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Prélèvements dans le jardin de Repainville pour analyser la composition du sol urbain. UniLaSalle, Author provided

Le sol urbain, un sol fertile ? À Rouen, des étudiants les mains dans la terre

Dans les grandes métropoles, l’usage des sols fait depuis longtemps l’objet de fortes tensions entre artificialisation et agriculture. Les usages artificialisés et très lucratifs du sol, centrés sur la rente foncière et le prix du foncier bâti et constructible, ne cessent de progresser, convertissant continuellement autour des villes des terres agricoles en sols constructibles.

Malheureusement, ces transformations de l’usage du sol se font souvent au détriment de la qualité de vie des citadins, occultant de fait ses principales fonctions.

Au-delà de sa fonction nourricière – de support des cultures vivrières –, le sol offre une diversité de services écosystémiques allant de la fonction de régulation (stockage du carbone et climat…) à celle de support (l’eau) en passant par celle d’approvisionnement (la nutrition et la défense des plantes ainsi que le maintien de la biodiversité du sol).

Le sol urbain est aussi reconnu pour sa grande fertilité et sa forte biodiversité. Aujourd’hui, l’engouement pour des projets d’agriculture urbaine portés par les citoyens et soutenus par les pouvoirs publics, témoigne d’une prise de conscience des fonctions originelles des sols en milieu urbain.

Cependant, la transition d’un sol de ville empreint de connotations négatives (pollution, contamination…) en un sol productif et nourricier n’est pas chose aisée et la tâche peut se révéler infructueuse. Il s’agit de bousculer les mentalités…

Le Champ des possibles

Même si un pas est franchi sur l’acceptabilité par les citadins de ces îlots de verdure au regard de leurs différentes fonctions paysagères, sociales, thérapeutiques et éducatives, l’approche scientifique quant à elle, demeure un défi que plusieurs associations ont tenté de relever.

Dans les jardins de Repainville, à Rouen, l’une d’elles nommée le Champ des possibles, a bénéficié du soutien du campus de Rouen d’UniLaSalle pour mettre en œuvre une telle approche, dans l’objectif de valider la qualité des sols et par conséquent la sécurité des fruits et légumes qu’ils produisent.

L’association cultive dans ses serres et dans son jardin de la moutarde, des fleurs comestibles, du persil, des tomates, des laitues, des fraises, des radis, des poireaux, des plantes aromatiques et arbres fruitiers (pommiers, framboisiers…).

Plan d’expérience et stratégie d’échantillonnage dans les trois agrosystèmes du site de Repainville (jardin potager, serre et exploitation maraîchère. UniLaSalle
Plan d’expérience et stratégie d’échantillonnage dans les trois agrosystèmes du site de Repainville (jardin potager, serre et exploitation maraîchère. UniLaSalle

Elle ambitionne d’être un démonstrateur des alternatives écologiques de l’usage des sols urbains et un lieu de partage des vertus de l’agriculture urbaine. Elle propose notamment des ateliers cuisine nature afin de reconnecter les citadins avec la nature et l’agriculture locale.

Dans le cadre du Master of science « agriculture urbaine et villes vertes » (MAUV), dix étudiants du campus de Rouen ont réalisé un protocole d’expérimentation en deux étapes, intitulé « sol-plante-climat dans les jardins de Repainville ».

Démarche expérimentale simplifiée

Lors d’une campagne de prélèvement sur le site de Repainville, les étudiants ont dans un premier temps établi un plan d’expérience et une stratégie d’échantillonnage. Un travail mené à la suite d’une analyse de lecture de paysage (orientation, relief, vent dominant, flore et faune spontanées, aménagement des cultures, espaces bâtis…) et d’une approche sensible (odeur, bruit, ressenti…).

