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Une baisse de 55 % du nombre de passagers dans le monde devrait être enregistrée en 2020 par rapport à l’année précédente. Thomas Coex/AFP

Le transport aérien ne sera plus jamais le même…

« En 65 jours, le trafic a perdu ce qu’il avait gagné en 65 ans ». Tel était l’accablant constat que formulait le PDG de Lufthansa, Carsten Spohr, en s’adressant aux actionnaires de la compagnie allemande le 5 mai dernier.

Au printemps dernier, le nombre de passagers de Lufthansa n’était que de 1 % par rapport à celui de l’année précédente. Un chiffre qui illustre l’ampleur de la crise, à l’instar des sombres perspectives mondiales pour le secteur. L’International Air Transport Association (IATA) prévoit ainsi une baisse de 55 % du nombre de passagers dans le monde par rapport à 2019, incluant les mois où le trafic était encore à un niveau normal.

Malgré cette crise inédite dans son intensité, un avenir sans transport aérien reste impensable. Mais à quoi pourrait-il ressembler après la crise ?

Organisation de l’aviation civile internationale (novembre 2020)

Pour répondre à cette question, l’EDHEC Business School a lancé un projet en septembre 2020 sur l’avenir de l’industrie du transport aérien. Dans le cadre de ce projet, 13 partenaires de l’écosystème du transport aérien utilisent différentes méthodes de prévision pour étudier des scénarios concernant l’avenir de cette industrie. Les partenaires comprennent deux grands aéroports, deux compagnies aériennes internationales, deux fabricants d’avions et d’équipements, une association industrielle, ainsi que des agences de voyages et fournisseurs technologiques.

À titre d’étape intermédiaire, le projet a identifié quatre facteurs qui seront déterminants pour l’avenir du secteur du transport aérien : le voyage d’affaires, la régionalisation des trajets, les réseaux « en étoile » et le flight shaming (la « honte de prendre l’avion » pour des raisons environnementales).

Voyages d’affaires, retour à la normale ?

Perçus par beaucoup comme un moteur essentiel de la croissance économique, les voyages d’affaires bénéficient depuis de nombreuses années de l’aura magique permettant de transformer des réunions physiques dans le monde entier en une opportunité commerciale et économique. Il a également été un moteur de croissance important pour l’industrie aérienne.

Pourtant, il est possible que les voyages d’affaires ne retrouvent plus jamais leur niveau d’avant la crise. Les interdictions de voyage, imposées par les États et les entreprises, peuvent servir de point de départ à un cycle auto-renforçant, que les stratèges recherchent pour identifier les changements exponentiels.

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Comme le suggère le diagramme en boucle de rétroaction ci-contre, les interdictions de voyager impliquent moins (ou pas) de vols, ce qui entraîne une diminution des budgets, un durcissement des réglementations en matière de voyage dont beaucoup peuvent prévaloir même après la levée des interdictions de voyager.

Si un tel cycle est arrêté dans les 4 semaines, les nouveaux comportements n’auront pas le temps de s’adapter et le système reviendra généralement à son état initial.

Cependant, plus la situation de crise durera longtemps, plus il sera probable que les changements systémiques deviennent permanents. L’absence de voyages d’affaires et de réunions en face à face a maintenant donné lieu à l’adoption d’alternatives en masse, comme la vidéoconférence, la collaboration virtuelle, les tableaux blancs en ligne, etc. Si ces alternatives sont capables de montrer qu’elles peuvent accroître la productivité, les voyages d’affaires deviendraient une exception pour les réunions, comme c’était le cas il y a 65 ans.

De la mondialisation à la régionalisation ?

Depuis 2005, la mondialisation montre des signes de ralentissement. Les stratégies d’internationalisation des entreprises sont de plus en plus axées sur la réactivité locale et de moins en moins sur le contrôle et la dépendance à l’égard des sièges sociaux internationaux.

Les tensions commerciales mondiales, telles que le conflit entre les États-Unis et la Chine, pourraient contribuer à ralentir les déplacements intercontinentaux. La crise de la Covid-19 pourrait accélérer cette tendance et favoriser le commerce et l’approvisionnement régionaux.

