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Législatives, l’élection de la rupture ?

Jean-Luc Mélenchon entouré des candidats NUPES après le premier tour des élections législatives.
Le premier tour du scrutin législatif 2022 définit clairement la NUPES, coalition de gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon (LFI) comme première force d'opposition. Stéphane de Sakutin/ AFP

En plaçant à quasi-égalité la majorité présidentielle et la principale force d’opposition la Nupes, les résultats du premier tour des élections législatives de 2022 – dont le décompte pose certes des questions méthodologiques – marquent une certaine rupture par rapport à la tradition électorale qui s’est instaurée 20 ans plus tôt.

En effet, en 2002, la réduction à cinq ans du mandat présidentiel et l’inversion du calendrier électoral (qui, initialement, aurait dû conduire à organiser les législatives avant la présidentielle) ont donné une fonction particulière à un scrutin qui survient quelques semaines seulement après le moment majeur et décisif de la vie politique française : l’élection présidentielle.

Les électeurs sont invités à confirmer leur vote précédent et, de fait, à amplifier le résultat de l’élection présidentielle. Depuis 2002, ils ont donc toujours envoyé à l’Assemblée nationale une large majorité pour le président. Cela avait déjà été le cas en 1981, lorsque le nouveau président, François Mitterrand, dissout l’Assemblée nationale élue en 1978 alors dominée par la droite.

L’accent parlementaire de la France

Cette concordance entre majorité présidentielle et majorité parlementaire renforce la nature présidentialiste du régime politique en France, en donnant au président de la République les mains libres pour constituer son gouvernement et conduire sa politique. Elle a évité depuis vingt ans la pratique de la cohabitation, qui a eu lieu à la suite d’élections législatives organisées cinq ans (en 1986 et en 1993) ou deux ans (en 1997) après une élection présidentielle.

La cohabitation rappelle que la nature constitutionnelle de la Ve République reste parlementaire : lorsque la majorité à l’Assemblée nationale s’oppose au président de la République, c’est bien elle – et non le président de la République – qui inspire la constitution et la politique du gouvernement.

Les conclusions négatives que Lionel Jospin comme Jacques Chirac avaient tirées de l’expérience d’une longue cohabitation (1997-2002) les avaient conduits à privilégier la lecture présidentialiste des institutions et à donner aux législatives leur nouveau statut : celui d’élections secondes, voire secondaires.

Une mobilisation inégale de l’électorat

Si ce calendrier électoral conduit à amplifier le résultat de l’élection présidentielle, c’est essentiellement en raison d’une mobilisation inégale de l’électorat. Les électeurs du vainqueur de la présidentielle se rendent davantage aux urnes pour les législatives que ceux des perdants, qui soit ne croient plus à la victoire soit ne veulent pas bloquer les institutions en imposant au Président légitime une nouvelle cohabitation : c’est notamment ce qui s’est produit lors des élections législatives de 2017.

Depuis que les législatives se situent dans la foulée des présidentielles, l’abstention y bat des records. En 1981 déjà, elle s’élevait à 30 % quand, trois ans plus tôt, elle n’atteignait que 17 %. Et alors qu’en 1986, 1993 ou 1997, elle restait maintenue en dessous du tiers des inscrits, elle progresse sans cesse depuis 2002 – jusqu’à atteindre des records, en 2017 (52 %) comme en 2022 (52,5 %). Cette abstention différentielle amplifie donc la dynamique présidentielle, de façon artificielle. En obtenant moins de voix que le vainqueur de la présidentielle, les candidats de la majorité présidentielle creusent dès le premier tour l’écart avec les autres : en 2002, 2007 et 2017, cet écart s’élevait à plus de dix points et ont garanti ainsi une victoire très large en nombre de sièges, au second tour.

