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Le timing des scandales a-t-il un impact sur les élections présidentielles américaines ?

Le livre de Mary Trump, nièce du président, sorti le 14 juillet dernier, a été vendu à près de 1 million d'exemplaires dès le premier jour. Stephanie Keith/Getty Images North America/Getty Images via AFP

Quel est le point commun entre Michael Cohen, Mary Trump et John Bolton ? La réponse est facile : tous trois viennent de publier, ou sont sur le point de le faire, des livres incendiaires comportant de nombreuses révélations compromettantes sur Donald Trump, actuel président américain et candidat à sa propre succession le 3 novembre prochain.

Quelles sont les caractéristiques communes de ce type d’ouvrages ? Comment le timing de leur parution est-il décidé ? Et dans quelle mesure peuvent-ils peser sur l’issue de l’élection ?

Des scandales en pagaille

Le 13 août dernier, Michael Cohen annonce sur son compte Twitter qu’il « avait attendu longtemps afin de pouvoir enfin partager sa vérité. Le jour est finalement arrivé. » Dans son tweet, cet avocat new-yorkais qui a secondé Trump depuis 2006 et qui a été condamné en décembre 2018 à trois ans de prison « pour diverses fraudes et violation des lois électorales » promet de faire des révélations inédites et explosives dans son livre Disloyal, attendu en librairie pour septembre 2020.

Ces annonces de révélations scandaleuses, deux semaines avant le début de la convention républicaine, font l’effet d’une bombe médiatique. Le locataire de la Maison Blanche est attaqué sur tous les fronts : Cohen fait savoir qu’il lèvera le voile sur l’accord illégal passé par Trump avec les Russes pour remporter l’élection de 2016, sur ses fraudes fiscales, mais aussi sur ses liaisons extra-conjugales, sans oublier ses pratiques sexuelles ondinistes.

Trois semaines avant Michael Cohen, la propre nièce de Trump, Mary Trump, sort un ouvrage au titre aguicheur, Trop et jamais assez : comment ma famille a créé l’homme le plus dangereux de la planète, qui est vendu à plus de 950 000 exemplaires dès le premier jour de sa sortie. Le regard que porte cette psychologue clinicienne sur sa famille montre un nouveau visage de Donald Trump, affaibli et dysfonctionnel. Le livre pourrait bien peser négativement sur ses chances de réélection, d’autant que le constat dressé par Mary Trump correspond au sentiment qu’éprouvent de nombreux Américains qui, comme le montre une étude réalisée par PewResearch, jugent notamment que le président a trop tergiversé avant de réagir à l’épidémie de coronavirus.

Mais le premier « coup de poing médiatique » reste la publication du livre de John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump. Dans The Room Where It Happened, ce diplomate chevronné dénonce les malversations politiques de l’actuel président (abus de pouvoir dans l’affaire ukrainienne et entrave au travail du Congrès) affirme, entre autres, que Trump aurait demandé au président chinois Xi Jinping de l’aider à obtenir sa réélection en 2020 !

Les cent jours décisifs

Peut-on voir dans ces trois publications un hasard du calendrier ? Cette triple attaque médiatique lancée par d’anciens proches du président est-elle fortuite ?

Depuis l’affaire du Watergate en 1972, les élections présidentielles américaines ont souvent été accompagnées de leur lot de scandales : la révélation d’une liaison extra-conjugale entre Gennifer Flowers et Bill Clinton, alors candidat démocrate à la présidentielle de 1992 ; la publication le 7 octobre 2016 (moins de 30 jours avant le scrutin et à la veille du second débat télévisé entre Donald Trump et Hillary Clinton) d’une vidéo datant de 2005 où le candidat républicain tient des propos dégradants et misogynes ; la divulgation en juillet 2016 par Wikileaks de mails compromettants envoyés par Hillary Clinton, alors en campagne présidentielle… La liste est longue, notamment lors de la campagne de 2016, où les scandales impliquant les deux partis se sont enchaînés à un rythme effréné.

