Dans une économie mondialisée, hypercompétitive, centrée sur l’innovation et la connaissance, les entreprises s’efforcent d’optimiser les ressources dont elles disposent. Des modèles de gestion stratégiques des ressources humaines (RH) apparus dans les années 1980 ont été déployés pour soutenir un management des collaborateurs dirigé vers la création d’un avantage concurrentiel durable. Dans cette optique, le management des talents est un enjeu crucial pour les directions RH, tant dans le recrutement des talents que dans leur fidélisation.
Les entreprises redoublent alors d’imagination sur les réseaux sociaux, sur le contenu et l’image de la marque employeur, en lançant des challenges d’open innovation comme des hackatons. Mais si les DRH tentent de recruter de nouveaux talents et se heurtent parfois à la difficulté de les fidéliser, elles ne semblent en général pas se préoccuper de les détecter en interne.
De quoi parle-t-on exactement ?
Souvent, le talent est réduit et assimilé à un haut potentiel, ou à des compétences supérieures utiles à l’entreprise. Or le talent apparaît comme « la somme des capacités d’une personne- les dons intrinsèques, les compétences, les connaissances, l’expérience, l’intelligence, le jugement, l’attitude, le caractère » (Michaels et coll., 2001). C’est donc davantage la performance exceptionnelle qui va révéler le talent, et non une norme définie à l’avance. Le talent apparaît en fait comme la conjugaison de la différence et de l’excellence, il est la source de richesse d’un individu, potentiellement en lien avec une passion.
Le talent peut être considéré soit comme un don à la naissance, soit comme le résultat d’un travail exceptionnel reposant sur une méthode délibérée, un mental fort, une mémoire hors du commun et un environnement favorable, approche qui ne concernerait que moins de 5 % des collaborateurs. Cette dernière approche, dite exclusive, suggère que les talents relèvent d’une élite managériale, un sous-ensemble restreint de salariés. À l’opposé, la démarche inclusive avance que le talent serait inhérent à chaque personne et que les organisations auraient à obtenir le meilleur de tous les individus plutôt que des meilleurs individus.
Détecter les talents lors de l’évaluation
L’entretien annuel d’évaluation (EAE), bien que non obligatoire, demeure l’outil principal d’appréciation de la performance dans 80 % des entreprises de plus de 200 salariés. Ses finalités sont : faire progresser les collaborateurs, influencer la carrière, fixer l’évolution de la rémunération. Pourtant, cet outil fait l’objet d’une littérature critique depuis les années 1980 et suscite l’insatisfaction des acteurs.
L’EAE apparaît « diminuer plutôt qu’augmenter la performance » (Levy et William, 2004). Destiné à apprécier la performance individuelle, il mesure les écarts entre les résultats et les objectifs et constitue en France le cadre légal de la relation employeur/employé.
Notre étude de 20 entretiens annuels d’évaluation de cadres confirme les travaux du professeur de psychologie du travail Claude Lévy-Leboyer sur la structure de l’EAE, l’hybridation des trois modèles : les modèles de marché, de clan et de métier.
Nous identifions classiquement les trois grandes familles d’indicateurs qui en découlent, la première basée sur la performance, les objectifs, et les compétences, la seconde basée sur le comportement, le développement personnel, l’aide aux collègues, le sens de l’engagement et l’attachement aux valeurs du groupe, la dernière se référant aux aléas, aux actions, aux contributions et à la réalisation.
Pourtant, certaines entreprises intègrent dans leurs EAE des éléments comme le temps, la créativité, la passion, la transversalité, la flexibilité, l’exploration, l’autonomie, la confiance, l’apprentissage, l’initiative et surtout des items relevant du management des talents, la performance exceptionnelle, l’excellence, le plaisir, la curiosité et la créativité.
Les entreprises ouvertes à ces approches, que nous avons par exemple pu observer chez Ikea ou Décathlon, favorisent des espaces d’expression de la créativité ou d’activités d’exploration, bénéficient de leurs retombées et se distinguent par trois capacités clés :
La capacité d’inspirer l’initiative et la créativité chez les collaborateurs ;
La capacité de lier des activités d’expertise et des activités entrepreneuriales au sein d’une organisation ;
La capacité de renouveler constamment une organisation et ses produits.
Les DRH doivent réfléchir à la mise en place d’un temps de travail alloué à l’exploration et à la créativité librement conduit par le collaborateur. Ainsi l’EAE peut formaliser une zone de créativité permettant l’expression des talents individuels propres à chaque salarié.