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La pureté de l’eau dépend aussi du robinet. Hans/Pixabay

L’eau potable peut-elle se passer de désinfectants ?

Lorsque nous ouvrons le robinet, nous nous attendons à ce que l’eau soit sûre. C’est-à-dire, qu’elle ne contienne pas de pathogènes susceptibles de nous rendre malades, et pas de produits chimiques qui pourraient poser des problèmes plus tard, dans notre vie.

Dans leur grande majorité, les systèmes d’eau potable dans le monde industrialisé ont été efficients pour nous fournir de l’eau sûre. Cependant, il y a toujours des situations problématiques qui émergent, porteuses de conséquences sur la sûreté de l’eau potable.

En particulier, depuis quelques mois, la ville de Flint, dans le Michigan, a affronté une crise concernant la distribution de son eau potable. Un nombre non négligeable d’habitants de Flint a été exposé à de dangereuses concentrations de plomb dans son eau. L’évènement a été causé par un changement de la source d’eau potable utilisée par la ville sans que l’on ait évalué correctement les conséquences sur l’évolution de la formule chimique de l’eau.

Cet épisode a mis sur le devant de la scène les méthodes de traitement des eaux qui garantissent la sûreté pour le public. Dans beaucoup de pays, l’utilisation d’un désinfectant – chlore ou chloramine – dans le système de distribution est requise. Parmi ces pays, les États-Unis et le Royaume-Uni. Un désinfectant sert de dernière barrière pour protéger la santé des buveurs contre une potentielle contamination de l’eau pendant sa distribution.

Cependant, il y a un certain nombre de pays qui n’utilisent pas de désinfectants qui restent dans l’eau une fois qu’elle est distribuée. Comment font-ils alors pour fournir de l’eau sûre sans ce produit chimique ajouté ?

Dans un article récemment publié, nous et nos collègues nous sommes mobilisés pour étudier cette question. Notre principale motivation a été de regarder de près si les municipalités pouvaient éviter de potentiels effets négatifs liés à l’utilisation d’un désinfectant tout en préservant la santé publique.

Désinfection, les pour et les contre

L’un des grands succès du XXe siècle en santé publique a été l’éradication de la plupart des épidémies liées à l’eau dans le monde développé. En 1902 en Belgique, du chlore a, pour la première fois, été ajouté à l’eau. Ont suivi, quelques années après, des sites aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cela a entraîné une régression de l’incidence des maladies dues à l’eau.

Projetons-nous à présent en 1974, l’année où des chercheurs néerlandais ont découvert la présence de chloroforme, probable cancérogène humain, dans l’eau potable.

Depuis lors, les scientifiques ont identifié des centaines de résidus de la désinfection (DBP, en anglais), des composés formés par la réaction entre le chlore et la matière organique naturellement présente dans l’eau. Les concentrations de ces substances sont contrôlées aux États-Unis et en Europe, contrôle fondé sur la mesure de groupes témoins de composés comme les trihalomethanes, connus pour être cancérogènes.

Les usines américaines de traitement de l’eau ont commencé à utiliser du chlore il y a 100 ans, mais dans les années 1980, des pays européens ont trouvé des moyens de se passer du chlore. roome/Flickr, CC BY-NC

La découverte des DBP, ainsi que les perceptions négatives du public au sujet du goût du chlore, a conduit plusieurs pays (notamment les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne) a mettre en œuvre des systèmes de distribution d’eau potable sans désinfectant résiduel dans l’eau, et donc sans présence dans l’eau du robinet. Cela a commencé à changer à la fin du XXe siècle.

Toutes les installations de traitement de l’eau passent par une étape de désinfection pour inactiver les pathogènes. Ce processus peut utiliser différents agents comme le chlore, l’ozone, la chloramine et les UV.

