le revenu universel, la solution aux inégalités homme-femme ?

La répartition des tâches au sein du foyer est très déséquilibrée. Un revenu universel permettrait de rémunérer ce travail invisible. Shutterstock

De nombreuses inégalités de genre semblent encore fermement ancrées. Elles résistent aux diverses lois et mesures politiques en faveur de l’égalité homme-femme. Comment remédier à cette situation ? Le revenu universel pourrait être une solution.

Le revenu universel, une innovation dans la lutte contre les inégalités

Mis en avant en France lors des élections présidentielles de 2017, le revenu universel est encore discuté à travers le monde. Une résolution récente du Conseil de l’Europe a confirmé cet intérêt soutenu, de même que les nouvelles études de faisabilité et expérimentations à l’échelon local, réalisées aux quatre coins du monde. Mais est-ce pour autant la solution politique appropriée pour les femmes, contre ces inégalités de genre tenaces ?

Les femmes, une population à risque avéré

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles un revenu universel accordé aux femmes pourrait être une bonne idée. Tout d’abord, les femmes sont sur-représentées parmi les individus en situation de pauvreté à travers le monde. Ensuite, il a été mis en évidence que le lien entre le système de protection sociale actuel et le travail rémunéré désavantage systématiquement les femmes : elles sont plus souvent que les hommes amenées à s’absenter du marché du travail pour prendre soin des autres. De plus, elles ont un accès plus limité aux transferts de revenu et ont tendance à être moins bien payées que leurs homologues masculins pour le même travail. Enfin, de nombreux obstacles continuent à les empêcher d’accéder aux postes à haute rémunération. Cette position de faiblesse peut également mener vers d’autres écueils, comme les risques de violences conjugales résultant d’une situation de dépendance financière.

En dissociant les revenus des prestations sociales et en étant versé aux individus plutôt qu’aux ménages, le revenu universel apporterait aux femmes une plus grande stabilité financière, une meilleure prédictibilité et une réelle indépendance.

Un complément pour les femmes sous-payées ?

Un revenu universel protégerait également les personnes qui occupent des emplois faiblement rémunérés, qui sont en majorité des femmes. Avec l’assurance de percevoir revenue de base, travailleurs et travailleuses ne seraient pas contraints d’accepter le premier emploi venu. Ils pourraient patienter jusqu’au moment où l’opportunité d’un poste correspondant mieux à leurs qualifications et expérience se présenterait, accompagné d’un salaire plus élevé et de meilleures conditions de travail.

Attention toutefois : de nombreux secteurs où les femmes constituent l’essentiel de la main-d’œuvre ont des taux de rémunération faibles. On suppose par exemple implicitement que les employés des domaines de la santé, de l’éducation et du social occupent ces postes par vocation, et non par motivation financière. Plutôt que de s’attaquer à ce problème de la sous-évaluation des professions à prédominance féminine dans le secteur des services et du soin, il existe un risque que le revenu universel soit utilisé pour compléter ce travail féminin peu rémunéré.

Des risques cachés

La répartition des tâches au sein du foyer serait la cause principale de la plupart des inégalités de genre. Un revenu universel inconditionnel n’est bien entendu en aucun cas inféodé à une exigence de tâches domestiques ou de soin par la personne qui le reçoit. Cela signifie que les hommes qui aident peu à la maison recevraient malgré tout la même somme. En revanche, ceux qui travaillent plus et qui se reposent sur les autres pour assurer ces tâches aideraient efficacement les personnes recevant le revenu de base par le biais de l’acquittement de leurs impôts. Comme le soulignent les partisans du revenu universel, tout le monde dépend du travail non rémunéré réalisé, de façon très disproportionnée, par les femmes au sein des familles. Par conséquent, un revenu universel pourrait être une façon de résoudre le problème du laisser-aller de ceux qui ne font pas leur juste part.

Cependant, à l’opposé, un revenu universel risquerait de consolider la division genrée du travail non rémunéré. Il pourrait en effet encourager les personnes en charge des responsabilités familiales du ménage à s’éloigner plus encore du marché du travail. Cette préoccupation ne se limite pas au revenu universel : en Suède, une aide financière pour les parents au foyer a rencontré une vive opposition car considérée comme « un piège pour les femmes ». À l’échelle du foyer et à court terme, la décision de la personne ayant le plus bas salaire (en général, la femme) de se retirer du marché du travail pourrait sembler rationnelle.

Néanmoins, quand il est associé à des inégalités salariales, à la discrimination de genre et aux préjugés culturels, ce choix apparemment réfléchi a des conséquences négatives à moyen et long terme, non seulement pour la gent féminine mais aussi au plan sociétal.

La valeur du travail non rémunéré pour la société

Certains soutiennent qu’un revenu universel peut être considéré comme valorisant réellement le travail de soin et d’entretien non rémunéré, en reconnaissant la nature non marchande de cette activité et son interaction avec les influences idéologiques et culturelles. En effet, même les plus sceptiques admettent que ce type de paiement aurait plus de transparence que des aides financières déguisées pour les personnes bénéficiaires d’allocations chômages.

D’autres voient le revenu universel comme un moyen de diminuer la division sexuelle du travail au foyer, pour une société plus égalitaire. Cependant, ces mêmes influences culturelles et idéologiques « forcent » aussi les femmes, même celles qui sont bien payées à des postes à temps plein, à effectuer davantage de travail non rémunéré à la maison. Les partisans de l’égalité des sexes affirment donc que de vrais changements requièrent le rééquilibrage de la distribution du travail à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du foyer.

Malheureusement, les progrès en dehors de la maison ont jusqu’à présent devancé ceux réalisés au sein des ménages, laissant aux femmes une « deuxième journée » de travail. Un revenu universel, même pour ses adeptes, devrait donc uniquement être envisagé comme un élément précis d’un ensemble de mesures visant à réduire les inégalités, qu’elles soient d’âge, de classe, d’éducation ou de genre.

Solution partielle ou mise en danger ?

À terme, un revenu universel pourrait constituer un outil efficace pour traiter les symptômes résultant des inégalités salariales et du déséquilibre dans l’accès au marché du travail. Toutefois, il ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes desdites inégalités. Pour véritablement briser les inégalités tenaces entre les sexes, une série de mesures devraient être prises. Il faudrait notamment cibler les hommes et leur comportement dans le domaine du travail, à la fois rémunéré et non rémunéré.

Ces dispositions doivent viser à changer la culture de la société, pour se diriger vers un monde où tout travailleur peut être un aidant, qu’il soit homme ou femme. Elles doivent encourager le partage des rôles au sein du foyer avec le même accès aux congés. Il est peu probable qu’un revenu universel seul puisse favoriser une redistribution plus équitable du travail de soin et d’entretien. Se reposer uniquement sur cette solution risquerait en effet de rendre économiquement viable l’actuel déséquilibre du partage des rôles, faisant manquer les objectifs égalitaires initiaux.


Traduction par Gaëlle Gormley.

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