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Chroniques de la transition énergétique

L’équation pour réduire massivement les émissions de CO₂

Champ d’éoliennes dans la province chinoise du Xinjiang. Frederic J. Brown/AFP

En mars 2017, l’Agence internationale de l’énergie indiquait que les émissions mondiales de CO2 avaient été stabilisées pour la troisième année consécutive, alors même que la croissance économique s’était élevée à 3 % par an de 2014 à 2016.

Cela signifiait donc que l’« intensité carbone » du produit mondial – soit la quantité de CO2 par unité de PIB – avait diminué de 3 % par an pendant trois années consécutives.

Trois facteurs expliquaient ces évolutions : la faible augmentation de la consommation d’énergie, seulement +1 % par an ; la montée en puissance des énergies renouvelables, régulièrement saluée dans les rapports du réseau REN21 ; enfin, et surtout, le recul du charbon en Chine et aux États-Unis.

Mais en novembre de la même année, à l’occasion de la COP23, le Global Carbon Project publiait ses prévisions pour l’année 2017. Elles conduisent à moins d’optimisme car les émissions pourraient repartir à la hausse et augmenter de 2 % sur cette année : les émissions auraient cessé de décroître en Europe et aux États-Unis, alors même qu’elles augmenteraient à nouveau en Chine et dans le reste du monde, avec notamment une reprise du charbon.

CDIAC/Le Quéré et al (2017)/Global Carbon Budget (2017), CC BY-NC-ND

Contenir le réchauffement global

Nous ne sommes donc pas encore parvenus à la stabilisation des émissions, première étape dans la lutte contre le changement climatique. Un taux de décarbonation de 3%/an permettrait, s’il était maintenu jusqu’en 2030, de respecter les objectifs de l’Accord de Paris pour les grandes économies du G20.

Mais on sait aussi qu’il est très insuffisant pour atteindre l’objectif visant à contenir le réchauffement global « nettement en dessous de 2 °C », comme le stipule le même accord.

Pour ce faire, et si la croissance mondiale se maintenait à 3 % par an, il faudrait passer à la vitesse supérieure et atteindre un taux de décarbonation du PIB de plus de 6 % par an.

PwC, Author provided

Mais un tel taux de 6 % par an n’a jamais été atteint par le passé. Dans la décennie 1990, la décarbonation du PIB a atteint 3 % par an en Allemagne au moment de la réunification, ainsi qu’au Royaume-Uni dans le contexte de la « ruée sur le gaz ». Plus récemment, les progrès du gaz (de schiste) aux États-Unis ont permis d’atteindre des taux équivalents sur les dix dernières années.

La France détient probablement un record dans ce domaine avec, dans la décennie 1980 et lors du déploiement rapide du parc électronucléaire, un taux de près de 5 % par an. Mais on le voit, toutes ces occurrences ont été localisées et exceptionnelles.

La décarbonation globale et durable à plus de 6 % par an tient-elle de la mission impossible ?

Un calcul à ajuster

La première hypothèse serait celle du freinage volontaire de la croissance : si la croissance mondiale était nulle, un taux de décarbonation du produit de 3 % par an permettrait de réduire assez rapidement le niveau des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

Ce n’est évidemment pas souhaitable. Et si l’on doit bien s’attendre à un ralentissement de la croissance dans les pays du Nord comme dans les pays émergents atteignant une certaine maturité économique – à partir d’un revenu moyen annuel d’environ 15 000 $ par habitant –, une croissance mondiale zéro serait une catastrophe pour les pays en développement.

Il faut à ce stade aller un cran plus loin dans la démarche analytique, car la décarbonation du produit est le résultat de deux effets qui devront être activés simultanément dans la transition : la maîtrise des consommations d’énergie, qui doit permettre de réduire l’intensité énergétique du PIB, et le développement de sources d’énergie bas carbone en remplacement des énergies fossiles, qui permettra de réduire l’intensité en carbone de l’énergie consommée.

C’est ici qu’il faut convoquer la fameuse « équation de Kaya » (voir l’encadré ci-dessous), du nom du chercheur japonais qui l’a introduite.

Selon cette équation, le taux de variation des émissions est égal à celui de la croissance économique, moins les gains d’efficacité énergétique, moins les gains de décarbonation de l’énergie : 3 % (croissance) – 3 % (efficacité) – 3 % (énergies bas carbone) = – 3 % (réduction des émissions), voilà ce que serait, selon la démarche du professeur Kaya, la recette pour le bon accomplissement de l’Accord de Paris.

Cela est sans doute plus facile à dire qu’à faire, surtout qu’il ne s’agit là que de valeurs moyennes pour le monde. Chaque pays devra effectuer son propre dosage efficacité/décarbonation, en fonction de ses objectifs, ses contraintes, sa croissance et ses dynamiques propres.

Mais deux choses sont certaines : premièrement, la décarbonation mondiale suppose un effort sur la durée dans les deux domaines et, deuxièmement, c’est un effort sans précédent historique. La transition énergétique sera bien une rupture.



Équation de Kaya et réduction des émissions

Introduite dans les années 1980 par Yoichi Kaya, l’équation du même nom est une identité mathématique simple qui permet d’expliquer les variations des émissions de CO2 comme résultant de plusieurs facteurs. À un premier niveau, on considère d’une part le PIB, d’autre part la quantité de CO2 émise par unité de PIB, encore appelée « intensité carbone du PIB » :

On en déduit qu’en rythme annuel, la variation des émissions est égale à la somme du taux de croissance économique et du taux de (dé) croissance de l’intensité carbone :

À un second niveau, on décompose l’intensité carbone du PIB à son tour en deux facteurs, la quantité d’énergie par unité de PIB, ou « intensité énergétique du PIB », et la quantité de CO2 par unité d’énergie, ou « intensité carbone de l’énergie » :

On en déduit qu’en rythme annuel, le taux de variation des émissions est égal à la somme du taux de croissance économique, du taux de variation de l’intensité énergétique, qui décroît lorsque l’efficacité augmente, et du taux de variation de l’intensité carbone de l’énergie :

On comprend alors comment l’augmentation de l’efficacité énergétique et le développement des énergies bas carbone (décarbonation) peuvent permettre de réduire les émissions, malgré l’effet d’entraînement de la croissance économique.

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