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Législatives en Russie : la victoire en trompe-l’œil du parti de Poutine

Le président Poutine et son premier ministre Medvedev, visitent leur QG de campagne, le 18 septembre. Alexeï Druzhinin/AFP

Le dimanche 18 septembre 2016, les électeurs russes ont donné la majorité absolue au parti de Vladimir Poutine en élisant leurs 450 représentants à la Douma d’État, autrement dit à la Chambre basse du Parlement de la Fédération de Russie. Il est d’ores et déjà possible de tirer les leçons du scrutin et d’identifier les lignes de force de 2017, année électorale cruciale pour Vladimir Poutine. En 2018, il se présentera devant les électeurs pour obtenir un quatrième mandat présidentiel. S’agit-il d’un triomphe électoral ou bien seulement d’une victoire en demi-teinte ? Même si la pérennité du pouvoir poutinien semble aujourd’hui assurée, les défis sont considérables pour le Kremlin.

Russie Unie reconquiert la majorité absolue à la Douma

Le fait le plus marquant du scrutin est la victoire écrasante du parti Russie Unie, dirigé par le binôme Poutine-Medvedev. Alors qu’il jouissait d’une majorité relative seulement lors de la précédente mandature, ce parti obtient un peu plus de 53 % des voix et plus de 340 sièges. Grâce à cette victoire, Russie Unie confirme son rôle central, forgé scrutin après scrutin en 2003, 2007 et 2011. La suprématie partisane de Russie Unie est un des éléments essentiels de la popularité et de l’autorité du duo exécutif.

Cette victoire reflète-t-elle, comme on le soutient souvent, la tendance à une autocratie hostile au pluralisme ? La situation est plus complexe. Le pluralisme partisan s’exprime à la Douma. Plusieurs groupes parlementaires seront présents au sein de la septième législature depuis la chute du communisme : le parti nationaliste de Vladimir Jirinovski et le Parti communiste de Guennadi Ziouganov ont en effet attiré chacun environ 13 % des voix. Le Parti social-démocrate dirigé par Sergueï Mironov, Russie Juste, subit une défaite mais reste à la Douma. Ainsi, les voix des retraités, des provinciaux ou encore des mouvances radicales auront bien leurs parlementaires.

Toutefois, le pluralisme politique ne s’exprimera que partiellement par la voie parlementaire. Premièrement, ces trois grands partis défendent une ligne compatible avec celle de Russie Unie. Ils constituent, en quelque sorte, une « opposition pro-Kremlin » ou une opposition à l’intérieur du système, et non pas une véritable offre alternative. Les critiques acerbes du leader communiste Ziouganov sur les conditions d’organisation du scrutin et les piques contre Poutine ne doivent pas faire illusion : même le parti communiste fait partie du système.

L’opposant Alexandre Navalny (ici en 2013), privé d’élection. Aleksey Ruban/Flickr, CC BY-NC-SA

Deuxièmement, les opposants radicaux aux présidences Poutine ont été, en partie, exclus du scrutin. C’est le cas d’Alexandre Navalny, assigné à résidence alors que plusieurs de ses partisans ont été emprisonnés. L’opposant ayant le plus ébranlé le système Poutine lors des élections municipales en 2013 à Moscou et ayant rallié à lui les couches urbaines est privé d’élection, à l’instar de bien d’autres candidats rejetés par le ministère de la Justice. Même quand ils sont autorisés à se présenter, les difficultés administratives qui leur sont opposées pour tenir des meetings, diffuser leurs programmes ou encore organiser des rassemblements limitent leurs relais dans la société. La décision d’avancer la date du scrutin de décembre à septembre a aussi permis de mettre à profit l’assoupissement traditionnel de l’été pour éviter toute campagne électorale tonique.

Troisièmement, certains opposants admis aux élections ont été incapables de dépasser le seuil des 5 % : c’est le cas du parti social-démocrate Iabloko et du parti libéral Parnas. La modification du mode de scrutin a été essentielle : en prévoyant que la moitié des représentants est désignée au scrutin uninominal à un tour, comme au Royaume-Uni, les pouvoirs publics ont indiscutablement avantagé les partis installés. Par ailleurs, la question des fraudes est lancinante, comme l’a souligné l’OSCE, dans son appréciation sur la sincérité du scrutin. Même la Commission centrale électorale de Russie a reconnu ces fraudes.

