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Les adolescents face aux écrans : faut-il repenser le discours de prévention ?

Plus de 80% des 12-17 ans sont équipés d’un smartphone. Shutterstock

Les guides sur l’usage du numérique dédiés aux adolescents se sont largement développés durant ces dernières années. Certains, comme E-xperTIC ou @h… Social !… créés dans l’Orne par le réseau Information Jeunesse, prennent la forme de jeux de société. D’autres, comme Derrière la porte, ou 2025-ex machina, s’appuient sur des films interactifs.

Dans tous les cas, ils mettent l’accent sur les dangers auxquels ces jeunes peuvent être confrontés en ligne : le cyberharcèlement sur les réseaux sociaux et les messageries instantanées, le visionnage de contenus malsains au détour d’un site web, ou encore une consultation du smartphone qui tourne à l’addiction.

Mondes virtuels, dangers réels

Ces préoccupations sont tout à fait logiques tant les écrans ont envahi la vie des adolescents. Selon le Baromètre du numérique, plus de 80 % des 12-17 ans sont équipés d’un smartphone. D’après la dernière étude Junior Connect » de l’Ipsos, les 13-19 ans passeraient 15h11 en moyenne par semaine sur Internet. Dans ses recommandations d’avril 2019, l’Académie des Sciences a d’ailleurs appelé les parents à une vigilance raisonnée sur l’usage des technologies numériques.

Selon l’étude Eukidsonline de 2011, 20 % des jeunes sont classés en usage excessif, soit 6 à 7 élèves par classe. Et, selon la même étude, 30 % des 9-16 ans auraient vu des images à caractère sexuel, 20 % auraient vu ou reçu des sexto (messages de type sexuel).


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Autre point d’alarme repris par les guides et conforté par l’étude : le contact en ligne avec des inconnus. 12 % des adolescents auraient déjà pris rendez-vous avec un inconnu rencontré en ligne. Enfin, le type de sites visités est aussi questionné quand on sait que 8 % ont déjà consulté des sites de type pro-anorexie ou pro-boulimie, 6 % des sites porteurs de message de haine, 3 % des sites de drogue et 2 % des sites sur les automutilations ou le suicide.

Intervention de l’association E-enfance sur les réseaux sociaux.

Face à tous ces dangers, on comprend que les guides essaient d’aider les jeunes à prendre du recul par rapport à leurs habitudes, à développer leur esprit critique, à comprendre qu’Internet est un espace régi par la loi, où il existe des règles de publication.

Mais en se polarisant ainsi sur les garde-fous et les régulations à mettre en place, n’oublie-t-on pas ce qui fonde cet attrait pour les écrans ? Et n’occulte-t-on pas des ressorts majeurs de la psychologie adolescente ? Des ressorts qui, si on ne les prend pas en compte, ébranleront les bases posées par la prévention ?

Fragilité psychologique

En effet, si les adolescents sont tant séduits par les écrans, c’est que ces supports offrent une réponse à leur quête d’identité et à leur besoin d’être en permanence en lien avec leurs pairs. Rentrer dans l’adolescence, c’est surtout développer une volonté de prendre de la distance avec ses parents et d’affirmer son indépendance. Les écrans connectés correspondent à ce besoin nécessaire d’indépendance : le contrôle parental est impossible, l’accès est libre, illimité et anonyme.

Être adolescent, c’est aussi et surtout faire partie d’un groupe, communiquer, échanger constamment sur toutes choses (de la plus banale à la plus importante), c’est être unique parmi les autres et en même temps identique. Les réseaux sociaux répondent tout à fait à ce besoin vital.

Il faut bien être conscient que la période de 11-15 ans est une période de grande vulnérabilité psychologique. Un moment d’opposition avec les parents, un moment où les émotions vont dans tout les sens. L’humeur est souvent changeante : l’adolescent passe du rire aux larmes en quelques secondes. Les émotions sont difficiles à gérer : l’agressivité, le renfermement sur soi, les sauts d’humeur sont fréquents.

C’est dans ces états de grande instabilité que l’adolescent va utiliser les écrans. Ainsi, les écrans vont contribuer à mieux gérer ces émotions ou, au contraire, les accroître. Les études ont pu montrer que la dépression, les troubles anxieux, la phobie sociale (c’est-à-dire une timidité exacerbée) et le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité sont souvent associés à un usage problématique de jeux vidéo ou d’Internet.


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De cette corrélation, peut-on déduire un lien de causalité ? Il est fréquent, dans le cas de difficultés psychologiques, de pointer la responsabilité des écrans. Mais il faut bien voir dans quel contexte ces usages s’inscrivent : l’adolescence est, en soi, une période de fragilité psychologique. Dans certains cas, l’écran peut alors accentuer ces difficultés ou les provoquer. Mais, dans d’autres, il permettra de trouver des réponses plus ou moins adaptées.

On ne peut envisager de prévention sans aborder les dimensions psychologiques qui conduisent les adolescents aux prises de risque liées aux écrans. C’est ainsi qu’on pourra leur apporter les outils nécessaires tant à la bonne gestion des problématiques psychologiques qu’aux risques eux-mêmes. Il s’agirait donc pour les actions d’englober la question des écrans dans le thème plus général du bien-être adolescent et de la gestion des émotions.

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