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Hong Kong : la fin du principe « Un pays, deux systèmes »

La police ordonne aux manifestants hostiles à la nouvelle législation sur la sécurité de se disperser, dans le quartier de Causeway Bay, à Hong Kongn le 24 mai 2020. Isaac Lwrence/AFP

Mise à jour du 1er juillet : Le 30 juin, à la veille de l'anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine intervenue le 1er juillet 1997, le Parlement chinois a adopté la « Loi sur la sécurité nationale », et le président Xi Jinping a immédiatement promulgué ce texte qui, dans les faits, entérine la mainmise définitive de Pékin sur l'ancienne colonie britannique. L'occasion de relire ce récent article qui explique comment les autorités ont profité de l'épidémie de Covid-19 pour reprendre le contrôle d'une enclave trop attachée à ses espaces de liberté.

La République populaire de Chine profite de la fin de l’épidémie de SARS-CoV-2 sur son territoire pour reprendre la main sur Hongkong après un an de contestation. Depuis juin 2019, en effet, les manifestations se sont multipliées à Hongkong contre la loi d’extradition proposée par Carrie Lam, cheffe de l’exécutif de la « Région administrative spéciale », pour transférer en Chine les citoyens chinois ayant transgressé la loi à Hongkong.

Les lieux où s’exprime la liberté d’opinion à Hongkong (universités, journaux, librairies, parcs publics…) se sont vidés sous le double effet de la répression par la police des mouvements de contestation et de la crise sanitaire.

Le souvenir encore vivace des événements de 2003

Le gouvernement de Pékin met tout en œuvre pour que la crise du SARS-CoV-2 ne répète pas le scénario du SARS-CoV en 2003 : un coronavirus venu des chauve-souris vivant dans le centre de la Chine et transmis aux humains par l’intermédiaire des civettes consommées dans les marchés pour la médecine chinoise traditionnelle au Guangdong avait alors infecté environ 8 000 personnes, dont 10 % étaient décédées. Hongkong avait été particulièrement touchée, avec près de 1 800 cas et 300 morts, et son économie s’était retrouvée à l’arrêt pendant plusieurs mois.

Le 1er juillet 2003, trois semaines après que l’Organisation mondiale de la Santé ait déclaré Hongkong « free of SARS » (« débarrassée du SARS »), 500 000 personnes (soit 10 % de la population) manifestèrent contre un projet législatif sur la sécurité qui mettrait en œuvre l’article 23 de la Loi fondamentale prévoyant d’« interdire tout acte de trahison, de sécession, de sédition ou de subversion contre le gouvernement central ». Après cette manifestation, la proposition de loi discutée depuis un an au Parlement du Hongkong fut abandonnée, et ceux qui la soutenaient démissionnèrent.

Des manifestants pro-démocratie se rassemblent devant le bâtiment du Conseil législatif dans le quartier central des affaires de Hongkong, le 13 juillet 2003. Peter Parks/AFP

Une exception menacée

Le 25 avril dernier, le chef du bureau de liaison du gouvernement chinois à Hongkong, Wang Zhenmin, mit en cause la doctrine « Un pays, deux systèmes » qui garantit l’autonomie de Hongkong :

« Si les “deux systèmes” deviennent un moyen de contester le “un pays”, alors les raisons d’existence des “deux systèmes” disparaissent. »

Le 22 mai, le premier ministre Li Keqiang ouvrit la session de l’Assemblée nationale populaire réunie à Pékin en affirmant sa résolution à « perfectionner le système juridique et les mécanismes d’application des lois en matière de protection de la sécurité de l’État dans les régions administratives spéciales ».

Malgré les déclarations rassurantes de Carrie Lam sur le respect de l’autonomie de Hongkong, le discours du premier ministre est apparu comme un désaveu de la cheffe de l’exécutif pour les manifestations qu’elle n’a pas su arrêter, et qui ont repris en réponse à ce discours. Pékin propose à présent de faire ce que le gouvernement de Hongkong n’a pas fait en imposant la législation sur la sécurité prévue par l’article 23 de la Loi fondamentale.

Un concept vieux de presque quarante ans

De nombreuses voix s’élèvent à Hongkong pour déplorer la fin de la doctrine « Un pays, deux systèmes » (yi guo liang zhi). Celle-ci fut formulée par Deng Xiaoping en 1983 dans le cadre de ses négociations avec Margaret Thatcher sur la rétrocession de la colonie britannique de Hongkong à la Chine populaire. La déclaration sino-britannique du 26 septembre 1984 stipula ainsi que « le système et la politique socialiste ne seront pas pratiqués dans la région d’administration spéciale, et le système et le mode de vie capitaliste de Hongkong demeureront inchangés pendant 50 ans » à compter du 1er juillet 1997.

Cette déclaration conditionna le travail du comité de rédaction de la Loi fondamentale, qui fut interrompu en mai-juin 1989 par la démission de deux représentants de la société civile hongkongaise, Louise Cha et Peter Kwong, après le massacre de la place Tian’anmen. À la suite de ce qu’il qualifia d’« incident », le gouvernement de Pékin ajouta à la Loi fondamentale l’article 23 qui interdit les actes de subversion.