En somme, le Parlement russe continuera de travailler comme une chambre d’enregistrement des initiatives de l’exécutif conformément au schéma de « démocratie guidée » théorisé par Gleb Pavlovsky, l’un des conseillers de Poutine au Kremlin. Cette guided democracy laisse une place marginale aux contre-pouvoirs – ONG, médias indépendants, associations, cour suprême, etc. La société civile, puissante en Russie, peine aujourd’hui à s’exprimer et à faire valoir ses aspirations, tout particulièrement sur le plan socio-économique.

Une abstention historique, reflet d’un mécontentement
socio-économique

Cette échéance électorale était aussi un test sur la capacité des leaders russes à mobiliser leur électorat. De ce point de vue, il s’agit d’un revers : le taux de participation est particulièrement bas – à 40 % de votants – contre plus de 60 % en 2011. Les taux de participation à peine supérieurs à 30 % à Moscou et à Saint-Pétersbourg attestent que les élites urbaines éduquées et insérées dans la mondialisation boudent le pouvoir. Si la légitimité parlementaire de Russie Unie est confirmée, sa légitimité dans l’électorat est en érosion. On peut même estimer que cet étiage manifeste le mécontentement de la population face à la dégradation des indicateurs économiques.

La politique étrangère en Syrie et la modernisation de la puissance militaire ne suffisent pas à rallier les populations autour du pouvoir. La fierté nationale, si forte en mars 2014 lors de l’annexion de la Crimée et en septembre 2015 pour le début de l’intervention en Syrie, cesse progressivement de dédommager la population de ses déboires.

Dépouillement du vote à Simféropol (Crimée). Max Vetrov/Flickr

Les indicateurs économiques sont en effet préoccupants : l’économie ralentit sans discontinuer depuis maintenant plus d’un an et n’a pas dépassé 0.5 % depuis le premier semestre 2012. La récession a même été brutale l’année dernière à plus de -4 % de PIB. La manne des exportations d’hydrocarbures est toujours à la moitié seulement de ce qu’elle était fin 2015 alors qu’elle reste le seul oxygène économique d’un pays qui n’a toujours pas réussi à amorcer son renouveau industriel depuis l’effondrement de l’économie dirigée. La grande décennie Poutine est largement une « décennie perdue » du point de vue socio-économique. La réduction des ressources à la disposition des autorités locales en matière de santé et de prestations sociales le montre : dès que les cours des hydrocarbures fléchissent et que les importations se renchérissent sous l’effet conjugué des sanctions et de la chute du rouble, le niveau de vie se dégrade, faute de modèle économique endogène.

Certes, certains mouvements commencent à s’inverser. L’inflation semble enfin ralentir ; ce qui allège un peu le poids d’un rouble faible sur le pouvoir d’achat des Russes. Mais cela dérive bien plus d’une stabilisation des prix du pétrole que d’une initiative dont Russie Unie pourrait se vanter. Et les capitaux étrangers pourraient bien retrouver le chemin de la Russie, alléchés par le regain des actions russes (52 %) depuis leur plus bas historique de janvier dernier. Toutefois, ce n’est là qu’un rattrapage de pertes qui restent dans les mémoires. On est encore bien loin d’un quelconque retour vers un marché de l’emploi qui rendrait les Russes reconnaissants à l’égard des politiques publiques et industrielles.

La faible participation manifeste aussi d’autres tendances : la campagne électorale a été atone en raison de la rareté des meetings. En outre, l’éclipse du Parlement par l’exécutif a contribué à la faible mobilisation. Mais l’abstention est incontestablement le principal défi du prochain scrutin présidentiel de 2018.

2017, année décisive pour le pouvoir

Dans la perspective des élections présidentielles de 2018, ces législatives annoncent probablement un quatrième mandat pour Vladimir Poutine. Son parti politique constitue la colonne vertébrale du système politique, parlementaire et électoral du pays. Ses candidats ont, à son image, saturé l’espace médiatique, laissant l’opposition s’exprimer sur des médias périphériques. L’exécutif dicte le tempo dans tous les aspects de la vie publique en Russie. La séquence qui s’ouvre aujourd’hui et s’achèvera au printemps 2018 consacrera selon toute vraisemblance l’hégémonie politique de Poutine, de Medvedev, de Russie Unie et des siloviki (les hommes des services de sécurité).

Toutefois, 2017 ne sera pas un long fleuve tranquille pour le pouvoir russe : un nouveau grand récit est nécessaire pour raviver la flamme de la fierté nationale. Et la capacité de Russie Unie à améliorer la vie quotidienne des Russes est encore à démontrer.

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