Les guerres tarifaires sont un phénomène récurrent en commerce mondial, e t les tensions entre la Chine et le Canada durent depuis des années. Ces guerres sont en grande partie nourries par des tensions géopolitiques.
En 2019, par exemple, la Chine a banni les importations de viande canadienne à la suite de l’arrestation de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei. Bien que la Chine ait invoqué l’utilisation d’additifs alimentaires interdits dans la viande canadienne, beaucoup y ont vu une réponse diplomatique au différend entre Ottawa et Pékin.
Aujourd’hui, la grande puissance menace de lancer une enquête antidumping sur la vente de canola canadien à la Chine. Dans le commerce international, le dumping est un type de discrimination en matière de prix où un produit est vendu moins cher à l’étranger que sa valeur dans son pays d’origine.
Cette décision survient après que le Canada a imposé des droits de douane de 100 % sur les véhicules électriques et de 25 % sur l’acier et l’aluminium en provenance de Chine, effectifs à compter du 1er octobre 2024. L’initiative chinoise est manifestement une riposte directe aux droits de douane sur les véhicules électriques.
Les tensions commerciales entre pays peuvent gravement perturber le commerce international. Dans le cadre d’une étude, j’ai pu démontrer que les tensions commerciales entre le Canada et les États-Unis pendant la présidence de Donald Trump ont eu un impact négatif sur les échanges entre les deux pays, en particulier dans le secteur agroalimentaire.
La menace d’un droit antidumping peut à elle seule décourager les importations, ce qui fait des lois antidumping une forme d’obstacle non tarifaire avant même l’imposition d’un droit. Bien que l’annonce de la Chine ne concerne qu’une enquête antidumping, les prix des contrats à terme sur l’huile de canola en subissent déjà les conséquences.
Procédures antidumping
En tant que membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Canada et la Chine sont tenus de veiller à ce que leurs politiques commerciales soient conformes à ses règles.
En vertu du cadre de l’OMC, les membres peuvent prendre des mesures antidumping pour protéger leur marché intérieur. Toutefois, celles-ci doivent suivre les protocoles établis par l’OMC qui comprennent le dépôt de plaintes par le biais du mécanisme de règlement des différends.
L’accord antidumping de l’OMC définit la manière dont les pays peuvent répondre au dumping. Dans le cas qui nous intéresse, la Chine devra prouver que le Canada pratique du dumping sur les exportations de canola, quantifier l’ampleur de ce dernier et démontrer qu’il cause ou menace de causer un préjudice aux producteurs chinois.
Si l’enquête chinoise révèle l’existence de dumping, la Chine pourra imposer des droits antidumping. Ces derniers sont appliqués lorsque le dumping est démontré et qu’il est établi qu’il a porté préjudice à l’industrie nationale.
La menace ou l’imposition de tels droits risque de gravement perturber les exportations de canola du Canada vers la Chine, ce qui aura d’importantes conséquences pour les agriculteurs canadiens qui dépendent des marchés mondiaux pour vendre leurs produits.
Exportations de canola vers la Chine
Le Canada exporte 90 % de sa production totale de canola. Ses exportations de graines, d’huile et de tourteau de canola se chiffrent à 15,8 milliards de dollars pour 2023. Après les États-Unis, la Chine est le deuxième marché en importance pour le canola canadien, avec des importations totalisant 5 milliards de dollars en 2023.
La Chine a représenté près d’un tiers de la valeur des exportations canadiennes de canola cette année-là. Il est à noter que ce pays est le plus grand marché pour les graines de canola, tandis que les États-Unis constituent le plus grand marché pour l’huile et le tourteau de canola.
Le canola est principalement exporté vers la Chine sous sa forme primaire (graines) plutôt qu’en tant que produits transformés (huile et tourteau). Les données montrent que les exportations vers la Chine sont restées stables de 2014 à 2018, mais qu’il y a eu une forte baisse des exportations de graines à partir de 2019, et que cela s’est poursuivi jusqu’en 2023.
Cette baisse coïncide avec une période de tension diplomatique entre le Canada et la Chine, laissant penser que les différends commerciaux peuvent avoir un impact négatif important sur le commerce bilatéral. Ainsi, la dissension actuelle pourrait avoir un effet dévastateur sur les producteurs de canola, d’autant plus que la Chine représente environ 65 % des exportations de graines de canola du Canada.
Par ailleurs, les exportations de canola canadien sont peu diversifiées et dépendent principalement de quatre pays : les États-Unis, la Chine, le Mexique et le Japon. Ces pays réunis ont représenté 98 % de la valeur totale des exportations canadiennes en 2023.
Les États-Unis arrivent en tête avec des importations d’une valeur de 8,6 milliards de dollars, soit 54 % des exportations totales du Canada, suivis par la Chine avec 5 milliards de dollars (32 %), le Mexique avec 1 milliard de dollars (6 %) et le Japon avec 883 millions de dollars (5,6 %).
Cette forte dépendance à l’égard de quelques marchés accroît la vulnérabilité du Canada face aux perturbations commerciales. Si la Chine impose des tarifs antidumping, rendant le canola canadien non compétitif sur le marché chinois, le Canada risque de perdre 30 % de la valeur de ses exportations de canola au profit d’autres fournisseurs potentiels. Le Conseil canadien du canola a reconnu que la Chine était un marché important et précieux pour le canola canadien.
Que peut-on faire ?
À l’instar de nombreuses économies développées, le Canada cherche à protéger son marché intérieur de l’afflux de produits chinois à bas prix, comme les véhicules électriques. Toutefois, il doit faire preuve de prudence, en particulier lorsqu’il reprend les politiques commerciales de plus grandes entités telles que les États-Unis et l’Union européenne.
Ces dernières ont plus de poids dans les négociations internationales que le Canada, une petite économie ouverte qui s’expose à des risques importants en s’engageant dans une guerre commerciale avec la Chine.
En outre, pour soutenir une transition rapide vers une économie verte et permettre au Canada d’atteindre son objectif de vendre 100 % de véhicules zéro émission d’ici 2035, il est essentiel de rendre les véhicules électriques plus abordables pour le Canadien moyen.
Au lieu de provoquer une escalade des tensions commerciales avec la Chine, le Canada devrait envisager des mesures alternatives telles que des sauvegardes ou des contingents tarifaires sur les voitures électriques chinoises. Ces options pourraient être profitables aux deux parties et seraient moins susceptibles d’engendrer des représailles.
L’imposition de droits de douane prohibitifs sur les véhicules électriques de Chine risque d’entraîner des répercussions sur d’autres secteurs canadiens qui dépendent d’acheteurs chinois. Le Canada doit faire preuve de prudence pour éviter de sacrifier des emplois dans le secteur agricole en protégeant ceux de l’industrie automobile.
Ce sont surtout les producteurs de canola qui risquent de souffrir des droits de douane unilatéraux imposés par le Canada. Mais d’autres secteurs pourraient également être ciblés, car la Chine ripostera vraisemblablement en appliquant des mesures de rétorsion équivalentes à l’impact sur ses propres exportations.
Le Canada doit s’efforcer de minimiser les tensions diplomatiques et d’éviter les guerres commerciales avec les acteurs importants du marché mondial, ce type de conflits étant de plus en plus fréquent. Les récents différends commerciaux, notamment avec les États-Unis lors de la renégociation de l’ALENA, avec l’Arabie saoudite sur des enjeux de droits de la personne et avec la Chine à la suite de la détention d’une dirigeante de Huawei, peuvent nuire considérablement à la compétitivité du Canada en matière d’exportation.