Menu Close

L’écologie « relationnelle » pour repenser les rapports entre l’homme et son environnement

Shutterstock

Éco-logie, science de la « maison », de « l’habitat » ou encore « du milieu ». Inventé à la fin du XIXe siècle par le biologiste Ernst Haeckel, le terme a depuis généré une diversité terminologique impressionnante – écologie de la conservation, végétale, urbaine, agroécologie – au fur et à mesure de la compréhension de plus en plus précise de la diversité terrestre.

Il est toutefois intéressant de constater que le terme, peu importe son contexte d’utilisation, s’est longtemps ancré dans un même et unique rapport au monde : l’appréhension de ce qui est autre par le seul prisme de la division entre deux mondes, celui de l’humain et celui de la nature. Plusieurs auteurs ont depuis contesté cette posture.

Nous proposons de remettre en perspective ces critiques pour cheminer vers un nouveau champ d’études à explorer dans le domaine de l’écologie. Soit la découverte et les potentialités offertes par l’étude des liens entre l’humain et le non-humain, que nous nommons « l’écologie relationnelle ».

Trouver un nouveau cadre

Richard Rorty, dans La philosophie et le miroir de la nature, s’est intéressé dès les années 1970 à l’utilisation du terme « nature » dans la philosophie des Lumières.

Il démontre que le terme de « nature » a rapidement remplacé celui de « Dieu », devenant un nouvel « absolu » à partir duquel les philosophes pensent le monde sans jamais pourtant questionner les limites euristiques de ces notions. Cette orientation philosophique a eu tendance à s’imposer mondialement, avec des conséquences majeures dans les façons de penser et d’habiter le monde.

Pourtant, un regard sur la diversité des cultures et des territoires nous apprend que cette approche est loin d’être universelle. Pour l’anthropologue Philippe Descola, la séparation radicale entre la culture et la nature qui en découle est même l’une des caractéristiques intrinsèques des sociétés dites « modernes » ; un positionnement que l’auteur nomme « le naturalisme ». Celui-ci considère l’intériorité des êtres humains comme spécifique et ainsi relativement autonome des contraintes environnementales. Si cette vision du monde est largement répandue dans les territoires occidentaux, elle ne constitue qu’une posture parmi d’autres dans la diversité des relations qui caractérisent chaque société.

À titre d’exemple, la catégorisation cartésienne entre ceux qui « pensent », les humains, et ceux qui ne pensent pas, les non-humains, a fait émerger en philosophie politique une division du monde entre sujets et objets, qui ne permet pas d’apporter une réponse politique et juridique suffisante face à la crise climatique actuelle. Cette démarche, qui cantonne le non-humain au statut de ressource à exploiter, réduit les possibilités de sa protection, tout en inhibant nombre de ressorts juridiques permettant de reconnaître la responsabilité de l’humain dans les crises environnementales.

Il y a donc urgence à trouver une issue pour appréhender autrement les défis de notre monde. L’écologie relationnelle peut constituer cette nouvelle méthode pour penser nos relations aux autres et aux territoires. Nous la décrirons en ses trois moments fondateurs : reconsidérer la diversité, assumer la vulnérabilité et penser des espaces de lien renouvelés.

Reconsidérer la diversité

Dans Les mots et les choses, Michel Foucault nous explique à quel point le fait de rendre similaire dans les sociétés modernes les choses se trouvent aux fondements de la construction des connaissances.

Si cette logique a eu le mérite de produire des résultats scientifiques exceptionnels, elle n’est pas pertinente pour considérer la diversité. Selon elle, la nouvelle connaissance ne peut être appréhendée qu’à partir d’un a priori issu d’une connaissance précédente. Ainsi cet a priori véhicule un risque d’oublier la particularité de l’objet qui est appréhendé. Les sciences de l’écologie n’ont pas échappé à cette logique.