L’élection de 2022 montre toutefois que cette mécanique ne fonctionne pas de façon systématique. Avec moins de 26 % des voix, les candidats de la majorité présidentielle, regroupés sous la bannière « Ensemble », régressent par rapport au résultat des législatives de 2017 mais aussi par rapport au score obtenu par Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle du 10 avril 2022. Ils font jeu égal avec la coalition de gauche, ce qui laisse prévoir un second tour particulièrement ouvert. Quant au Rassemblement national, ses électeurs se sont moins démobilisés qu’à l’accoutumée : avec plus de 18,5 % des voix, il enregistre son meilleur score à une élection législative, en progression de 5 points par rapport à 2017.

Une dynamique cohabitationniste ?

Plusieurs facteurs expliquent ce résultat incertain pour la majorité. Contrairement à ses trois prédécesseurs (Sarkozy en 2007, Hollande en 2012 et lui-même en 2017), Emmanuel Macron est dans la position d’un président réélu. Il n’incarne donc plus le changement et ne bénéficie donc pas de la dynamique de renouvellement qui a conduit, depuis la fin des années 1970, à la multiplication et à la banalisation des alternances des élections législatives, seule la majorité élue en 2002 ayant été reconduite en 2007.

Ainsi, le soir même où plus de 58 % des Français l’ont réélu, une majorité d’entre eux souhaitait qu’il n’obtienne pas une majorité absolue à l’Assemblée nationale : aux yeux d’une partie non négligeable de l’électorat, le spectre d’une cohabitation est un moindre repoussoir que le risque d’une concentration des pouvoirs pour cinq années supplémentaires.

Jean-Luc Mélenchon a très tôt saisi cette évolution de l’opinion et a pleinement assumé le fait de porter une dynamique cohabitationniste – comme l’atteste cette incantation devenue slogan électoral : « Mélenchon premier ministre ».

L’alliance électorale des gauches, autour de la Nupes, vise de façon pragmatique à rendre possible cette cohabitation, en maximisant les chances des candidats de gauche d’être présents au second tour face à la majorité. Elle a ainsi évité la démobilisation d’un électorat qui, pour être minoritaire, pèse à peine moins que la majorité présidentielle. Les premiers pas difficiles du gouvernement, l’effacement des autres oppositions (RN et LR) de la scène médiatique ont contribué à faire du duel Macron-Mélenchon l’enjeu essentiel de la campagne électorale.

Dans le cadre d’un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui se révèle de plus en plus en décalage avec la structure de la vie politique, la Nupes réussit à valoriser au maximum son poids électoral : avec un plus du quart des suffrages exprimés, ses candidats sont qualifiés pour le second tour dans plus de 80 % des circonscriptions.

Ce duel, différent de celui qui a mis aux prises Macron et Le Pen au second tour de la présidentielle, a eu l’attrait de la nouveauté : il a aussi favorisé la mobilisation des électeurs de gauche. Les législatives de 2022 n’ont pas été des élections de confirmation du scrutin présidentiel. Elles ont plutôt constitué le troisième tour de ce scrutin.

Une situation proche de 1988

Cette situation rappelle les résultats des élections législatives de 1988. Comme Emmanuel Macron, François Mitterrand venait d’être réélu, avec un résultat au premier tour supérieur à celui qu’il avait obtenu lors du précédent scrutin mais autour d’une ligne programmatique assez floue. Bouleversé par l’irruption du Front national, le paysage politique ne répondait déjà plus à la structure bipolaire qui le caractérisait depuis les années 1960.

Au premier tour, les candidats de l’opposition de droite et du centre, conduits par Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, font, en voix, jeu égal avec les soutiens de François Mitterrand (socialistes et radicaux de gauche pour l’essentiel). Au second tour, les socialistes n’obtiennent qu’une majorité relative de 275 sièges, ce qui obligera les gouvernements successifs (conduits par Michel Rocard, Edith Cresson et enfin Pierre Bérégovoy) à négocier tantôt avec les communistes tantôt avec les centristes pour obtenir des majorités.

Mais même avec une majorité relative, cette législature a pu arriver à son terme : il n’y a pas eu de crise de régime. Le premier tour des élections législatives de 2022 n’ouvre donc la voie ni à une situation totalement inédite ni à une remise en cause fondamentale des institutions de la Ve République, même si le nouveau record d’abstention impose à l’évidence des réponses à la fois politiques et institutionnelles.

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