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Le sport, cet atout politique des maires

Christian Estrosi, maire de Nice, félicite l'athlète norvégien Gustav Iden après la victoire de ce dernier pour la course Ironman le septembre à Nice. Lucas Barioulet / IRONMAN / AFP-Services

Salle de sport, terrains de football, gymnases : au moment du bilan, les maires n’hésitent pas à mettre en avant leurs efforts en matière d’équipement sportifs, rappelant à quel point le sport, son accessibilité et sa diffusion sont cruciaux dans l’espace politique local.

En 2019 lors de la création de l’Agence nationale du sport (24 avril), David Lazarus, maire de Chambly (Hauts-de-France) et co-président du groupe de travail « sports » de l’association des maires de France (AMF) n’hésitait d’ailleurs pas à souligner,

« On porte déjà le sport au quotidien en soutenant les équipements et les clubs. En nous mettant autour de la table, l’État nous donne un pouvoir de décision au niveau national mais aussi territorial. Disposer d’un guichet unique au niveau régional, ce sera un accélérateur formidable pour les collectivités. »

Depuis le début du XXe siècle tout particulièrement, les liens entre mondes sportif et politique se sont développés à mesure que le sport est devenu un enjeu médiatique, notamment sur une échelle nationale et internationale, et à tel point qu’on évoque régulièrement l’impact de la diplomatie sportive dans les relations internationales, bien qu’il soit plus supposé que réel et durable.

Mais on connaît moins les enjeux politiques locaux du sport et plus particulièrement les profits symboliques que les instances locales de pouvoir peuvent tirer de la mise en scène du sport et des sportifs, quand ils sont porteurs d’une identité locale.

Des parcours similaires vers le pouvoir

Les deux espaces – politique et associatif – tirent profit l’un de l’autre pour plusieurs raisons. Il existe tout d’abord de nombreuses similitudes entre eux, quant à la manière d’accéder aux positions de pouvoir respectives.

Les compétences nécessaires pour accéder à des positions de pouvoir dans ces deux espaces (dirigeants associatifs ou édiles locaux) favorisent ceux qui les ont déjà acquises dans d’autres espaces (familial, scolaire, professionnel) et constituent un puissant filtre social : on ne trouve que 6 % d’ouvriers parmi les présidents d’associations – et ce chiffre tombe à 1 % dans celles qui ont plus de 20 salariés. De la même façon, on ne compte que 0,8 % d’ouvriers parmi les maires des communes de plus de 2 500 habitants.

Les instances de décision qui sont censées être des lieux de délibération démocratique ne sont le plus souvent que des chambres d’enregistrement de décisions qui se prennent entre acteurs centraux (ce que je soulève dans Le pouvoir local ou la démocratie improbable, éditions du Croquant) et n’ont pas grand-chose à voir avec la démocratie, et ce, d’autant plus que la ville ou l’association sont plus grandes.

On sait que l’investissement associatif peut constituer un tremplin politique, notamment pour accéder au poste d’adjoint chargé des sports. C’est le cas aussi de sportifs ayant conquis une certaine notoriété, à qui l’on peut proposer de faire partie du conseil municipal. On peut citer la récente candidature de Vikash Dhorasoo, ancien footballeur, à la mairie de Paris sous les couleurs de la France Insoumise.

Ainsi les élus locaux savent – ou apprennent très vite – que les associations sportives de la commune sont une richesse qu’il peuvent/doivent utiliser à leur profit.

Fête du sport à Jacou, dans la région de Montpellier. Démonstration de capoeira après le discours du maire. Pxhere

Grâce aux communes, le foot n’est pas un sport de riches

Aucune loi n’a jamais obligé les élus locaux à subventionner les associations ou à construire et mettre à leur disposition des équipements sportifs (sauf ceux destinés à l’EPS scolaire et sauf dans le cas où une structure intercommunale s’est dotée de cette compétence), mais tous le font.

C’est qu’il y a bien un intérêt à cela. Pourquoi est-il si facile, par exemple, d’obtenir en mairie ou sur son site Internet la liste à jour de toutes les associations sportives de la commune ?

Parce qu’elle constitue une belle carte de visite pour le maire, le dynamisme associatif local étant repris à son compte pour symboliser son propre rayonnement.

Les collectivités territoriales investissent entre 5 et 10 % de leur budget annuel dans le sport, soit environ 8,5 milliards de dépenses sportives (pour les seules communes et communautés) sur 99 milliards au total, ce qui représente deux tiers de l’investissement public dans ce domaine (près de 10 milliards d’euros).

Si elles arrêtaient de financer le football par exemple et que les clubs devaient acheter leurs terrains, les aménager et les entretenir seuls, dans certaines villes moyennes ou grandes, cela coûterait aussi cher que le golf et on stigmatiserait le football comme « un sport de riches »…

Rester attractif à tout prix

Les baisses drastiques de subventions de l’État aux collectivités et l’incitation corrélative à devenir de plus en plus attractif (sur un fond de crise financière et économique) ont provoqué une compétition presque généralisée entre collectivités.

