Les périodes de fin d’année sont propices aux bilans dans tous les domaines. Entre la difficile qualification du ballon rond national pour le Mondial 2018 de football et le naufrage de son homologue ovale, un ballon français de plus petite taille se distingue par une année hors du commun : celui des équipes de France de handball. Débutée en janvier par un sixième succès mondial obtenu par les garçons, l’année 2017 se termine également avec un titre mondial pour les filles en décembre. Entretemps, elle est éclairée par les brillants résultats des équipes de jeunes (-19 ans champions du monde, -21 ans podium mondial, -19 ans filles championnes d’Europe).
La France domine le monde du handball. 2017 n’est que le prolongement d’une extraordinaire épopée qui a conduit une discipline secondaire, cantonnée au préau des écoles, à lui donner le leadership mondial, et de façon durable, depuis près de 25 ans.
Le monde de l’entreprise, les dirigeants et les managers, confrontés eux aussi aux enjeux de la performance collective et durable, devraient s’intéresser aussi aux multiples rebonds de ce ballon rond national, petit par la taille mais immense par ses résultats.
Modestement, cet article vise à tisser un lien original entre le terrain de jeu de l’entreprise et celui du handball, et à attirer l’attention du manager sur ce qu’il peut apprendre du handballeur !
Une activité sportive universelle
Tout le monde a joué au moins une fois dans sa vie au handball. Il s’agit du sport le plus pratiqué en France au niveau scolaire. Son principe est simple. Six joueurs et un gardien de but se font des passes à la main avec un ballon pour marquer des buts dans le camp adverse, au cours de deux mi-temps de 30 minutes chacune. Créé en Allemagne au début du XXe siècle, il devint sport olympique dès 1936.
Aujourd’hui, environ huit millions de personnes dans le monde, réparties sur 150 pays, jouent au handball. Les compétitions internationales sont traditionnellement dominées par les nations européennes de l’Est ou du Nord (Allemagne, Russie, ex-Yougoslavie, Suède, Danemark, Norvège). Même si, depuis une dizaine d’années, les pays méditerranéens deviennent compétitifs chez les hommes (France, Espagne, Egypte, Tunisie…) et les pays d’Asie chez les femmes (Corée du Sud).
Dix raisons qui rendent le handball intéressant pour l’entreprise
Pourquoi ce jeu représente-t-il une analogie pertinente pour l’entreprise ? Tout d’abord sur le plan sportif, il nous semble que les principes et les règles de ce sport sont assez proches de ce que l’on peut trouver dans les organisations modernes.
1. Rapidité et adaptation
Il s’agit d’un des sports collectifs les plus rapides qui soient. Comme les décisions et actions dans l’entreprise, le ballon va dans tous les sens, passe de mains en mains. Il faut jouer vite, prendre de vitesse l’adversaire, avec de nombreuses contre-attaques, mais aussi s’adapter en permanence aux positions de défense de l’équipe adverse.
2. Précarité des avantages et incertitude généralisée
Au handball, les avantages sont toujours précaires. Contrairement au football, où deux ou trois buts d’avance sont souvent décisifs, plusieurs buts par minute peuvent se marquer au handball, offrant la possibilité de nombreux renversements. Jusqu’au coup de sifflet final, rien n’est jamais joué. Le meilleur exemple est celui du but d’anthologie que marqua Jackson Richardson à la dernière seconde du match contre l’Allemagne, en quart de finale du Championnat du monde 2001. Il permit à la France d’arracher les prolongations… et de se qualifier pour les demi-finales.
3. Un collectif élargi toujours impliqué
Une équipe comprend 16 joueurs, neuf sur le banc de touche et sept sur le terrain. La particularité est que les remplaçants peuvent changer tout le temps, y compris pour des durées très courtes, sans arrêter le jeu. Un joueur sorti peut rentrer de nouveau à tout moment tout au long de la partie. Le collectif de jeu se transforme en permanence pendant un match, selon le contexte, la stratégie de l’entraîneur, les capacités de polyvalence ou de spécialisation des joueurs, les blessures, le comportement de l’adversaire… L’équipe ne joue jamais au complet en même temps mais chacun reste un membre actif du collectif, même quand il est momentanément sur la touche.
