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Le rôle clé des dirigeants dans le succès des fusions-acquisitions

Après une fusion-acquisition, la mission des dirigeants consiste à catalyser les inquiétudes et à fixer des priorités pour la nouvelle entité. Atstock Productions / Shutterstock

Le développement par fusions ou acquisitions continue de faire l’objet d’interrogations en raison d’une situation paradoxale qu’il convient de souligner : en effet, si le nombre d’opérations réalisées semblent traduire un mouvement de fond dans la stratégie des firmes, il existe souvent un écart considérable entre les synergies attendues et les complémentarités effectives.

Nombre d’études soulignent, d’ailleurs, la faible rentabilité de ces opérations qui en dépit de leur justification initiale, ne conduisent pas aux résultats escomptés, notamment en raison de frictions culturelles mal prises en compte aux origines du projet.

Pour gérer au mieux ces difficultés, nos travaux soulignent notamment que le PDG joue un rôle déterminant. Il est en effet essentiel que celui de l’entreprise acheteuse devienne un rouage clé dans la construction du nouvel ensemble.

La gestion des conflits et difficultés apparaît en effet comme la justification même des actions du dirigeant. Ses interventions consistent à transformer, agréger, sélectionner et mettre en relation des ensembles disparates et les transformer en une vision dynamique et cohérente aux différents échelons de l’organisation. Le PDG présente ainsi l’avantage de pouvoir investir dans plusieurs champs d’action au niveau de l’intégration culturelle et managériale de l’entité achetée.

Créer des synergies

Le dirigeant doit tout d’abord assumer un rôle de « leader institutionnel » destiné à informer les membres des deux sociétés regroupées sur la stratégie du nouveau groupe. Sa vision élargie permet de mobiliser le personnel d’exécution et d’encadrement. Cette dimension prend une résonance particulière lorsque l’entreprise et sa stratégie deviennent difficiles à décrire, à l’image des fusions – acquisitions qui viennent par nature transformer le modèle économique et structurel des entités.

« Fusions, acquisitions et différences culturelles » avec Philippe Very (Xerfi Canal, juin 2016).

La mission du dirigeant est donc de catalyser les inquiétudes et interrogations, de fédérer les actions, de fixer des priorités. Il doit veiller à un minimum de coordination et au développement de synergies, dans un système d’organisation en devenir, comprenant des histoires et vécus différents, des intérêts initialement divergents et bien souvent des cultures (et sous-cultures) spécifiques.

À titre d’illustration, Philippe Petitcolin, directeur général de l’entreprise Safran acheteuse de la société cible Zodiac, a su très tôt expliquer comment les marchés de Zodiac sur les long-courriers allaient compléter ceux de Safran sur les courts et moyens courriers.

Philippe Petitcolin, directeur général de l’entreprise Safran. Thomas Samson/AFP

Il a également montré que dans le cycle de fabrication d’un avion, l’acquéreur pouvait fournir les pièces mécaniques du début du processus, tandis que l’entité acquise intervenait plutôt dans un second temps, ce qui permettait de mieux répartir dans le temps les revenus.

L’objectif était ici de montrer la dimension stratégique de l’opération et la vision de ses dirigeants, déterminés à créer un leader mondial sur l’ensemble de la chaîne de valeur grâce à une gamme complète de produits et services.

La nouvelle entité devait ainsi associer les compétences de Safran en matière de trains d’atterrissage, de roues et freins, de nacelles, de systèmes électriques embarqués, d’actionneurs et d’avionique aux positions de Zodiac Aerospace dans le domaine des sièges, des aménagements de cabine, de la répartition de puissance, des circuits d’éclairage, d’alimentation en carburant, d’oxygène et de fluides et des équipements de sécurité.

Dans le secteur des systèmes électriques, il fut également démontré que les actifs de Zodiac Aerospace viendraient renforcer le portefeuille de technologies de Safran et offriraient ainsi au nouveau groupe un positionnement idéal pour les développements futurs de « l’avion plus électrique ».

Établir une relation de confiance

Le dirigeant se doit également d’avoir un rôle de séduction et de sécurisation. Il doit parfois aller au-delà de ses qualités discursives pour faire accepter aux membres de son organisation de nouveaux défis, en établissant une relation de confiance entre lui et son organisation.

Il s’agit pour le dirigeant de réduire l’ambivalence des acteurs face à des contextes de changements (stress, anxiété, démotivation), en créant un climat d’adhésion et de soutien, rendu possible par une proximité plus grande avec les acteurs de l’organisation.

« Fusions et acquisitions : le vrai problème humain » avec Philippe Very (Xerfi Canal, novembre 2016).

Ce fut par exemple le cas de l’acquisition de la société La Clayette par le Groupe Forges Stéphanoises à la fin des années 1980 qui réussit à prendre en compte les spécificités de la société acquise (procédés de fabrication et management par la valeur) et à accorder sa confiance à l’ancien dirigeant pour développer la nouvelle organisation sur le plan opérationnel et commercial.

Le PDG de l’entreprise acheteuse veilla notamment à prendre en compte les spécificités du site et du personnel pour le développement des produits spéciaux notamment de l’aéronautique. Il s’impliqua personnellement dans la relation avec l’ancien dirigeant, le nommant directeur général de l’ensemble nouvellement constitué, en le légitimant au niveau de sa politique industrielle et commerciale à mener.