Les espèces animales et végétales ont ainsi pendant longtemps été appréhendées au seul prisme de leur distinction fondamentale avec l’être humain. Pourtant, de nouveaux travaux montrent que toute espèce est capable de faire société à sa manière. Les études conduites par les équipes de Sabrina Krief au Muséum national d’histoire naturelle sur les chimpanzés sont à ce propos majeures. Et si les grands singes ont leurs codes culturels propres, les corbeaux font de leur côté le deuil de leurs proches, les castors sont capables de modifier les cours d’eaux et les plantes de collaborer entres elles. Les humains ne sont pas les seuls à pouvoir créer des mondes complexes.

Un des outils pour prendre en compte cette diversité réside dans ce que Raimon Pannikar appelle le « dialogue dialogal » : faire entrer dans le dialogue, en plus de la raison, le domaine du sensible, des sensations et des émotions, afin de comprendre l’autre dans sa spécificité et sa pluralité.

Assumer la vulnérabilité

Dans son livre Éléments pour une éthique de la vulnérabilité, la philosophe Corine Pelluchon défend l’idée que chaque être vivant (humain compris) reste en permanence vulnérable aux autres. Cette vulnérabilité se matérialise d’abord par les cycles de la vie et, par extension, par la finitude des corps ; mais également par tous les actes quotidiens qui nous relient aux autres pour nous alimenter, nous vêtir, nous soigner, travailler ou encore nous déplacer. Assumer la vulnérabilité, c’est accepter une relation fondée sur l’interdépendance entre les humains et leur environnement.

Les travaux en géographie et en anthropologie montrent aujourd’hui que les sociétés ont toujours été soumises aux contraintes environnementales des milieux, les obligeant à s’adapter, à modifier leurs pratiques et leurs cultures. Inversement, les actions humaines ont façonné en profondeur paysages et territoires. Les trajectoires des mondes sont donc les conséquences de rapports complexes et historiquement ancrés entre un milieu et une société.

Penser les espaces du lien

Finalement, rendre justice à la diversité et réinvestir la question de la relation dans une perspective plus complète, revient à se donner l’opportunité de penser les espaces du lien entre humain et non-humain.

Trois espaces semblent à ce titre particulièrement intéressants.

Le premier concerne la rencontre. Dans son dernier livre, Le champignon de la fin du monde, l’anthropologue Anna Tsing prend l’exemple des champignons matsutakes poussant dans les forêts de l’Oregon, pour souligner que la rencontre entre humain et un non-humain donne un résultat bien supérieur à la somme des parties. La relation qui s’instaure fait émerger de l’intelligence, de l’amitié, des souvenirs, un dialogue. Bref, un monde d’interactions propre aux deux individus qui la composent.

Le second espace de lien s’enracine dans des démarches d’aménagement du territoire. En considérant chaque région, chaque ville, chaque campagne dans sa singularité, mais également en intégrant ce que l’anthropologue Tim Ingold nomme « l’écologie du sensible » – c’est-à-dire replacer la subjectivité et les émotions en phase avec l’action territoriale –, nous nous donnons la possibilité de faire émerger de nouvelles modalités collectives dans la façon d’habiter le territoire. Et donc de valoriser une pluralité de coexistences entre l’humain et le non-humain.

La fabrication du droit s’impose comme le troisième espace de lien. Certains auteurs voient dans ces espaces, qu’ils nomment espaces de « coviabilité », la possibilité de faire émerger de nouvelles normes qui dépasseraient les catégorisations strictement humaines. Il en découlerait un droit enrichi par les diversités humaines et non-humaines, moins anthropocentré et mieux adapté aux réalités écologiques du monde.

En se concentrant sur les relations qui nous unissent les uns aux autres, l’écologie relationnelle constitue une proposition pour réintroduire, dans la pensée et dans l’action, des espaces de compréhension et de partage entre humains et non-humains. Ce faisant, elle permet de renouveler les connaissances sur les liens qu’entretiennent les sociétés à leurs milieux, tout en proposant de miser sur la diversité territoriale pour apporter des réponses pertinentes aux crises sociales et écologiques.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,400 academics and researchers from 4,942 institutions.

Register now