Mise en compétition entre les collectivités. Recherche « google » simple sur les mots clefs : « communes gagner en attractivité ». Google

Il s’agit ainsi d’attirer sur son territoire les entreprises et les emplois, les touristes et leur pouvoir d’achat, les citoyens solvables et leurs impôts, et ce, qu’on le veuille ou non, au détriment des communes moins bien loties – on dira « moins dynamiques » –, des départements et des régions moins attractifs, des pays voisins moins bien évalués par les agences de notation financière…

Comment devient-on attractif ? La réponse est très simple : il faut savoir se vendre. Or le sport joue dans cette quête un rôle non négligeable qui peut même parfois devenir central.

Renforcer l’identité locale

De nombreuses municipalités misent d’abord sur les résultats sportifs de leurs habitants et de leurs équipes. Ces dernières incarnent l’identité de la commune (elles en portent d’ailleurs souvent le nom) et c’est en partie ce qui explique qu’elles sont soutenues financièrement par la mairie : leurs victoires – bien plus que leurs défaites – sont aussi celles des édiles et des habitants qui en retirent une certaine fierté.

La notoriété des divers champions qui habitent la commune ou en sont originaires rejaillit en partie sur celle-ci, à condition de savoir la mettre en scène, comme à travers une cérémonie de remise de récompenses aux sportifs méritants : tout en honorant les sportifs, le maire peut ainsi espérer les fidéliser, développer leur attachement à la commune, et honorer celle-ci en retour, tout en justifiant sa politique sportive.

Il arrive parfois que les meilleurs d’entre eux conquièrent la scène sportive internationale et que, lors d’une compétition où la France a des chances de médaille, un duplex soit organisé au cœur même de sa ville ou de son village d’origine, histoire de rendre la victoire encore plus « authentique », parce que enracinée dans la « France profonde ». De tels moments sont parfois uniques pour un maire qui n’aurait jamais pu espérer autrement « passer en direct » sur une chaîne nationale.

Le cycliste Romain Bardet, la « fierté » de Brioude, à l’honneur dans un reportage de France 3.

Ménager la population et les notables

La vie municipale ordinaire est donc marquée par des projets concernant le sport : la construction d’une piscine ou d’une patinoire, d’un gymnase, d’un stade de football ou d’autres équipements spécialisés peuvent déchaîner les passions et les critiques, et décider au final du devenir d’un élu local…

Ce dernier doit ainsi prendre grand soin dans ses décisions, lorsqu’il attribue des subventions, des créneaux d’utilisation des équipements, quand il décide de les entretenir ou les améliorer, car il met en jeu ses relations avec une partie non négligeable de la population.

Et ce, d’autant plus qu’à la tête des clubs locaux les plus importants on trouve souvent des notables qui, en plus du fait qu’ils représentent un nombre important d’habitants et d’électeurs, ont localement un certain poids politique (comme les chefs d’entreprise).

C’est ce qui explique que les alternances politiques dans une ville ne remettent guère fondamentalement en cause la politique sportive menée précédemment, et que l’on observe une certaine inertie dans ce domaine.

Anne Hidalgo sur un Vélib’ à Paris, le 4 septembre. Stephane De Sakutin/AFP

De plus en plus d’élus aujourd’hui sont conscients que la pratique sportive fédérale représente moins de la moitié de la pratique sportive réelle. Pas seulement du fait de l’augmentation de l’offre privée marchande : il s’agit le plus souvent d’activité physique auto-organisée (en famille, seul ou entre amis).

Les élus commencent à investir dans les aménagements urbains accessibles à tous, pour favoriser les mobilités actives – pistes cyclables, parcours urbains – petits aménagements en plein air pour l’entretien physique par exemple, avec des objectifs de santé publique.

Contraintes par les fortes baisses de dotations de l’État, les subventions aux associations sportives sont en baisse, l’accès aux équipements devient de plus en plus souvent payant, et l’investissement en infrastructures nouvelles laisse place à des politiques de réhabilitation et de mutualisation. Des professionnels s’y préparent dans de nouvelles formations spécialisées.

On peut se demander quels seront les impacts sur la pratique sportive en club : une augmentation progressive du prix de la licence et, corrélativement, un phénomène de discrimination dans l’accès au sport organisé et encadré ?

La volonté des élus locaux d’impliquer les citoyens à l’élaboration des politiques sportives locales – dans divers dispositifs de démocratie participative – suffira-t-elle à les amadouer ?


Cet article est inspiré d’une précédente publication de l’auteur apparue dans la revue Savoir/Agir.

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