Organisation de l’aviation civile internationale (novembre 2020)

Une étude récente a montré qu’une réponse importante à la crise Covid-19 était la relocalisation des chaînes d’approvisionnement et notamment l’accent mis sur l’utilisation des écosystèmes régionaux. Cette réponse pourrait devenir permanente, renforcée par le faible niveau des voyages internationaux.

Des chiffres récents de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) montrent que si les voyages interrégionaux ont repris, passant d’une moyenne de 250 millions de passagers avant la crise à 100 millions aujourd’hui, le nombre de passagers internationaux quant à lui s’élève à 20 millions, soit bien en dessous des 160 millions d’avant la crise.

La fin du réseau en étoile ?

Il est intéressant de noter que l’impact de la pandémie du Covid-19 a été ressenti différemment par les compagnies aériennes à bas prix (low-cost), comme Ryan Air ou EasyJet, et les compagnies aériennes traditionnelles de réseau (CATR), comme Air France, Lufthansa ou Singapore Airlines.

Les CATR s’appuient sur des plates-formes centrales où les vols court-courriers sont reliés aux vols long-courriers qui, avec leurs avions de plus grande capacité, sont économiquement plus intéressants. Ce modèle, dit « en étoile » (hub-and-spoke), crée également de puissants effets de réseau, permettant aux grandes compagnies aériennes d’atteindre des économies d’échelle et de créer de puissantes barrières à l’entrée pour les nouveaux arrivants.

Ces avantages pour les CATR se font toutefois au prix de l’acceptation des passagers. En effet, ces itinéraires impliquent des correspondances. En temps normal, cela peut être remis en question pour des raisons environnementales et peut être ressenti comme un inconvénient par les passagers. Mais en temps de crise sanitaire, les hubs sont des zones à risque clés dans le voyage du passager, puisqu’il reste difficile de garantir des normes de distanciation sociale dans les aéroports.

L’interdépendance entre les vols court-courriers et les vols long-courriers est également un immense obstacle à la reprise. Pour les CATR, l’absence de vols long-courriers signifie que les vols court-courriers doivent être réduits. L’absence de vols court-courriers rendra alors impossible le remplissage des grands vols long-courriers.

Les compagnies aériennes à bas coûts et à service complet qui exploitent un modèle point à point peuvent être beaucoup plus réactives en ouvrant et en fermant des routes pour répondre à la fluctuation de la demande. La plupart des CART ont pour stratégie de tenir bon et de redémarrer à terme leur modèle hub-and-spoke. Mais pour éviter une panne de leur système de vols long-courriers de ravitaillement, elles doivent maintenir ouvertes les routes qui ne sont pas rentables. Cela les rend, dans la plupart des cas, dépendantes aux aides de l’État. La question est de savoir combien de temps cette stratégie peut être maintenue et combien de temps les contribuables seront prêts à couvrir les pertes.

Il n’est pas étonnant que certaines CATR redécouvrent les voyages de vacances avec leurs offres point à point. « Jamais auparavant nous n’avions inclus autant de nouvelles destinations de vacances dans notre programme. C’est notre réponse aux souhaits de nos clients », explique par exemple Harry Hohmeister, membre du conseil d’administration de la Deutsche Lufthansa AG.

Et qu’en est-il du « flight-shaming » ?

La prise de conscience croissante de l’impact environnemental a conduit à faire naître en Suède un mouvement de flygskam (en anglais flight shaming) visant à éviter les voyages en avion qui a désormais largement dépassé les frontières du royaume.

Or, certains signes indiquent également que les mesures liées au confinement, en réponse au Covid-19, ont augmenté l’envie des citoyens d’adopter un mode de vie plus calme. Cela soulève des questions sur le mode de vie cosmopolite que les classes moyennes ont si facilement adopté. Ce point reste aujourd’hui au cœur des préoccupations des acteurs de l’aérien même si son influence réelle sur le comportement des consommateurs reste difficile à mesurer.

En résumé, il ressort de nos travaux que ces quatre facteurs de changement annoncent une transition plus radicale dans le transport aérien que dans d’autres secteurs. S’il faut rester prudent dans les anticipations tant les incertitudes restent importantes, il semble que les scénarios de l’après-Covid se dessineront autour de ces 4 éléments. L’étude de ces différents scénarios possibles fera justement l’objet de la poursuite de notre projet de recherche.

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