16 personnes (sept Russes, trois Américains et six ressortissants d’autres pays occidentaux) détenues en Russie pour diverses raisons viennent d’être échangées contre 10 Russes (huit adultes dont un couple marié et les deux enfants de couple, lesquels n’étaient évidemment pas incarcérés). Les Russes libérés purgeaient aux États-Unis, en Allemagne, en Norvège, en Pologne et en Slovénie des peines de prison pour meurtre (dans le cas de l’agent du FSB Vadim Krassikov), espionnage ou cybercriminalité.
Certaines des personnes qui viennent d’être libérées avaient passé beaucoup de temps en prison. L’Américain Paul Whelan, par exemple, avait été derrière les barreaux pendant près de quatre ans, la militante proche d’Alexeï Navalny Lilia Tchanycheva plus de deux ans et demi, le journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich et l’opposant politique russe Vladimir Kara-Mourza, plus d’un an.
Cet échange, dont le New York Times estime qu’il s’agit du « plus important entre la Russie et l’Occident depuis des décennies », résulte d’un accord complexe impliquant sept pays.
Certains experts parlent à propos de ce type d’accord de « diplomatie des otages » : certains États emprisonnent des étrangers pour des motifs douteux afin d’obtenir plus tard, en échange de leur libération, tel ou tel bénéfice politique.
Quelles sont les règles – officielles comme informelles – qui guident ce genre de négociations délicates ? Amy Lieberman, de The Conversation U.S., s’est entretenue avec William Butler, spécialiste du droit russe et international, pour mieux comprendre cet accord surprise et ses soubassements.
À vos yeux, quel est l’aspect le plus marquant de cet épisode ?
Son ampleur. Il s’agit du plus grand échange de prisonniers jamais réalisé entre les États-Unis et la Russie, sept pays sont impliqués et 26 personnes ont été libérées, ce qui est extrêmement inhabituel. D’habitude, dans ce type de situations, il n’y a que des négociations bilatérales et elles n’aboutissent qu’à la libération d’un petit nombre d’individus.
Par ailleurs, il est important de comprendre que les accords sur les otages et les prisonniers comme celui-ci sont des exercices avant tout politiques et non juridiques. Il n’existe pas de traités internationaux ou de règles internationales qui déterminent la façon dont les libérations d’otages et de prisonniers politiques doivent se dérouler. Tous les pays concernés sont libres de conclure le type d’accord qu’ils souhaitent, en fonction de leurs intérêts respectifs, au cas par cas.
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La vraie question, à cet égard, est de savoir s’il ne serait pas préférable de disposer d’un cadre juridique international qui permettrait de libérer les otages et les prisonniers politiques conformément à un ensemble de lignes directrices clairement formulées. Au cours de l’histoire récente, il est devenu de plus en plus fréquent que des pays prennent en otage des prisonniers politiques et d’autres étrangers. La prochaine étape pourrait consister à mettre en place des accords internationaux qui institutionnaliseraient les canaux de libération des otages et des prisonniers.
Quels sont les facteurs susceptibles de faire avancer ces discussions ?
Il est difficile de le savoir, car les négociations de ce type se déroulent discrètement, en coulisses. Les personnes impliquées de part et d’autre sont soumises à des contraintes quant à ce qui peut être divulgué ou non.
Chaque cas d’échange d’otages ou de prisonniers politiques est particulier, même si des schémas peuvent émerger à mesure que les pays acquièrent de l’expérience en la matière et tirent les leçons des épisodes précédents.
Existe-t-il une sorte de guide informel que les pays pourraient consulter au cours de ces négociations ?
Chaque pays dispose de son propre mécanisme interne pour gérer ce genre de négociations. Mais comme ces discussions sont hautement politiques et secrètes, elles ne se pas conduites uniquement par des fonctionnaires de niveau inférieur ou intermédiaire. Elles impliquent directement les chefs d’État, qui se mettent d’accord entre eux sur les décisions définitives.
En ce qui concerne les États-Unis, cela signifie que le président, la vice-présidente et les hauts responsables du département d’État ont été impliqués dans ces négociations.
Les États-Unis disposent également d’un mécanisme interne qui leur permet de classer les citoyens américains « détenus à tort » par d’autres pays. Il ne s’agit pas de dire si ces gens sont coupables ou innocents ; simplement, quand l’administration américaine estime que ces citoyens ont été mis en prison dans des circonstances douteuses, alors diverses agences gouvernementales du pays s’impliquent dans la recherche d’un échange ou d’une libération. Par exemple, lorsque la basketteuse Brittney Griner a été mise en prison en Russie, ses proches ont avant tout cherché à persuader le gouvernement américain qu’il fallait la classer comme « détenue à tort ».
Le timing de l’accord a-t-il pu être influencé par d’autres facteurs, comme la guerre en Ukraine ou la campagne présidentielle en cours aux États-Unis ?
Chaque fois qu’un accord de ce type survient, la question du timing se pose nécessairement. Pour ma part, je m’étais dit que quelque chose de ce type était peut-être en préparation quand j’ai appris que le procès d’Evan Gershkovich avait été avancé au mois de juillet. J’ai trouvé cela inhabituel. Quand le procès a eu lieu, le 19 juillet, Gershkovich a été condamné à 16 ans de colonie pénitentiaire, pour espionnage – des accusations pour lesquelles le gouvernement russe n’a pas fourni de preuves concluantes et que la défense de Gershkovich ainsi que le gouvernement américain ont entièrement rejetées.
Le cas de Gershkovich est plus délicat que celui de Griner, que les autorités russes avaient arrêtée puis placée en détention pour contrebande de stupéfiants en mars 2022. Elle avait été incarcérée et condamnée en août 2022 à neuf ans de prison, avant que les États-Unis ne concluent avec la Russie un accord qui a permis sa libération en décembre 2022 en échange du trafiquant d’armes russes Viktor Bout. Griner avait plaidé coupable.
En ce qui concerne Gershkovich, on ignore l’article exact du code pénal russe en vertu duquel il a été condamné.