Des soldats de l’Armée de libération du peuple (APL) traversent la frontière de Wen Jingdu en direction de Hongkong le 1ᵉʳ juillet 1997. Manuel Ceneta/AFP

La doctrine « Un pays, deux systèmes » est considérée comme une invention géniale de Deng Xiaoping, qui a rendu possible le développement industriel de la Chine populaire en profitant des conditions d’échange avec l’Occident maintenues à Hongkong. Dans les faits, ce compromis s’est avéré plus agressif qu’il ne paraissait, et il s’est révélé désavantageux pour la « région d’administration spéciale », dont l’autonomie de gouvernement, la liberté d’expression et la monnaie étaient maintenues.

Des observateurs ont remarqué que la doctrine « Un pays, deux systèmes » formalisait le mode d’existence de la population chinoise à Hongkong, qui s’est toujours sentie attachée à la « mère patrie » tout en bénéficiant de la liberté d’expression politique et d’échange économique garantie par le gouvernement britannique. Les dissidents chinois émigrèrent régulièrement à Hongkong pour fuir le régime en place à Pékin, depuis la révolte des Taiping dans les années 1850 jusqu’à la répression des militants démocrates dans les années 1990 en passant par celle des communistes dans les années 1930.

L’expression « Un pays, deux systèmes », qui visait à convaincre la République de Chine à Taiwan de la possibilité qu’elle soit réunifiée à la République populaire de Chine en conservant son autonomie, apparut pour la première fois dans le discours du maréchal Ye Jianying le 30 septembre 1981. Cette doctrine fut réaffirmée par les successeurs de Deng Xiaoping qui y ajoutèrent leurs propres variantes (Jiang Zemin, Hu Jintao, Xi Jinping), mais elle fut refusée par le Parti démocrate et indépendantiste lorsqu’il fut au pouvoir à Taiwan (à travers la présidence de Cheng Shui-Bian entre 2000 et 2008 et de Tsai Ying-Wen depuis 2016) et elle ne fut jamais vraiment acceptée par le Parti nationaliste à Taiwan.

La doctrine « un pays, deux systèmes » peut être considérée plus généralement comme une formalisation des effets de la colonisation occidentale et de la guerre froide en Asie. De nombreux pays asiatiques ont été divisés par cette double secousse, et la brièveté de la colonisation japonaise n’a pas atténué cette division. La Corée est scindée entre un régime communiste au Nord et un régime capitaliste au Sud. Le Vietnam a été longtemps divisé par la même coupure avant sa réunification sous un régime communiste en 1976. Dans le cas de Singapour, on pourrait plutôt parler de « deux pays, un système » tant son rattachement au monde commercial malais est évident, malgré l’autonomisation de son gouvernement sous l’autorité coloniale britannique d’abord, sous celle d’une élite confucéenne ensuite.

On peut également souligner que ce sont précisément les pays les plus divisés par ces grandes coupures historiques qui ont été les plus affectés et les plus réactifs lors des crises de SARS-CoV en 2002-2003 et de SARS-CoV-2 en 2019-2020. Rien d’étonnant à cela : ces territoires ont toujours été des plaques tournantes dans la circulation des personnes, des marchandises et donc des virus entre le continent chinois et le reste du monde. On a pu considérer ainsi que le succès de Hongkong dans le contrôle du SARS-CoV en 2003 tenait à la doctrine « un pays, deux systèmes », qui rendait le territoire à la fois très exposé aux menaces venues de Chine et le mieux placé pour en informer le reste du monde grâce à sa liberté d’expression. C’est ce que j’ai appelé « les sentinelles des pandémies aux frontières de la Chine ».

Concilier sécurité et liberté

L’abolition de cette doctrine par le gouvernement de Pékin sous l’effet de la double irritation causée par les manifestations à Hongkong et par les bonnes performances sanitaires de Taiwan – qui s’expliquent par sa séparation politique avec la Chine malgré sa proximité géographique – semble peu probable, car elle bouleverserait les équilibres géopolitiques au-delà des relations entre le régime de Pékin et les territoires chinois situés sur ses frontières. Depuis 1983, c’est l’économie mondiale tout entière qui a besoin de la doctrine « un pays, deux systèmes » pour délocaliser les chaînes de production capitalistes dans un pays régi par un gouvernement communiste. La guerre froide qui se déclare entre la Chine et les États-Unis n’a rien à voir avec celle qui eut lieu entre l’URSS et les États-Unis, car les seconds n’ont jamais été aussi dépendants économiquement à l’égard de la première qu’ils le sont à l’égard de l’Empire du Milieu.

Mais il faudrait alors reformuler ce que signifie « deux systèmes » pour comprendre la prétention de la Chine à devenir « un pays » pour le monde entier. Ce terme opposerait non pas le socialisme et le capitalisme, dont tout le développement économique mondial des quarante dernières années montre qu’ils sont compatibles et qu’ils se renforcent mutuellement pour exploiter les forces de production et les ressources naturelles, mais la sécurité et la liberté. Face aux menaces écologiques globales, la Chine aura alors encore besoin de Hongkong et de ses autres sentinelles sur ses frontières, car il n’y a pas de signaux d’alerte sans liberté d’expression.


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