Après désinfection, l’eau est considérée comme sûre. Dans les pays qui se passent de désinfectants en aval de l’usine de traitement, les ingénieurs ont pour objectif de produire de l’eau qui ne contient pas de trop fortes concentrations de substances biodégradables qui pourraient faciliter la croissance microbienne dans les tuyaux. Cette concentration de microbes, sous forme de biofilms, peut être indésirable car elle contribue à la corrosion et à la dégradation de la qualité de l’eau, et peut également être un nid à pathogènes. De façon générale, ces pays ont développé un niveau élevé de traitement des eaux.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, un désinfectant résiduel est requis à travers tout le système de distribution, comme une barrière finale. Mais l’utilisation de ce désinfectant signifie aussi que les concentrations de DBP doivent être contrôlées. Les meilleures pratiques actuelles pour ce contrôle passent par la réduction de la présence de l’eau dans le système via le pompage et l’optimisation du stockage, l’aération pour supprimer les composés volatils dans les lieux de stockage et les dosages de désinfectants dans les endroits isolés du système de distribution.

A contrario, aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne, il n’y a pas de désinfectant résiduel. Dans ces pays, les compagnies de distribution d’eau se fondent sur un traitement poussé, une amélioration des infrastructures et un contrôle soigneux des opérations de distribution.

La gestion du système de distribution aux Pays-Bas, par exemple, commence par le design du réseau. Cela demande des essais de ce que l’on appelle les réseaux auto-nettoyants utilisant des tuyaux bien plus petits que ceux utilisés aux États-Unis, cela pour éviter que l’eau ne reste trop dans le système. Il y a également des programmes volontaristes d’opérations de gestion du réseau, nettoyage, réparations et de notifications aux consommateurs pour faire bouillir l’eau à titre de précaution.

Il est intéressant de noter que l’eau est fournie sans désinfectant seulement si des barrières suffisantes contre la contamination sont en œuvre. Le concept de barrières multiples assure la sûreté en cas de faille de l’une des protections, lesquelles couvrent la source d’eau potable, les différentes étapes du traitement et la gestion du système de distribution.

Cela nous amène à la question de savoir quelle est la bonne approche.

Pour répondre, nous devons définir les paramètres d’évaluation de ces approches. Dit simplement, nous avons besoin d’évaluer si la présence d’un désinfectant abaisse les incidences de survenues de problèmes liés à l’eau. À propos des DBP, nous pouvons nous accorder sur le fait qu’une exposition limitée est une bonne chose.

A-t-on besoin de chlore pour protéger la santé ?

En réalité, il y a très peu de données montrant qu’un désinfectant résiduel dans le système de distribution d’eau a prévenu l’émergence de maladies.

Une comparaison de la survenue de problèmes sanitaires liés à l’eau dans différents pays montre que les Pays-Bas, seul pays évalué par nous qui n’utilise pas de désinfectant résiduel a un risque très minime de maladies induites par l’eau. Ainsi en termes d’indicateurs microbiens pour ces risques, les systèmes avec désinfectant résiduel ne sont pas nécessairement plus sûrs que ceux qui n’en ont pas.

Une différence clé entre ces pays pourrait bien être l’état et la façon d’opérer les tuyaux qui distribuent l’eau. En général, les pays qui se passent de désinfectant résiduel ont investi dans l’amélioration de leurs systèmes de distribution pour limiter les contaminations dues aux fuites ou aux pannes.

Par exemple, aux Pays-Bas, au moins la moitié des tuyaux ont été changés, de métallique à plastique depuis les années 1970, avec pour résultat que les réseaux de distribution sont plutôt récents. Aux États-Unis, il y a sérieusement besoin d’améliorer l’infrastructure et cela demandera d’investir significativement dans les prochaines décennies. Cependant, cet effort d’investissement vaut la peine pour éviter une autre crise sanitaire comme à Flint dans le Michigan.

L’une des conclusions de notre recherche est que les gestionnaires de systèmes d’eau potable devraient considérer aller au-delà d’appliquer un désinfectant et de se préoccuper plutôt de la maintenance et du remplacement des anciens systèmes de distribution, ainsi que d’améliorer le processus de traitement des eaux. Cela serait bénéfique pour que l’exposition aux DBP soit limitée, tout en continuant à fournir une eau sûre aux consommateurs.

This article was originally published in English

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