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Les bonnes pratiques de la recherche scientifique

felixioncool/Pixabay

Stratégie et tactique : la pratique de la recherche scientifique relève au minimum de deux types de questionnements. Tout d’abord, une réflexion stratégique en vue d’une plus grande efficacité des travaux ; puis une réflexion tactique, c’est-à-dire qui se préoccupe de l’accomplissement des tâches individuelles.

Des méthodes pour découvrir

Pour ce qui concerne la stratégie scientifique, la question est redoutable, puisqu’il s’agit d’identifier des méthodes qui conduiront à l’objectif de la recherche scientifique, c’est-à-dire à des découvertes. Existe-t-il des méthodes qui garantiraient de faire des découvertes ? Que la réponse soit positive ou négative, il faut signaler la grande insuffisance des institutions de recherche à conseiller les chercheurs pour les aider à répondre à cette question qui est véritablement première. J’appelle de mes vœux, depuis des années, une réflexion collective sur la ou les méthodes les plus appropriées pour faire des découvertes.

En réalité, j’ai foi que de telles méthodes existent… Puisque certains scientifiques n’ont pas été les artisans d’une seule découverte, qui aurait résulté du hasard, ou de la sérendipité, mais de beaucoup ! Michael Faraday découvrit le benzène, l’induction électromagnétique, l’effet Faraday, etc. ; Albert Einstein fut l’homme de la photoélectricité, de la viscosité des suspensions, de la relativité restreinte, puis de la relativité générale, de la cosmologie ; Pierre Gilles de Gennes obtint des résultats dans des champs aussi variés que les cristaux liquides, les polymères, la supraconduction, la matière molle… Le seul fait que certains d’entre nous aient fait de nombreuses découvertes, et parfois dans des champs différents, montre que ces individus n’ont pas fait les choses par hasard, et qu’ils avaient donc des méthodes qu’il conviendrait de partager.

Est-il préférable, par exemple, de mettre au point des outils analytiques, qui, tels des espèces de nouveaux microscopes, permettront d’observer des objets du monde encore jamais vus ? Est-il préférable d’abstraire et de généraliser ? Vaut-il mieux se focaliser sur la réfutation des théories ?

À ce stade, il semble bien trop tôt pour décider, puisque nous n’avons pas encore recensé les idées que nous voudrions évaluer. Il y a donc, d’abord, lieu de recueillir ces méthodes auprès de ceux d’entre nous qui ont du succès quand ils les mettent en œuvre.

Bien sûr, on n’aura pas la naïveté de croire que la transmission à tous de ces méthodes suffise, car il faut de l’application et de l’intelligence pour que ces méthodes produisent les fruits attendus, mais au moins nous aurons produit un corpus d’idées utiles à nos successeurs… Et à nous-mêmes, ce qui me semble une base absolument nécessaire.

Étapes de la recherche

Par ailleurs, en ce qui concerne les étapes de la recherche scientifique, j’ai proposé de considérer que ces étapes soient les suivantes : identification d’un phénomène que l’on décide d’étudier ; caractérisation quantitative de ce phénomène ; réunion des données en lois synthétiques ; recherche des mécanismes quantitativement compatibles avec ces lois ; par une induction bien décrite par le mathématicien Henri Poincaré, recherche de conséquences testables des théories ainsi produites ; tests expérimentaux de ces conséquences ; et ainsi de suite en repartant à la caractérisation quantitative.

Pour chaque étape, il y a sans doute des façons de faire meilleures que d’autres, et pour chaque façon de faire, il y a des sous-étapes, telles que planifier une expérience, préparer des échantillons, mettre en œuvre des méthodes analytiques, interpréter des données… Pour lesquelles il y a peut-être aussi des manières meilleures que d’autres.

Travail d’échantillonnage sur le terrain. Ethleen Lloyd, USCDCP

Puis, pour chacune de ces sous-étapes, il y a encore des sous-sous-étapes, telles que peser, transvaser un liquide, fixer une différence de potentiel, aligner des lentilles sur un banc optique, recristalliser un composé… Nos laboratoires sont pleins de collègues remarquables qui savent faire mieux que les autres, de sorte que je propose que, comme pour les sociétés savantes médicales, nous nous donnions rapidement comme mission de recueillir les meilleures de ces méthodes, que nous les formalisions afin de mieux les transmettre à nos jeunes collègues… Et à nous-mêmes.

Bonnes pratiques

Expérimentation. skeeze/Pixabay

Ajoutons immédiatement que ce répertoire de bonnes pratiques dont je rêve ne doit pas être considéré comme une sorte de table de la loi à partir de laquelle tout écart vaudrait sanction. Une telle idée serait mesquine, marque d’un petit esprit, et je propose au contraire de la grandeur : il s’agit bien au contraire d’aider nos jeunes amis d’aller plus vite que nous-mêmes, de leur éviter de longues recherches, très artisanales et pas toujours couronnées de succès, de leur mettre à disposition des documents qui les aideront à nous dépasser en se lançant dans des travaux que nous n’avons pas pu faire, faute d’avoir d’avoir nous-mêmes disposé des informations nécessaires sur notre pratique, sur ce qui nous a imposé d’y passer un temps pris à la recherche proprement dite.

Pour la stratégie comme pour la tactique, je soutiens qu’il y a une possibilité collective de recueillir et de comparer les pratiques. Bien sûr, un minimum d’intelligence, et je le répète, de grandeur, sont nécessaires pour ces comparaisons, et l’on sait combien il y a lieu d’être prudent, tant une méthode utile dans un cas ne l’est pas dans un autre. La recherche scientifique est une activité subtile qui nous invite à la plus grande circonspection.

Mais il faut être prudent et non point timide, et, en tout cas, cela ne nuira à personne de mettre à la disposition de tous des idées que chacun aura le loisir, la liberté, de mettre en œuvre, ou non, selon les circonstances de la recherche. Oui, je crois que la recherche scientifique, longtemps considérée comme une sorte de compagnonnage un peu artisanal, un peu conjoncturel, très contingent, mérite que nous ayons une réflexion collective, afin d’aider nos jeunes collègues et de nous-mêmes.

D’ailleurs, pour terminer sur une exégèse de cette dernière phrase, je propose de ne pas oublier la réponse que fit Frère Jean des Entommeures à Gargantua : « Comment pourrais je gouverner autruy moi qui ne me dirige pas moi-même ? »

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