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L’école dehors : l’exposition à la nature ne fait pas tout !

Faire l’école dehors demande de sortir d'une vision binaire et de considérer l’humain comme appartenant intégralement au monde de la nature. Shutterstock

Depuis quelques années, un croissant appel à l’éducation en plein air se fait entendre dans les familles et les écoles françaises. Dans un contexte sociétal marqué par une prise de conscience de la rupture entre les humains et leur environnement dit « naturel », la « pédagogie par la nature » s’impose comme un retour au bon sens.

Comme en témoignent les appels, sur The Conversation, de Mariani Brussoni, de Tegwen Gadais et Audrey-Anne Beauchamp, la révolution verte de l’éducation est en marche, pour reprendre le sous-titre du livre de Moïna Fauchier-Delavigne et Matthieu Chéreau, L’enfant dans la nature ! Et ce, jusqu’à l’incitation récente du ministère de l’Éducation nationale (lien) à augmenter les sorties en nature, face à l’épidémie de la Covid-19.

Ces appels de la sphère éducative et associative s’appuient sur une série de recherches – tant en neurosciences éducatives qu’en psychologie cognitive, en passant par les sciences de l’environnement – prouvant les indéniables bénéfices du plein air pour la santé humaine (Frumkin, Bratman & Breslow, 2017). À partir de ces constats, un enfant en bonne santé serait un enfant qui apprend mieux.

Les résultats constatés par les chercheurs au sein d’écoles en nature convergent effectivement vers les mêmes conclusions : la motivation des enfants est augmentée, leur anxiété et stress sont réduits et leurs compétences sociales et relationnelles apparaissent comme exponentielles (Kuo & Jordan, 2019). Mettez les enfants dehors, donc, vous en ferez des élèves heureux et « performants », s’exclame-t-on, enthousiastes et, sans doute, de manière trop simpliste.

Il faut en effet souligner que les quelque 200 études que l’on a répertoriées (revue de littérature à paraître) insistent sur le fait qu’il est difficile, voire impossible, de séparer les variables « environnement naturel » des variables « pédagogiques ». En d’autres termes, c’est l’association du plein air, mais aussi des postures des adultes accompagnateurs avec les activités menées qui génère les impacts d’ordre cognitif et social mis en avant. Laissons donc un instant de côté les – indéniables – apports du plein air pour nous intéresser aux fondements pédagogiques qui consolident ces apports.

Les six piliers des forest schools

Les écoles « dehors » ou « dans la nature » françaises trouvent leurs origines dans une pluralité de mouvements historiques : des jardins d’enfants scandinaves au courant du plein air Fröbelien, en passant par les Forest Schools, l’Outdoor/Adventure Learning/Education anglo-saxonnes, les initiatives françaises s’inspirent, en tentant une nécessaire adaptation socio-culturelle, d’une grande variété d’approches.

Néanmoins, malgré l’atomisation des pratiques et des inspirations des « praticiens du Dehors », ils s’accordent généralement sur les mêmes grands principes, inspirés des Forest Schools

  • Un environnement naturel – non construit par l’homme – si possible boisé,

  • Des sessions régulières, qui rendent possible la consolidation des savoirs et compétences,

  • Une communauté d’apprentissage, qui permet les apprentissages collaboratifs et l’initiation aux compétences dites « sociales » ou « relationnelles »,

  • Un développement holistique de l’individu (c’est-à-dire une prise en compte dans sa globalité), qui préfère l’appréhension transversale du monde plutôt qu’un découpage disciplinaire,

  • Une éducation au risque, vectrice de développement moteur, de confiance en soi et de prise d’initiative nécessaires à la construction de l’individu,

  • Des professionnels qualifiés, par leur expérience et/ou par un cursus d’études spécifiques.

Sur ces six piliers, seul le premier a trait à l’environnement en tant que lieu d’apprentissage. Les cinq autres concernent la démarche pédagogique. Preuve, s’il en est, de la nécessité d’une (trans)formation – avant qu’elle ne soit une révolution – éducative. Enseignants, éducateurs, animateurs et parents sont en effet amenés à réaménager leurs pratiques et postures afin de tirer profit du potentiel de l’éducation en plein air.

Des postures d’accompagnement à développer

Le courant de recherche en éducation dit « socio-constructiviste » encourage, depuis plusieurs décennies, les postures de médiation, de mise en retrait, de « lâcher prise » et d’engagement actif de l’enfant, qui sous-tendent – entre autres – les piliers de l’école en nature.