4. Le collectif au cœur de la performance
Cette dimension collective est également au cœur de la nature même du jeu. Le handball est un sport très technique, basé sur des combinaisons de jeu. Contrairement au football, la taille plus petite du terrain réduit la possibilité de duels individuels. L’objectif est de déstabiliser l’équipe adverse par des mouvements de jeu rapides, inattendus et collectivement construits. Le handball est l’archétype du sport où les qualités individuelles, bien qu’indispensables, ne suffisent pas à faire la différence sur la durée d’un match. Une équipe ne peut pas jouer à un haut niveau au handball si elle n’a pas développé un mode de jeu collectif qui lui est propre et des combinaisons tactiques qu’elle a construites en fonction du profil de ses joueurs.
5. Nécessité d’adaptation collective instantanée
Enfin, la capacité d’adaptation instantanée et de changement de stratégies en fonction des circonstances ou du comportement de l’adversaire est une compétence collective essentielle. Pour faire une bonne équipe, il ne suffit pas d’avoir des bons joueurs. Il faut surtout que ceux-ci soient capables de faire évoluer tous ensemble leur système de jeu, très vite, au même moment et dans le même mouvement. Donc le succès revient aux équipes capables de créer et d’improviser ensemble et en situation.
Au-delà des caractéristiques du jeu, le succès du handball tricolore peut susciter l’intérêt du monde de l’entreprise pour au moins cinq autres raisons.
6. Une dynamique entrepreneuriale
Grâce au formidable succès sportif de ces 25 dernières années, le handball français se trouve confronté à des enjeux de gestion de la croissance, de professionnalisation de ses structures. Il occupe une position de challenger dans un environnement du sport business où d’autres disciplines ont pris de l’avance (football, rugby…) et doit imaginer et construire une démarche entrepreneuriale de développement.
Ce qu’il réussit remarquablement depuis quelques années, au travers de l’émergence de plusieurs grands clubs (PSG, Montpellier, Nantes, Dunkerque, St Raphaël…) avec des salles pouvant accueillir des milliers de spectateurs et des retransmissions télévision (près de 7 millions de personnes ont regardé la finale mondiale de l’équipe féminine en décembre dernier).
7. Un certain état d’esprit et des valeurs distinctives
Le handball est porteur de valeurs distinctives, dont les équipes nationales dressent haut les couleurs, et qui transpirent dans l’ensemble de l’organisation, jusqu’aux clubs les plus modestes. Ces valeurs sont issues de la tradition éducative du handball sur laquelle se sont construites progressivement une culture de la victoire et de la performance. Le « spectacle handball » se professionnalise, notamment au niveau du championnat de League 1. Mais il le fait en ayant le souci de conserver une cohérence forte entre le passé porté par des figures emblématiques et le futur incarné par des jeunes champions prometteurs.
Entre une politique de formation d’excellence (en témoigne les résultats des équipes jeunes), la persistance d’une dimension loisir (politique de clubs, lancement du sand-ball…) et une volonté de réinvention permanente des facteurs de compétitivité des équipes nationales. Ce positionnement, où les différents enjeux sont visés de façon conjointe et synergique, est particulièrement intéressant pour toutes les entreprises qui cherchent des alternatives à la seule performance économique et qui cherchent à manager autrement dans un contexte de tension forte entre l’économique et le social, la stabilité et la transformation.
8. La diversité : une réalité de toujours
Le handball est un sport qui se décline au féminin depuis sa création, avec une politique de haut niveau qui a débouché sur des résultats sportifs spectaculaires, mais également au niveau des licenciés. Près de 40 % de licenciés sont des femmes. Au moment où les questions de diversité questionnent l’entreprise, il semble intéressant de comprendre comment le handball, bien plus que la plupart des autres sports collectifs, assume et organise cette intégration du genre.
