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Le vote catholique, aspect sous-estimé mais crucial de la présidentielle américaine

Joe Biden, alors vice-président des États-Unis, en compagnie du pape François, à Washington le 24 septembre 2015. Andrew Caballero-Reynolds/AFP

Alors que les analystes politiques se sont beaucoup concentrés sur le soutien écrasant des évangéliques blancs à Donald Trump en 2016, la plupart ont négligé de souligner le rôle crucial des catholiques dans les trois États des Grands Lacs, qui ont fait pencher la balance du Collège électoral en sa faveur – la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin.

Trump a gagné chacun de ces États par des marges étroites, mais avec un fort soutien des catholiques blancs. Cette année, le vote catholique pourrait-il à nouveau jouer un rôle clé dans le résultat final ? Comme l’écrit le professeur Ryan P. Burge dans le numéro du 20 septembre du magazine Christianity Today, pour être réélu, le président Trump peut se permettre de perdre des votes évangéliques ; mais il ne peut certainement pas se permettre de perdre des votes catholiques.

Contexte du soutien catholique à Trump en 2016

Il y a environ 51 millions de catholiques adultes aux États-Unis, ce qui représente près d’un quart de l’électorat national. Bien que, depuis les années 1980, vote national et vote catholique se suivent de très près à chaque cycle électoral, 2016 a été une exception notable : Hillary Clinton a remporté le vote populaire national, mais Trump a attiré sur son nom la majorité des électeurs catholiques.

Deux facteurs ont aidé Donald Trump à obtenir cette majorité catholique : d’une part, ses appels populistes aux électeurs blancs de la classe ouvrière des États clés de Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin ; et, d’autre part, l’absence de la très attendue « vague latino ». Le vote latino a au contraire diminué de 3 % par rapport à 2012 et Trump a obtenu 10 % de voix latino de plus que Mitt Romney en 2012.

Pendant la convention nationale républicaine tenue à Cleveland, Ohio, le 21 juillet 2016. Jeff Swensen/AFP

Trump a également bénéficié d’une longue tendance dans le vote chrétien blanc à soutenir le Parti républicain. En 2012, le candidat du GOP Mitt Romney a remporté 78 % des suffrages des évangéliques blancs, et en 2008 John McCain en avait attiré 73 %. Trump s’est encore mieux tiré d’affaire en 2016, avec 81 % du vote évangélique blanc. En 2008 et 2012, 56 % des catholiques blancs avaient voté pour le candidat à la présidence du GOP ; ce pourcentage est passé à 60 en 2016.

Y a-t-il encore un vote catholique ?

Il est difficile de considérer le « vote catholique » comme une force monolithique compte tenu de la variation de ses choix dans le temps et de son hétérogénéité socioethnique. Tout candidat est confronté à la diversité de ce groupe et c’est un défi de trouver des slogans qui feront mouche pour tous.

Pendant de nombreuses années, les catholiques ont largement appartenu à la coalition du New Deal qui a porté le Parti démocrate 30 ans durant. Mais depuis les années 1980, leur vote s’est scindé, en raison de deux facteurs : l’amélioration de leur niveau de vie et la question de l’avortement.

Autrefois composés de la sous-classe immigrée qui s’est installée dans les centres-villes, qui a massivement adhéré aux syndicats et a voté pour le Parti démocrate, les catholiques ont progressivement changé de milieu, se sont trouvés mieux éduqués, économiquement prospères, et se sont souvent installés dans les banlieues, devenant plus conservateurs. Avec l’adoption du droit à l’avortement par les démocrates (à commencer par le candidat à la présidence de 1972, George McGovern) puis avec la fameuse décision de la Cour suprême dans l’affaire Roe vs. Wade, de nombreux catholiques ont considéré que le Parti démocrate ne les représentait plus.

Les stratèges républicains ont alors ciblé les catholiques du Nord-Est et du Midwest, ainsi que les évangéliques blancs du Sud, en insistant sur le thème des « valeurs morales ». Le GOP a réussi à séduire les électeurs « pro-vie » et de nombreux catholiques ont rejoint le parti dans les années 1980 ou sont devenus indépendants. Entre 1980 et 2000, un seul candidat démocrate à la présidence a remporté une forte majorité des suffrages catholiques : Bill Clinton, en 1996.

Les catholiques votent-ils nécessairement pour les candidats catholiques ?

L’identité catholique commune, si importante dans le passé, n’est plus un facteur déterminant de leur vote. En 1960, le soutien catholique a été sans faille pour le démocrate et catholique John F. Kennedy. Mais, avec le temps, cette identité a compté de moins en moins. En 2004, la fois suivante où le candidat démocrate à la présidence, John Kerry, était un catholique, il a perdu le vote catholique au profit du républicain méthodiste George W. Bush.

