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L'hésitation face à la vaccination relève d’enjeux sociaux, voire identitaires. Il faut donc proposer de nouvelles pistes d'interventions, comme par exemple, former des influenceurs. Shutterstock

Le tiers des parents hésitent à faire vacciner leurs enfants : trois pistes pour les convaincre

Un récent reportage de Radio-Canada rapportait qu’au Québec, seulement 2% des parents sont résolument opposés à la vaccination, mais que 33% sont tout de même « hésitants ».

Comment convaincre ces parents bienveillants, exposés à de l'information de qualité variable, de faire vacciner leurs enfants ?

Les efforts actuels consistent à diffuser de l'information fiable sur la vaccination. Ainsi, l'Agence de la santé publique du Canada dédie une page internet au sujet, tandis que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec organise des rencontres personnalisées avec des infirmières.

Or, il devient évident que l’hésitation face à la vaccination relève d’enjeux sociaux, voire identitaires. Nous proposons qu’en considérant sérieusement ces dynamiques, il est possible de dégager des pistes d’intervention additionnelles qui tiennent compte des échanges que les nouveaux parents ont avec leur entourage lors de leur prise de décision.

La validation des pairs

Contrairement à l’adage « penser d’abord, agir ensuite », les gens construisent leur compréhension de la réalité en agissant d’abord, puis en sélectionnant l'action la plus adéquate. Ainsi, ils testent différentes options.

C’est ce qu’explique le psychologue social Karl E. Weick dans son ouvrage Sensemaking in Organizations. La validation de l’action appropriée est un phénomène social : c’est l’assentiment des pairs qui confirme la sélection du « bon » comportement à adopter dans une situation donnée. En réitérant les mêmes actions d’une fois à l’autre et en obtenant encore une validation de son milieu social, la personne construit son identité.

Par exemple, un parent inquiet d'un changement chez son enfant est encouragé à se renseigner : il cherche de l’information sur son groupe de parents sur Facebook, se renseigne auprès de sa famille et de ses amis et consulte des livres sur la parentalité.

Il a un comportement prudent de parent qui questionne l’information qu’il trouve et la valide ensuite avec d'autres parents qui sont passés par là. Ce comportement est encouragé et renforcé par ses pairs, tant sur internet qu’autour de lui.

Un parent inquiet d'un changement chez son enfant est encouragé à se renseigner : il cherche de l’information sur son groupe de parents sur Facebook, se renseigne auprès de sa famille et de ses amis et consulte des livres sur la parentalité. Shutterstock

Cela dit, lorsque vient le temps de faire vacciner ses enfants, ce même comportement prudent et méfiant peut devenir de l’ « hésitation ». Car le parent cherche à valider l’information médicale qu’il reçoit auprès des autres parents certes expérimentés, mais qui n’ont pas l’expérience des maladies infantiles graves comme la rougeole, la coqueluche ou la polio. Ils ont plutôt à offrir des anecdotes d’enfants ayant fait un peu de fièvre ou eu des rougeurs à la suite des vaccins.

Ces parents sont eux aussi animés par le désir de faire les meilleurs choix pour leurs enfants. Ils se renforceront mutuellement dans cette identité de parent prévoyant et relaieront les informations qu’ils jugent pertinentes pour prendre leur décision de vacciner ou non.

Toute intervention devra s’insérer dans ces dynamiques sociales et identitaires entourant la prise de décision. Voici trois pistes d'intervention possibles :

1) Former des influenceurs

Une première manière d’insérer les connaissances scientifiques dans le processus décisionnel des parents serait d’élargir les programmes existants de sensibilisation sur la vaccination à leur entourage. Puisque leur prise de décision est sociale, le renforcement de leurs comportements vient également de leur famille et de leurs amis. Ceux-ci doivent donc être informés afin de ne pas contrecarrer les efforts des professionnels de la santé en validant l’hésitation des nouveaux parents.

La recherche en communication montre que les gens prennent souvent leur information auprès de personnes-relais, ce que les gens de marketing ont bien compris en faisant affaire avec des « influenceurs ».

Ces personnes jouent un rôle important dans l’opinion que les gens se font de sujets d’actualité, notamment en discréditant les informations allant contre l’opinion dominante de leur groupe. C’est la théorie de la communication par étage, ou two-step flow, d’Elihu Katz et Paul Lazarsfeld, développée dans leur ouvrage Personal Influence, publié en 1955.

Les établissements de santé doivent donc non seulement viser les parents, mais s’assurer de rejoindre les personnes susceptibles d’influencer ceux-ci, à commencer par leurs proches. Ce genre de démarche existe aux États-Unis où l'on forme l’entourage des toxicomanes à l’utilisation du Naloxone, produit qui peut sauver la vie de ceux qui font une surdose d’opioïdes.

Une telle approche pourrait contrecarrer le renforcement négatif et ainsi intervenir dans les processus entourant les décisions prises pour l’enfant. Ceci pourrait passer par plus d’éducation de la population sur les vaccins, mais aussi en invitant plus de membres de l'entourage aux rencontres d’information avec des infirmières qualifiées.

2) Raconter les histoires à succès

Les parents valident l'information concernant la vaccination auprès de leur réseau, qui n'est toutefois que rarement exposé aux maladies infantiles graves et n’a pas toujours conscience du succès de la vaccination. Autrement dit, les bienfaits de la vaccination n’ont pas d’histoire. Il manque de récits positifs pour contrebalancer la multitude d’anecdotes alléguant les échecs et effets secondaires graves des vaccins. Une deuxième suggestion serait donc de rendre visibles des anecdotes favorables aux vaccins et auxquelles les gens pourront se rattacher.

Pour reprendre l’idée des influenceurs, il pourrait s’agir de demander à des personnes en qui les nouveaux parents ont confiance, notamment des membres du milieu culturel, des blogueuses ou des politiciennes, de raconter leur histoire et les raisons pour lesquelles ces personnes ont décidé de faire vacciner leurs enfants. Ainsi, ces récits donneront aux nouveaux parents accès à des expériences de première main qui pourront être intégrées au processus décisionnel, au côté d’informations médicales fiables.

3) Éduquer à la science et aux médias

Le comportement méfiant de plusieurs parents illustre l'effet contre-productif d'une mauvaise application de la pensée critique valorisée - avec raison - par le système d’éducation. Ils se méfient d’institutions pourtant crédibles qui travaillent pour le bien commun en s’appuyant sur la science. Un esprit critique, tout à fait approprié face aux dérives mercantiles de plusieurs industries, peut devenir nocif lorsque généralisé à l’ensemble de la communauté médicale et scientifique.

Sensibiliser la population à la méthode scientifique permettrait aux gens d'exercer leur esprit critique de manière plus judicieuse, d'interpréter les résultats des recherches sérieuses et se prémunir contre celles qui le sont moins.

Cela pourrait se faire, d’une part, en améliorant la formation des journalistes en matière de communication scientifique. D’autre part, les chercheurs pourraient être davantage présents dans les médias pour mieux expliquer comment certains résultats de recherche ont été obtenus.

Le point commun de ces trois propositions est de tenir compte des modes de compréhension des gens, afin d'y glisser les informations et outils nécessaires pour qu'ils prennent les meilleures décisions. Cela ouvre un dialogue, puisqu’il ne s’agit pas d’opposer la science à l’irrationnel, ou de dénigrer ceux qui ne parviennent pas aux « bonnes » conclusions. Il s’agit plutôt de travailler avec les gens, en considérant leurs intérêts, identités et objectifs, afin de leur montrer que la science est leur alliée.

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