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L’emploi des seniors : une culture des âges à faire évoluer ?

Plutôt que de vouloir chasser les seniors de la vie active, l'OCDE propose de mettre en avant leur capacité à mener une vie productive, « au bénéfice tant de l’individu que de la collectivité ». Steve Buissine / Pixabay, CC BY-SA

La France reste loin de la moyenne de l’Union européenne en termes de taux d’emploi des seniors. Avec 56 % des personnes âgées de 55 à 64 ans en emploi en 2021, le pays pointe au seizième rang des 27, dont la moyenne est à 60,5 %. Ce taux étant calculé sur la population totale (et non sur les seuls actifs comme l’est le calcul du taux de chômage), une explication à cela réside dans le fait que l’âge de départ à la retraite y est des plus « jeunes » : 62 ans.

En quelques années, après l’abaissement de l’âge de départ de 65 ans à 60 ans en 1982, un nouveau modèle d’emploi semble s’être mis en place en France. Une seule génération (30-54 ans) se devait d’être au travail avec l’idée qu’il fallait, par tous les moyens, d’un côté inciter les jeunes à se former et de l’autre, évincer les « seniors » de l’emploi.

Dès 1998, l’OCDE propose toutefois une autre stratégie d’action. Plutôt que de considérer directement l’âge, il s’agirait plutôt de proposer une gestion des parcours et des temps sociaux avec l’avancée en âge. Plutôt que de parler de « senior », on parlera alors de « vieillissement actif ». Est mis en avant « la capacité des personnes avançant en âge à mener une vie productive dans la société et l’économie au bénéfice tant de l’individu que de la collectivité ». En 2001, le Conseil européen, réuni à Stockholm, précise de nouveaux objectifs, en lien avec la stratégie dite « de Lisbonne » établie un an auparavant. Est visé un taux d’emploi global de 70 % pour 2010, 50 % pour les 55-64 ans.

Le bilan global semble un échec. En 2013, l’analyse comparative menée par la sociologue Anne-Marie Guillemard mettait déjà en évidence une grande disparité entre les pays membres à la fois dans leur capacité à maintenir les seniors sur le marché du travail et dans la mise en œuvre d’un vieillissement actif en emploi. Elle établissait que les trajectoires professionnelles différenciées de fin de carrière et les capacités des seniors à durer en emploi dépendaient des options de politiques de protection sociale, d’emploi et de formation retenues. Les options choisies révèlent en fait des cultures vis-à-vis de l’âge différentes selon les pays, élément que nous souhaiterions mettre en perspective dans les débats actuels.

Comment inclure, comment indemniser ?

La même auteure a proposé une typologie culturelle de la façon dont est saisie la question des deuxièmes parties de carrière. Quatre groupes s’y articulent selon deux dimensions : le niveau d’indemnisation du non-travail et les politiques d’inclusion ou d’exclusion des actifs vieillissants du marché de l’emploi.

La culture de la « régulation par le marché du travail » se retrouve notamment dans les pays anglo-saxons, où les actifs vieillissants sans ressources financières n’ont pas d’autre choix que de se maintenir sur le marché du travail. Ils subissent alors de plein fouet la conjoncture du marché du travail. La possibilité de se maintenir ou le rejet est fonction du niveau de l’offre et de la demande de la main d’œuvre.

La « culture du devoir d’activité et du maintien en emploi », elle, se retrouve particulièrement au Japon où les salariés vieillissants bénéficient de plusieurs opportunités de maintien sur le marché du travail. C’est la catégorie qui correspond le plus à l’application du concept de vieillissement actif au sens de l’OCDE. Les hommes japonais sortaient ainsi du marché du travail en 2020 à un âge moyen de 68,2 ans, le plus élevé des pays de l’OCDE avec la Nouvelle-Zélande.

Les pays scandinaves ainsi que les Pays-Bas sont ceux qui correspondent le mieux à la « culture du droit au travail à tout âge ». Le modèle propose des programmes préventifs de maintien de l’employabilité et de la capacité de travail. Des actions de réinsertion et de réhabilitation sont proposées à tous les âges permettant de se maintenir au travail.

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La France, elle, avec un niveau d’indemnisation élevé du risque de non-travail associé à une politique d’exclusion des actifs vieillissants du marché du travail, semble davantage touchée par une « culture de la sortie précoce ». Présente sur plusieurs décennies, elle a établi une norme, une sorte de privilège dont chaque actif vieillissant souhaite profiter comme ses prédécesseurs. Le niveau élevé et la durée des indemnités du non-travail contribuent à la réduction de l’offre de travail pour les actifs vieillissants. L’inactivité et le chômage sont finalement incités et accompagnés par les pouvoirs publics et les employeurs.

L’image des seniors à valoriser

Deux cultures des âges apparaissent les plus appropriées pour faire face au vieillissement de la population et atteindre l’équilibre des finances publiques : celles « du droit à tout âge » et « du devoir d’activité et du maintien en emploi ». Ces cultures suggèrent une approche d’inclusion, qui consiste à prévenir et organiser le travail des actifs vieillissants. L’idée est de favoriser le maintien des capacités à tout âge et la prolongation de la période active. Il s’agit de valoriser l’emploi des seniors alors que, en France, l’image des seniors est souvent associée à une charge économique, un problème de cohésion interne et un risque de productivité.

Les dernières études sur la représentation des seniors mettent en lumière les principaux freins perçus tant par les candidats que les recruteurs : l’âge, leurs prétentions salariales, leur adaptabilité, leur flexibilité, leur familiarité avec les nouvelles technologies et enfin la fragilité de leur santé. La discrimination des candidats âgés à l’embauche générerait même une forme d’« invisibilisation ».

Comment passer en France d’une culture d’exclusion du marché de l’emploi des actifs vieillissants à une culture d’inclusion ? Ce changement de paradigme nécessite une stratégie multidimensionnelle qui, au-delà de la réforme en débat, implique autant les politiques publiques que les organisations. Cette révolution culturelle des mentalités s’opère lentement et nécessite la réforme des modalités d’attribution et des niveaux d’indemnisation du non-travail ainsi qu’un changement de représentation à l’égard des actifs vieillissants. Ce dernier passera par la diffusion des bonnes pratiques organisationnelles facilitant l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail pour tous, objet de nos travaux passés et à venir.

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