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Grains de sable

L’école française, championne des inégalités sociales ?

Des étudiants regardent les résultats du bac. Tous égaux ? Charles Platiau- Reuters, CC BY-NC-SA

Jusqu’au seuil du vingt et unième siècle, nous pouvions croire, et certains y croyaient, que nous avions l’école la meilleure du monde. Avec les enquêtes PISA mises en œuvre sous l’égide de l’OCDE à partir de 2000, cette croyance s’est effondrée. Les performances des petits Français, par rapport aux pays voisins, sont certes dans la moyenne, et nous sommes de fait peu différents des autres si l’on tient compte des marges d’erreur de ces enquêtes. Par contre, nous nous distinguons par le fait que chez nous, les performances des élèves sont bien plus qu’ailleurs dépendantes de leur milieu familial d’origine. Et alors ?

Tout particulièrement dans notre pays, qu’il y ait des inégalités sociales à l’école passe pour une évidence : les sociologues Bourdieu et Passeron et toute une sociologie de l’éducation relativement féconde1a amplement décrit comment se conjuguent des inégalités de réussite –les élèves étant inégaux face aux exigences de l’école-, et des stratégies qui les amplifient, portées par des parents plus ou moins familiers de la chose scolaire. Mais si la recherche internationale montre qu’il existe des inégalités sociales scolaires dans tous les pays, celles-ci sont plus ou moins fortes, ce qui interpelle ce relatif fatalisme qui prévaut en France.

Comparaisons internationales

Ce qui intrigue en particulier, au vu des comparaisons internationales, c’est qu’il n’existe pas de relation automatique entre l’importance des inégalités sociales entre les familles et l’ampleur des inégalités sociales scolaires. Certes, le modèle de la reproduction des inégalités sociales par l’école n’est pas une invention de Bourdieu et Passeron ; il se vérifie dans nombre de pays, quand on observe à la fois de fortes inégalités de revenus et de fortes inégalités scolaires : c’est notamment le cas des États-Unis.

Ceci vaut aussi, à l’inverse, quand se combinent de faibles inégalités scolaires et sociales, essentiellement dans les pays scandinaves. Mais il y a des situations a priori moins attendues. Soit que –au Canada ou au Japon notamment-, les inégalités scolaires apparaissent faibles alors que les inégalités de revenus sont bien plus marquées, soit que, au contraire, les inégalités scolaires se révèlent assez fortes tandis que les inégalités de revenus sont relativement modérées, ce qui est le cas de la France. Ceci suggère que l’institution scolaire n’est pas une pure courroie de transmission : l’école peut accentuer ou, au contraire, atténuer les conséquences des inégalités sociales sur les inégalités scolaires.

Ce que font les systèmes égalitaires/inégalitaires…

Même si comparaison n’est pas raison – ce que savent les élèves ne dépend pas seulement de l’école –, il serait coupable de ne pas mettre en perspective les performances de nos voisins et l’organisation de leur école. Parmi les caractéristiques des systèmes associées à des inégalités sociales scolaires plus ou moins fortes, une des plus constantes est la longueur du tronc commun pendant lequel tous les élèves sont scolarisés ensemble. À l’inverse, les pays ayant des filières dès l’âge de 14 ans (ou même avant) ont systématiquement les systèmes scolaires les plus inégalitaires tout en ayant le plus souvent des performances moyennes médiocres. Sélectionner les élèves tôt n’est donc pas, tant s’en faut, un gage d’efficacité.

Les inégalités entre les élèves dépendent aussi de l’importance de la ségrégation sociale et scolaire entre les établissements, qui, à son tour, relève à la fois des politiques scolaires et du niveau de ségrégation spatiale. La ségrégation scolaire et sociale entre écoles, toujours vecteur de fortes inégalités, peut elle-même résulter de politiques éducatives, telles que le libre choix de l’école. À l’opposé, dans les systèmes les moins inégalitaires, l’offre éducative est homogène, le choix de l’école est régulé, la décentralisation est encadrée et la part du privé est faible.

Au milieu du gué

Ces constats, rappelés à grands traits, permettent de mieux comprendre la situation de l’école française. Nous avons depuis la réforme Haby (1975) instauré un tronc commun au collège, un facteur a priori favorable. Mais nous sommes restés au milieu du gué, alors que dans les pays scandinaves et anglo-saxons se développaient à partir des années 1960 des « comprehensive school » sans filière et avec des programmes centrés sur ce que doivent maîtriser les élèves à la fin de l’école obligatoire. Chez nous, les programmes (et aussi les enseignants) des anciens lycées ont été transférés, certes avec quelques aménagements, au collège, et les élèves sont rarement scolarisés dans ces classes hétérogènes que prévoyait le « collège unique », même si les anciennes filières ont disparu.

De plus, même si la recherche internationale en montre l’inefficacité, le redoublement –certes en baisse- est encore répandu, et on peine à « traiter » autrement les élèves en difficultés, plus souvent de milieu social défavorisé. Ceci tire le niveau moyen vers le bas et les inégalités sociales vers le haut dans les enquêtes comme PISA qui comparent les élèves de 15 ans puisque ceux-ci, dans notre pays, peuvent être scolarisés à des niveaux scolaires différents (55 % sont en classe de 2nde, les autres sont encore en collège).

Relations entre maîtres et élèves

D’autres facteurs jouent également, tel notre système de grandes écoles –verrou de l’accès à l’élite- qui durcit la compétition dès le secondaire, et favorise des contenus de formation très académiques : il faut étudier au lycée ce qui sera utile dans les classes préparatoires, et au collège ce qui sera utile au lycée, et aussi faire les choix stratégiques qui permettront d’être dans les meilleures classes et les meilleurs établissements. Ceci nous vaut un lycée plus cher qu’ailleurs (tant les options qui font le jeu de ces stratégiques sont nombreuses), et en bout de course un enseignement primaire, bien moins richement doté que les niveaux plus élevés alors que c’est à ce niveau que se figent les inégalités.

Une autre spécificité française concerne la formation des enseignants : alors qu’on a même imaginé il y a quelques années de la supprimer totalement, elle reste aujourd’hui dominée par la formation disciplinaire, dans un contexte où l’on méprise volontiers les questions pédagogiques. Non sans rapport sans doute, les relations entre maîtres et élèves sont en France bien plus mauvaises qu’ailleurs, alors qu’on sait aujourd’hui que le bien-être des élèves n’est pas antinomique, au contraire, avec leur réussite éducative sur ces différents domaines, nous avons la main et des possibilités réelles d’amélioration…

Cette chronique est la première de deux chroniques sur les inégalités scolaires.

Dernier ouvrage paru : « Dix propositions pour changer d’école », Seuil, 2015, avec François Dubet.

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