Y a-t-il des récurrences dans le timing des scandales politiques pendant les campagnes présidentielles ? Y a-t-il un « bon moment » pour les révéler afin de déstabiliser l’adversaire ? La réponse est clairement oui.

Le timing des cent jours avant l’élection est déterminant pour faire ou défaire l’élection en déclenchant une procédure de lynchage médiatique. Historiquement, cette période symbolique renvoie au discours de Franklin D. Roosevelt qui, au lendemain de la crise économique de 1929, s’était fixé 100 jours pour reconstruire le pays en adoptant 76 mesures. Si les cent premiers jours de fonction d’un président sont perçus comme cruciaux, les 100 jours précédant l’élection ne le sont pas moins.

Au-delà de l’aspect arithmétique, la période la plus propice à la révélation de scandales serait située entre le début des conventions nationales (cette année, 17 au 20 août pour les démocrates, et 24 au 27 août pour les républicains) et les débats télévisés (ils seront au nombre de trois, le premier ayant lieu le 29 septembre). Ces deux repères ont une portée médiatique de premier plan ; les conventions intronisent et légitiment le candidat là où le scandale veut, au contraire, lui ôter toute crédibilité. La série des trois débats présidentiels est une opportunité communicationnelle sans précédent où chaque élément de scandale est un argument supplémentaire de déstabilisation.

Cent jours pour convaincre ou cent jours pour discréditer.

Qu’est-ce qui a changé depuis le Watergate ?

Depuis l’affaire du Watergate, les scandales ont intégré une nouvelle donnée temporelle. Ils ne se construisent plus dans la durée et ne sont plus l’arme unique du camp adverse. Avec la campagne présidentielle de 1992, et une apogée en 2016, le timing des scandales est savamment dosé.

Tel un produit marketing, le scandale est d’abord annoncé. On le présente sans le dévoiler. C’est l’effet teasing pour maintenir l’électorat en alerte. L’approche pour laquelle a opté Michael Cohen en fournit l’illustration parfaite. L’avocat annonce la sortie prochaine de son livre un mois avant sa parution. Aucune date n’est laissée au hasard. Son tweet est publié dix jours avant le début des conventions et l’ouvrage sortira en septembre, juste avant le premier débat télévisé (prévu, on l’a dit, pour le 29 septembre).

La multiplicité des réseaux sociaux, la diffusion immédiate d’informations basées en grande partie sur des témoignages et du vécu personnel accrédite cette nouvelle donne temporelle. Il faut convaincre vite et à des dates stratégiques. Le timing prend en compte la réactivité nouvelle des électeurs, qui vivent de plus en plus dans l’immédiateté de l’information. On est bien loin des enquêtes de Bob Woodward et de Carl Bernstein !

Le timing est-il efficace ?

Historiquement, certaines études ont montré que les révélations en fin de campagne pouvaient dans une certaine mesure modifier les votes par rapport aux intentions initiales. Mais si le timing est calculé, il n’a cependant pas forcément d’impact significatif sur les résultats dans les urnes.

Prenons le cas de l’élection présidentielle de 1992 : les révélations médiatisées des aventures extra-conjugales de Bill Clinton ne l’ont pas empêché d’être élu, tout comme l’affaire Monica Lewinsky, quelques années plus tard, ne l’a pas empêché de terminer son deuxième mandat. Même constat pour Trump lors de l’élection de 2016. Malgré la publication de vidéos pour le moins gênantes, ses adversaires démocrates n’ont pas eu gain de cause.

Un bon timing de scandale n’est donc pas une garantie de succès électoral ; en outre, trop de scandales peut tuer le scandale, créant un effet de lassitude : trop souvent répétés, de tels messages finissent par être ignorés.

Reste à savoir si les semaines à venir ne vont pas donner lieu à un florilège de nouvelles révélations à l’approche du premier débat télévisé.

Ironie du sort, quelques mois avant le scrutin, les électeurs américains, tous partis confondus, affirment à 90 % attendre de leur futur président qu’il soit irréprochable au niveau de l’éthique. La route semble encore longue…

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