Ainsi, les croyances religieuses communes ne seront pas un critère suffisant pour justifier un vote en faveur du catholique Joe Biden. D’autant qu’il n’existe pas d’organisation politique unique qui mobiliserait les catholiques en tant que bloc électoral. L’épiscopat américain se montre généralement réticent à donner des consignes de vote, bien que certains évêques essaient ouvertement de le faire. Et quand ils le font, il n’est pas sûr ni prouvé que les catholiques les écoutent. Quant à l’influence éventuelle du pape François, malgré sa grande popularité auprès des catholiques aux États-Unis, rien ne prouve que sa voix aura un quelconque impact sur la façon dont ils voteront. En 2016, le pape avait critiqué ouvertement la position de Trump sur un mur à la frontière avec le Mexique, sans empêcher ce dernier de remporter le vote général des catholiques.

Le vote catholique s’éloigne-t-il de Trump ?

L’exode catholique hors du Parti démocrate n’a pas signifié un déplacement à grande échelle vers le Parti républicain. Depuis l’éclatement du vote catholique, les démocrates ont substantiellement perdu leur identification catholique, mais les républicains n’ont connu que des gains modérés. Comme le reste de l’électorat, les catholiques sont devenus de plus en plus indépendants vis-à-vis des partis politiques. La tendance générale est à une « républicanisation » accrue des catholiques blancs et à un soutien accru aux démocrates de la part des nouveaux immigrants et des catholiques non blancs.

Certes, comme bon nombre de catholiques se sont détournés du Parti démocrate, les scores obtenus par le GOP dans leurs rangs ont augmenté. Mais les sondages montrent que les catholiques s’éloignent désormais de Donald Trump, ce qui pourrait causer sa perte.

Des données récentes du Public Religion Research Institute témoignent d’une baisse significative de la cote de popularité du président parmi les catholiques blancs. Le débat sur l’immigration, en particulier, a ouvert une fissure. Si, comme nous l’avons dit, bon nombre de catholiques blancs ayant atteint un certain succès économique et abandonné les centres-villes ne pensent pas politiquement comme leurs parents et grands-parents, ils se souviennent encore comment les générations précédentes sont arrivées en Amérique et peuvent éprouver de la sympathie pour les immigrants d’aujourd’hui, en particulier les Latinos. En outre, la rhétorique anti-immigration de la campagne de 2016 s’est traduite en une politique migratoire si profondément offensante pour beaucoup d’électeurs latinos que ces derniers ont une claire et forte motivation à s’opposer au locataire actuel de la Maison Blanche.

Certains instituts de sondage de premier plan, comme le Pew Research Center ne pronostiquent pas un brusque changement dans le vote des groupes religieux en 2020 par rapport à 2016. Par exemple, les données de l’enquête hebdomadaire Data for Progress, menée depuis avril, suggèrent que les intentions de vote des protestants blancs (non évangéliques) seront très probablement comparables aux données de 2016. La démocrate Hillary Clinton a obtenu 41 % dans ce bloc, et Joe Biden devrait atteindre le même score. Trump est actuellement crédité de 47 % dans ce groupe, avec environ 10 % de restants indécis. Il est possible que le vote protestant mainline ne s’écarte pas beaucoup de celui 2016.

Cependant, pour que Trump répète sa victoire de 2016, il doit retrouver la cohésion et la forte participation du vote chrétien conservateur blanc qui l’a envoyé à la Maison Blanche. Peu doutent de sa capacité à mobiliser les évangéliques blancs, bien que le seuil prévisionnel de sa majorité parmi eux ait baissé. L’analyse des Data for Progress déjà citée montre que la baisse du vote catholique blanc pour Trump est encore plus forte que celle des évangéliques. Une estimation similaire se retrouve dans l’enquête du Public Religion Research Institute. Il est peu probable que la nomination à la Cour suprême d’une catholique fervente, Amy Coney Barrett, ait un impact sur les électeurs catholiques, étant donné que la Cour est déjà majoritairement catholique.

Pour Biden, l’une des clés de ses chances électorales va consister à contenir ses pertes parmi les chrétiens conservateurs blancs, en continuant à manifester sa piété. Il pourrait bien sûr gagner une large partie du vote catholique, mais pour cela il faudrait qu’il obtienne en prime une forte majorité des catholiques latinos.

Malgré son rôle crucial dans les élections américaines, le vote catholique reste dans l’ombre des nombreuses analyses consacrées aux électeurs évangéliques. C’est une erreur, car les électeurs catholiques sont une clé des résultats des élections nationales, compte tenu de leur concentration dans les États les plus compétitifs du Collège électoral. À mesure que nous nous rapprochons du jour même des élections, les médias et les autres observateurs de la campagne feraient bien de se pencher de plus près sur l’important vote catholique.

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