Ils ont prélevé du sol et des racines de plantes sur trois agrosystèmes différents : le jardin (pleine terre, plein air, agriculture biologique), la serre (pleine terre, sous-abris, agriculture biologique) et l’exploitation maraîchère (pleine terre, plein air, agriculture raisonnée). Un prélèvement de vers de terre a également été réalisé pour étayer les observations.

Approches paysagère et sensible

Exposés au sud et situés aux pieds des falaises creusées par la Seine, les jardins de Repainville sont parcourus par un petit ruisseau. Ils sont abrités du vent et du soleil par des arbres générant un microclimat favorable à la culture et offrant un refuge à une biodiversité spécifique. C’est le royaume des Lamiaceae, Fabaceae, Brassicaceae et des oiseaux à proximité du centre-ville de Rouen ! Un lieu paisible et plaisant où la rumeur de la ville est somme toute perceptible.

Approche scientifique

Dans un second temps, les échantillons ont été observés au laboratoire d’analyse de sol de l’école. Les étudiants ont mesuré d’une part, les propriétés physicochimiques du sol (pH, granulométrie par sédimentation, détermination de la matière organique et du carbonate de calcium et détermination de la capacité d’échange cationique : CEC), d’autre part, les composants biologiques du sol en interaction avec les plantes (colonisation endomycorhizienne des racines, symbiose rhizobienne et abondance des vers de terre).

L’approche scientifique a permis de consolider l’approche sensible issue de la lecture du paysage. Les résultats des propriétés physicochimiques dans les trois agrosystèmes ont révélé un pH un peu élevé variant de 7,6 à 7,8, toutefois favorable à la culture maraîchère. Cette valeur pourrait être expliquée par la grande quantité de calcaire mesurée dans les prélèvements et mise en évidence par la très forte effervescence en présence d’acide. Les valeurs de CEC obtenues soulignent par ailleurs que le pH n’impacte pas négativement les échanges sol-plante.

En outre, la teneur en matière organique est plus que satisfaisante compte tenu de toutes les variables physicochimiques mesurées. Enfin, la granulométrie indique un sol limono-argileux, une texture très favorable à la circulation d’eau, des nutriments et au développement de la vie biologique du sol.

Mycorhizes, Rhizobium et vers de terre

Les résultats des composants biologiques ont montré une forte colonisation mycorhizienne (association entre une plante et un champignon favorisant l’absorption d’eau et de minéraux en particulier le phosphore) et rhizobienne (association entre une plante et une bactérie favorisant l’absorption de l’azote) des racines des plantes prélevées dans les trois agrosystèmes. Un résultat très encourageant, synonyme d’un sol vivant et en bonne santé.

D’ailleurs, la présence d’une forte abondance de vers de terre (aérateurs et mélangeurs du sol) conforte ces observations.

Ateliers d’analyses au laboratoire sur les propriétés physicochimiques du sol (à gauche) et les composants biologiques du sol en interaction avec les plantes (à droite). UniLaSalle

Discussion et perspectives

Pas forcément si difficile de bousculer les mentalités, donc, mais plus complexe en revanche de lutter contre la monétarisation du sol urbain au-delà de sa seule vocation de terrain constructible et sa valeur foncière.

Les vertus des sols urbains offrent une multitude de bénéfices aux citadins dont la valeur est non marchande. Il est ainsi important d’arbitrer les dynamiques de l’occupation des sols et des transformations de leur usage autour et au sein même des villes.

Cette étude permet d’attirer l’attention sur la nécessité de concilier l’approche scientifique à celle paysagère dans d’autres jardins et fermes urbaines à l’échelle de la ville.

Même si des analyses préalables ont en l’occurrence montré l’absence dans la terre de tout contaminant dommageable à la santé humaine, il est indispensable d’acquérir des données supplémentaires d’inventaire dans le cadre d’une évaluation environnementale ou sanitaire des activités des projets d’agricultures urbaines.

Ces données permettraient in fine de dégager des typologies de jardins et fermes urbaines en fonction des caractéristiques des sols à l’échelle de la ville de Rouen.

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