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Le téléphone portable, instrument de survie pour les réfugiés

Le téléphone portable, outil précieux de navigation et d'information. Armando Babani/EPA

Pour les refugié(e)s qui tentent de gagner l’Europe, le portable est tout sauf un luxe. Il est aussi important que les vêtements qu’ils portent ou que l’embarcation censée leur permettre de traverser la Méditerranée.

L’utilité de cet objet est loin de se limiter aux simples appels et textos. Applications, sites web, outils de navigation et de traduction, vidéo et enregistrements : la gamme complète constitue une sorte d’infrastructure numérique indispensable pour tout voyage à destination de l’Europe.

Grâce au portable, les réfugiés s’informent sur les routes et le coût du voyage, mais aussi sur l’ouverture – ou la fermeture – des frontières. Et bien avant de parvenir jusqu’aux portes de l’Europe, leur téléphone peut leur sauver la vie en leur permettant de s’informer sur les conditions météo avant d’entamer la traversée. En règle générale, les réfugiés ont besoin de trois choses essentielles : un smartphone, de la nourriture et de l’eau. Dans cet ordre.

Entre octobre 2015 et avril 2016, nous avons interrogé un certain nombre de ceux qui tentaient de rallier l’Union européenne. Un réfugié nous a raconté comment, à la frontière gréco-macédonienne, sa femme gravement malade avait eu la vie sauvée grâce à l’appli de traduction sur son téléphone lui permettant d’expliquer son cas aux policiers. Un autre nous a confié que sans son portable il n’aurait pas pu prévenir les garde-côtes du risque imminent de naufrage de son embarcation. Une cinquantaine de vies ont ainsi été sauvées.

En mouvement

L’accès aux ressources numériques joue un rôle crucial dans la planification du voyage et offre aux réfugiés un niveau minimum de contrôle dans un contexte où leur existence est menacée de toutes parts. Un groupe de Syriens nous a raconté comment le GPS leur avait permis, alors qu’ils circulaient en voiture sur le territoire de la Serbie pour rejoindre la frontière hongroise, d’éviter d’être arnaqués par des trafiquants. Ils ont pu vérifier s’ils suivaient le bon trajet et stoppé net le chauffeur quand ils se sont aperçus que ce dernier les conduisait dans la mauvaise direction.

Source de vie. EPA/Sebastian Kahnert

Quand les réfugiés sont entrés sur le territoire de l’UE, ils ont besoin de savoir où ils doivent se rendre pour remplir leur demande d’asile, mais aussi pour trouver un toit et de quoi survivre. Leur téléphone est la seule façon d’y parvenir.

Une menace qui tient dans la poche

Une angoisse bien compréhensible tenaille les réfugiés à propos de leur sécurité et de leur intimité – surtout depuis que les possibilités légales d’entrer au sein de l’Union ont été limitées de manière drastique. Les gouvernements de l’UE ont renforcé les contrôles et fermé leurs frontières, obligeant les réfugiés à les franchir de manière illégale à l’aide de faux passeports.

La peur d’être repérés pousse les réfugiés à se camoufler au sein de la sphère numérique. Ils recourent à des avatars, à de fausses identités et des comptes Facebook privés où ils échangent des informations. Mais, ce faisant, ils peuvent aussi être exposés à des informations erronées, distillées par des gangs criminels qui cherchent à les abuser. Ainsi des Syriens, nous a-t-on raconté, ont-ils perdu toute leur épargne familiale. Les trafiquants, eux, font leur propre publicité sur Facebook, par exemple celui-ci : التهريب إلى الاتحاد الأوروبي (« Entrer clandestinement en Europe »). Les réfugiés sont ainsi exposés à des risques encore plus aigus, et la crise humanitaire déjà sévère s’aggrave encore un peu plus.

À la frontière gréco-macédonienne, une station pour recharger son mobile. EPA/Kay Nietfeld

Bien que vitaux, les téléphones portables peuvent aussi se révéler être une menace. Les traces digitales que les réfugiés laissent dans leur sillage les rendent en effet vulnérables aux yeux des personnes ou des gouvernements auxquels ils tentent d’échapper, et qui utilisent de leur côté des outils très sophistiqués pour traquer les groupes utilisant des applications GPS. Ils peuvent aussi surveiller leurs activités sur les réseaux sociaux et/ou téléphoniques. L’utilisation par les réfugiés des smartphones illustre ainsi avec une acuité particulière la dynamique concomitante du progrès technologique et de la surveillance.

Par ailleurs, les réfugiés stockent souvent dans leurs téléphones des images de violence extrême et de torture, qui les ont conduits à fuir leurs domiciles et leur pays. Cela peut les aider dans leur demande d’asile, mais si ces images tombent dans de mauvaises mains, elles peuvent au contraire accroître le danger qui les guette.

WhatsApp est l’une des applications les plus populaires parmi les Syriens pour une raison précise : les messages y sont cryptés, donc protégés. Elle leur permet de diffuser des informations vitales, par exemple des itinéraires.

Une carte envoyée via Whatsapp par un réfugié interrogé à Paris. Author provided

Les noms des lieux y figurent en arabe, en anglais, en grec, les moyens de transport, le coût de chaque étape du voyage y sont également indiqués. On peut même connaître le cours des devises des différents pays qui seront traversés durant le parcours.

Entrer dans le réseau

À l’époque où nous avons mené notre enquête, les réfugiés faisaient l’objet d’une intense couverture médiatique. Ils étaient la plupart du temps dépeints comme des victimes impuissantes, ou comme des « faux réfugiés » brandissant leurs téléphones portables. Toutes ces informations et l’actualité ne leur étaient que très rarement destinées. Notre enquête a montré que les gouvernements européens, tout comme les médias internationaux, ont échoué à leur fournir l’information dont ils auraient eu besoin pour protéger leurs vies.

Les pays européens devraient donner aux réfugiés des informations fiables pour leur faciliter le passage, les aider à connaître leurs droits en arrivant sur place et ce qui leur est garanti (ou pas) en Europe. La Commission européenne pourrait jouer en la matière un rôle actif. Si cela ne se fait pas, c’est que les États et les médias craignent de se voir reprocher de favoriser l’immigration clandestine.

Bien que tous les réfugiés n’aient pas de smartphones, une partie non négligeable de la population en est dotée, notamment dans les pays du Golfe, au Levant et en Égypte. Ces mobiles constituent une ressource inexploitée à ce jour pour des institutions européennes qui cherchent toujours les moyens adéquats pour communiquer avec les réfugiés. Pour nous tous, ce sont des outils qui nous permettent d’aller d’un point A à un point B, mais pour un réfugié, ils sont tout simplement une affaire de vie ou de mort.

This article was originally published in English

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