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L’école et « le sentiment d’appartenance à l’Union européenne »

A l'horizon 2024, la moitié d’une classe d’âge devra avoir passé au moins six mois dans un autre pays européen, selon les objectifs fixés par le ministère de l'Education. Shutterstock

En proposant la création d’un « espace éducatif européen » juste après la signature du traité de Maastricht, la Commission européenne – suivie par les ministres et le Parlement européen – a choisi dès 1994 de privilégier toutes les initiatives, linguistiques et culturelles, qui, de l’école à l’université, « contribuent à renforcer le sentiment d’appartenance à l’Union européenne » selon les propres termes d’Antonio Ruberti, alors commissaire européen à l’Éducation et à la Formation, dans Le Monde du 23 juin 1994.

Le décret d’application du 11 juillet 2006 de la loi d’orientation (dite loi Fillon) relatif au socle commun de connaissances et de compétences relaie ce cap, indiquant – quant aux « compétences sociales et civiques » – qu’il s’agit aussi de « développer le sentiment d’appartenance à son pays, à l’Union européenne, dans le respect dû à la diversité des choix de chacun et de ses options personnelles ».

Idem pour la loi d’orientation qui a suivi, celle de juillet 2013. Portée par Vincent Peillon, elle dispose que :

« L’Ecole doit favoriser l’intégration des futurs citoyens français dans l’espace politique de l’Union européenne […]. Elle assure conjointement avec la famille l’éducation morale et civique qui comprend, pour permettre l’exercice de la citoyenneté, l’apprentissage des valeurs et symboles de la République et de l’Union européenne ».

Les programmes de 2015

Qu’en est-il des programmes scolaires de l’école obligatoire, parus en 2015 ? En quatrième, dans le programme d’histoire, l’un des libellés des trois grands thèmes à étudier comprend l’Europe (« L’Europe et le monde au XIXe siècle »), deux des huit questions à traiter durant l’année y sont liées : « L’Europe des Lumières » et « L’Europe et la révolution industrielle ».

En troisième, toujours en histoire, l’un des libellés des trois grands thèmes porte à nouveau sur l’Europe – « L’Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914-1945) » – et l’une des neuf questions à traiter durant l’année la concerne directement : « Affirmation et mise en œuvre du projet européen ».

En géographie, en cette dernière année de collège, l’un des trois principaux sujets, « La France et L’Union européenne », se décline en deux questions (sur les sept à traiter durant l’année) : « La France et l’Europe dans le monde », « L’Union européenne, un nouveau territoire de référence et d’appartenance ». À propos de ce sujet, il est précisé que :

« L’analyse géographique permet d’aborder l’Union européenne dans une perspective de construction et de politiques territoriales. Cette étude est complémentaire de celle menée au thème 2 d’histoire (« Affirmation et mise en œuvre du projet européen ») pour cette même classe de troisième. On présente les caractéristiques du territoire de l’UE en insistant sur la position du territoire français dans cette géographie européenne et le potentiel que l’UE représente pour notre pays. »

Une construction en cours

Mettre ces programmes en œuvre selon l’orientation définie dès 2006, à savoir en développant « le sentiment d’appartenance à l’Europe », ne va pas de soi. C’est ce que reconnaissait implicitement le texte même du décret d’application de la loi d’orientation, précisant : « dans le respect dû à la diversité des choix de chacun et de ses options personnelles ».

Comme le soulignait dès 2009 Dominique Rolin (qui avait été le secrétaire général de feu le Conseil national des programmes) dans L’Ecole des parents, en février 2009,

« L’Europe n’est pas un savoir scientifique ; et en plus sa construction n’est pas achevée. Ainsi, au lieu de pouvoir s’appuyer sur un corpus scientifique pour construire leurs cours, les enseignants sont amenés à intégrer leurs positions personnelles, avec toutes les conséquences en termes de pluralité que cela entraîne. »

L’Europe « n’est pas le seul sujet d’enseignement qui confronte les professeurs à ce type de difficultés, ajoute Dominique Rolin : par exemple la sécurité routière, l’éducation à la santé ou à la sexualité sont du même ordre ; elles se réfèrent également à des choix de société et non à des savoirs universitaires établis ».

Séjours scolaires

Toujours est-il que les ministres de l’Education nationale sont régulièrement interpellés par des parlementaires à ce sujet, en particulier lorsque les élections européennes se rapprochent. Il y a un an, lors des questions au gouvernement du 16 mai 2018 à l’Assemblée nationale, Marguerite Deprez-Audebert, députée Modem du Pas-de-Calais, a ainsi interpellé le ministre de l’Education nationale Jean‑Michel Blanquer sur la façon « de donner envie d’Europe à notre jeunesse » en faisant valoir que 73 % des 18-35 ans n’ont pas voté en 2014.

En réponse, le ministre de l’Éducation nationale a affirmé qu’il était « tout à fait primordial d’ancrer l’idée européenne chez les jeunes, en leur faisant bien comprendre qu’il y va de leur avenir » et qu’une telle action de sensibilisation fait partie intégrante de la « stratégie » qu’il a élaborée avec le Chef de l’État dont l’objectif est le suivant :

« À l’horizon 2024, chaque étudiant devra parler deux langues européennes en plus de la sienne ; et la moitié d’une classe d’âge devra avoir passé au moins six mois dans un autre pays européen que le sien. »

Jean‑Michel Blanquer précise même qu’il faut « favoriser la mobilité en soutenant les associations qui le font » et en fixant des objectifs « au sein même de l’Education nationale », à l’instar de celui qu’il a décidé pour l’année scolaire 2018-2019 : 12 % des élèves du second degré, soit 700 000 élèves, devront avoir effectué un séjour à l’étranger ». Pari tenu ? On ne sait.

Arts et histoire

Le ministre de l’Education nationale a enfin ajouté que dans sa l ettre de saisine du Conseil supérieur des programmes de mars 2018, il avait demandé que soient établis des contenus « qui contribueront à la formation intellectuelle et civique des jeunes générations et leur donneront les clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent », en soutenant qu’il s’agissait d’« assurer la transmission de contenus académiques et disciplinaires solides, ouverts sur l’Europe, et pleinement ancrés dans les enjeux mondiaux de notre temps ». Soit. Mais en l’occurrence, cela relève du lycée, donc pas de la scolarité obligatoire qui s’adresse à tout le monde. Rien n’est simple.

D’autres voies sont sans doute possibles. Certains mettent l’accent sur le pouvoir « rassembleur » de certaines entrées culturelles de l’histoire de l’Europe : le roman et le gothique, la Renaissance et les Lumières, le romantisme, sans compter l’art nouveau, le cubisme et l’expressionnisme, le surréalisme, l’art déco…

Et l’on a même vu l’historien François Lebrun (membre lui aussi de feu le « Conseil national des programmes ») évoquer dans la très sérieuse revue Le Débat de novembre 1995 la possibilité d’un « Tour de l’Europe par deux enfants » qui pourrait jouer un rôle analogue à celui qu’avait joué le manuel de lecture courante Le Tour de la France par deux enfants pour affermir et faire connaître la « patrie » France sous la IIIe République.

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