L’école du dehors, pas davantage que d’autres pédagogies encore désignées comme « alternatives », ne les a donc pas inventées, ni pratiquées en premier lieu. En revanche, faire école dehors ne peut se passer de ces postures : cela « oblige », en quelques sortes, à ces postures. Les constats obtenus par les recherches citées en début d’article supposent, en effet, l’adoption de postures socio-constructivistes, communicatives, actionnelles, interactives et sensorielles par les adultes accompagnateurs.

Apprendre autrement avec « l’école dehors » (AFP, février 2021).

Les principales postures d’accompagnement des activités libres ou structurées sont basées sur :

  • une mise en retrait initiale qui n’exclut pas les consignes, en particulier celles relevant de la sécurité des enfants. Une préférence est donnée à la découverte directe des enfants de l’environnement, des outils, des jeux, etc.,

  • une maïeutique discrète basée sur un étayage en demi-teinte. Les questions des enfants sont d’abord renvoyées aux pairs, puis contextualisées, reformulées, approfondies,

  • une observation continuelle, attentive et confiance, qui n’exclut par l’intervention pour préserver la sécurité des enfants ou participer à la gestion d’un conflit, si nécessaire.

Cela étant, rappelons que, de la même manière que pour la « classe intérieure », le débat entre enseignement socio-constructiviste et enseignement direct a toujours lieu. Un accompagnement relevant d’une posture plus transmissive reste nécessaire, entre autres, pour s’assurer de la compréhension première des enfants de la situation en cours.

D’une démarche descendante au « Place Based Learning »

Si la pédagogie par la nature constitue une « révolution verte » de la démarche éducative, c’est d’abord parce qu’elle se base sur l’environnement végétal et animal comme vecteur d’apprentissage. Mais, au-delà de son qualificatif « vert », c’est son caractère révolutionnaire qu’il s’agit d’interroger. Et, sur ce sujet précis, peu d’études ont encore été publiées.

Pourtant, faire l’école dehors peut constituer un véritable moteur de renversement des pratiques, en termes de didactique des disciplines scolaires. Deux principales démarches s’opposent et pourtant se combinent au sein des pratiques pédagogiques en nature :

  • une démarche « classique », de type descendant, où l’enseignant·e prépare ses séances de cours en fonction du programme scolaire. Les éléments naturels présents sur le lieu jouent un rôle de médiateurs et d’outils pour mener à bien les activités de maths, de lecture-écriture, de découverte du monde, etc.

  • une démarche « située », déjà bien ancrée dans le monde anglo-saxon sous le terme « Place Based Learning ». Là, on part sur le terrain et, à partir des éléments présents sur le lieu (les « loose parts »), l’enseignant·e va amener les enfants à créer du lien entre l’activité qu’ils entreprennent spontanément et le programme scolaire qu’ils ont en tête.

Cette deuxième démarche – véritablement transversale et transdisciplinaire – suppose, de la part des enseignant·e·s, une connaissance expérientielle des éléments présents sur leur terrain, une parfaite maîtrise du programme et des compétences de médiation et d’adaptabilité.

Les enseignants créent une interaction entre les éléments trouvés sur le terrain et les programmes scolaires. Shutterstock

Sur le terrain, à partir d’activités dites de « jeu libre » (Loebach et Cox, 2020) les deux démarches se mêlent souvent, au rythme des interactions avec les enfants, de leurs besoins exprimés sur le moment et des opportunités observées par les enseignant·e·s qui n’hésitent pas, alors, à « faire feu de tout bois » !

L’illusion d’une « efficacité naturelle » coupée d’une « efficacité pédagogique » renvoie à la rupture, magnifiquement illustrée par Philippe Descola, entre les deux concepts de « Nature » et de « Culture ». La conception dualiste de l’espèce humaine reste, en effet, fortement ancrée dans l’imaginaire collectif occidental : d’un côté, l’humain et ses propriétés culturelles ; de l’autre, les espèces minérales, végétales, animales et leurs propriétés naturelles.

Or, faire l’école dehors demande de sortir de cette vision binaire en considérant l’humain comme appartenant intégralement au monde de la nature. Les apports des végétaux ou des animaux présents sur les lieux où nous faisons classe dehors agissent, bien entendu, par eux-mêmes. Mais les démarches et postures pédagogiques empruntées par les enseignant·e·s constituent le socle didactique qui donne à la « pédagogie du Dehors » tout son sens et toute son efficacité.

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