En ce qui concerne la diversité sociale, même si le handball a une origine scolaire et universitaire, les licenciés se répartissent dans toutes les couches sociales de la population. Cette diversité se retrouve enfin dans chaque collectif, comme le raconte Claude Onesta (entraîneur de l’équipe de France Masculine de 2001 à 2015) :
« On s’unit derrière la couleur du maillot, avec nos différences. Dans un vestiaire, on peut se chambrer sur ces différences : c’est une façon d’apporter de la cohésion dans la diversité et un facteur de construction d’une unité. Mon rôle est de comprendre ce fonctionnement, décoder l’intention derrière une plaisanterie. Est-ce une agression ou une recherche de lien ? Empêcher ce qui pourrait blesser mais permettre ce qui rapproche. C’est une régulation permanente, mais c’est un bonheur d’avoir des gens différents. » (L’Équipe, 16 mai 2011)
9. Une origine européenne
Le handball permet enfin, pour une fois, de ne pas aller puiser dans des analogies venues d’ailleurs. Le sport américain a toujours été une source d’inspiration pour les entreprises, véhiculant une certaine idéologie et culture de la performance, principalement individuelle. D’où l’intérêt de réfléchir à la manière dont l’analogie du handball peut contribuer à assumer une approche alternative au modèle anglo-saxon, une autre approche du management et de la performance, entre ce modèle encore largement dominant et des modèles en émergence qui cherchent encore des repères.
10. Une culture de la gagne et de la durabilité
Le modèle du handball français s’est construit sur des principes forts, qui sont respectés depuis 25 ans. Citons-en brièvement quatre :
une stabilité de l’encadrement : un seul directeur technique national depuis 25 ans, trois entraîneurs seulement pour l’équipe masculine et 17 saisons pour Olivier Krombolz auprès de l’équipe féminine et rappelé à son poste il y a 1 an,
des transitions soignées entre anciens et nouveaux, par compagnonnage, qui permettent de transmettre des valeurs et d’assurer un renouvellement dans la continuité,
une certaine conception de la performance vue comme une résultante et non un but en soi. Comme le dit Claude Onesta :
« Gagner ne vaut que si on progresse ensemble. Moi, ce qui me passionne, c’est ce que le sport peut représenter comme vecteur de mieux-vivre et de mieux-faire ensemble. Ce ne sont pas les titres qui importent, mais la construction de ces titres, le modèle novateur qu’on a mis en place : comment on a pu grandir ensemble, s’accommoder de nos différences, faire fructifier les éléments positifs en chacun ». Ou encore (Eurosport, 21 août 2016) : « La performance n’est qu’une conséquence dont la valeur réside autant dans le chemin collectif que dans les succès éphémères ».
- un mode de leadership à la fois bienveillant et rigoureux, plus soucieux de l’humain que de la technique, qui a su évoluer en fonction des générations, se remettre en cause et surtout capable de penser son action. Pas juste de faire jouer et faire gagner, mais de formaliser une véritable pensée managériale dont on pourra trouver une excellente restitution dans les ouvrages de Claude Onesta, l’entraîneur-penseur emblématique de l’équipe de France masculine et dont sont héritiers la nouvelle génération (Didier Dinart et Guillaume Gilles).
Athlètes porteurs de valeur
Rentrer plus avant dans les explications de cette performance durable du petit ballon rond tricolore nécessiterait bien plus de place que cet article peut en offrir. En attendant, vous, dirigeants et managers, portez votre attention sur le Championnat d’Europe qui se déroule du 12 au 28 janvier 2018. Intéressez-vous à ces athlètes porteurs de valeur, en plein transfert intergénérationnel, et qui vous offrent un bel exemple de performance collective. Faites-les venir témoigner dans vos conventions, lisez les quelques ouvrages et nombreux articles qui retracent la saga du handball français, et sortez des sentiers battus des grands sports super-médiatisés et sur-vitaminés pour revenir à l’authentique et à l’humain.
La France compte plusieurs millions de handballeurs, les États-Unis pas plus de quelques centaines. Le football américain et le base-ball sont des sports qui privilégient les tactiques de jeu et le respect de combinaisons procédurières plus que la souplesse et l’adaptation. Ils glorifient l’exploit individuel plus que les compétences collectives. Avez-vous déjà vu des footballeurs américains se faire des passes ? Ils reposent sur l’exécution à la lettre de consignes données par un entraîneur plus que sur l’auto-organisation instantanée d’un collectif en action.
Est-on bien certain que le modèle américain, diffusé massivement entre autres par les images de ses sports, soit le plus approprié pour l’entreprise de demain ?
Vous voyez, le handball peut vous inspirer !