Le mode d’intégration retenu par le dirigeant de l’entreprise acheteuse constituait par conséquent une démarche nouvelle au sein d’un secteur habitué à un style d’intégration organisé autour de politique de rationalisation et d’optimisation des ressources existantes.

« Crise d’identité besoin d’exemplarité et de confiance » avec Bernard Ramanantsoa (Xerfi Canal, janvier 2015).

Préserver les compétences clés

Le dirigeant doit aussi exercer un rôle de prévention et de protection. Ce dernier a pour fonction de protéger les qualités distinctives de l’entité acquise (know how, talents, compétences, habilités, image), lorsque celle ci dispose de ressources créatrices. Or cette condition ne va pas de soi.

Le transfert des compétences peut être source de destruction et nécessiter des actions spécifiques : préservation des symboles, délimitation des frontières organisationnelles, politique de prévention, octroi d’une autonomie fonctionnelle, comportement d’ouverture…

Or seul le PDG peut justifier et imposer que les aspects culturels et humains puissent primer, à un moment donné, sur les considérations économiques de l’opération. Des travaux récents recommandent que certains managers de l’entreprise achetée puissent exercer des fonctions au sein de leur organisation d’origine et du nouvel ensemble.

Prise en compte de rapports humains conflictuels en cas de réorganisation. Benoit MASSIN/LeFacteurHumain, CC BY-NC-ND

Cette notion de double rôle peut être interprétée comme une volonté de valoriser les « minorités nomiques » au sein du nouvel ensemble, en vue de créer une dynamique positive.

Dans le champ des fusions acquisitions, une minorité est dite « nomique », lorsqu’un groupe en position d’infériorité sur le plan hiérarchique ou statutaire se trouve dans une situation, où ses qualités propres permettent de prendre une position différenciée, source de création de valeur.

Ces groupes minoritaires (nomiques) peuvent selon les cas s’apparenter aux dirigeants de la firme acquise ou à des responsables fonctionnels compétents. Les recherches sur la phase d’intégration montrent que cette position est en effet possible aux différentes phases du processus d’intégration et peut renforcer la collaboration créatrice, voire l’innovation.

Ce fut par exemple la vision stratégique de Marc Raibert, fondateur et membre de l’équipe de direction de Boston Dynamics qui décida d’initier de nouvelles approches en matière d’acquisition, en misant sur la préservation de l’identité de la société acquise Kinema et de ses ressources stratégiques (notamment dans la robotique), en vue de développer des approches collaboratives nouvelles et ouvertes, propices au développement de nouveaux produits.

Marc Raibert, fondateur de Boston Dynamics entreprise américaine spécialisée dans la robotique à usage militaire. Michael Cohen/AFP

Incarner la nouvelle culture

Il convient également d’évoquer la mission de représentation du PDG. Le dirigeant a également une influence en tant que porte-parole. Il est perçu comme un vecteur de représentation et d’incarnation de la stratégie de l’entreprise aux yeux des différentes parties (clients, actionnaires, organismes financiers). On lui attribue notamment les décisions prises et les résultats obtenus. Or l’image est étroitement liée à la culture de l’entreprise.

Agir sur l’image, c’est donc exercer directement ou indirectement une influence sur l’imaginaire organisationnel, et par voie de conséquence sur les mécanismes de projection, d’identification et d’introjection des individus. Le dirigeant se doit d’assurer la continuité des liens entre son entreprise, l’entité acquise et les différentes parties prenantes, en incarnant le mouvement et le monde d’aujourd’hui et de demain.

Ce fut par exemple le cas lorsque les dirigeants d’Unilever décidèrent, malgré les résistances, de briser l’orientation très anglo-saxonne de son conseil d’administration en s’ouvrant à de multiples nationalités représentées au siège.

Mais l’un des exemples les plus emblématiques fut incontestablement celui tenu par Carlos Ghosn, dans le rapprochement entre Renault et Nissan, avec ses succès retentissants (image d’un groupe unifié, redressement de Nissan, augmentation de la notoriété et de la réputation, confiance des investisseurs et partenaires, pouvoir de persuasion) et ses zones d’ombre (culte de l’ego, personnalisation du pouvoir, position hégémonique, approche directive, sous-estimation des enjeux politiques).

Ce cas montre bien que cette mission est indéniablement l’une des plus délicates à mener car elle repose bien souvent sur les qualités personnelles du dirigeant (légitimité charismatique et communicationnelle), alors que l’acte ultime doit servir des intérêts institutionnels et collectifs. Au dirigeant de trouver le « bon dosage », même s’il convient d’admettre l’ampleur et la difficulté de la tâche…

Comprendre et transformer les cultures à des fins stratégiques est donc une tâche tout aussi essentielle que difficile, notamment dans le cas de fusions acquisitions. En effet, si une stratégie d’acquisition demande analyse et persuasion lors des négociations, les enjeux stratégiques, les représentations des croyances et les manifestations des différentes cultures peuvent se révéler particulièrement délicates à gérer en phase de post-acquisition.

Cette situation est d’autant plus critique, lorsque les ressources stratégiques recherchées dépendent fortement du tissu culturel des firmes. Cet article participe à une volonté de proposer des orientations managériales, susceptibles d’aider les dirigeants et responsables dans la conduite de ce type d’opérations. Notre contribution se veut un premier pas dans l’importance essentielle des rôles des dirigeants dans ce type d’opération.

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