Depuis les années 2010, la prise de conscience de l’importance de la durabilité s’est accrue de manière significative, conduisant à la création en 2015 des objectifs de développement durable (ODD) par les Nations unies. Ces 17 ODD visent à relever les défis mondiaux, tels que la pauvreté, la faim, la santé, l’éducation, l’égalité des genres, l’eau, l’énergie, le travail, la croissance économique, l’industrie, les inégalités, les villes durables, la consommation responsable, le climat, l’environnement, la justice et la paix et les partenariats mondiaux. Ces objectifs doivent être atteints d’ici à 2030, soit dans environ six ans.
S’intéressant principalement aux entreprises, de nombreuses études (Heras-Saizarbitoria et coll., 2022 ; van der Waal et coll., 2021) ont émergé ces dernières années pour analyser l’engagement de celles-ci envers les ODD. Cependant, il est frappant de constater que très peu de ces études se sont penchées sur le secteur financier, et, plus encore, sur le rôle spécifique des bourses de valeurs. Pourtant, ces dernières ont une responsabilité croissante dans le développement d’un système financier véritablement durable.
En effet, les bourses jouent un rôle clé dans la redistribution de la richesse en facilitant les échanges d’instruments financiers tels que les dettes, les actions et les devises entre différents intermédiaires. Elles sont aussi à l’origine de l’innovation en matière de produits financiers, notamment avec le développement d’obligations vertes et d’obligations à impact social. Ainsi, il est reconnu aujourd’hui que ces bourses favorisent la transition vers une économie durable grâce à ces nouveaux produits financiers. Néanmoins, il serait bénéfique d’approfondir l’analyse de leur contribution réelle à la durabilité et à l’atteinte des ODD, au-delà de leur rôle traditionnel de principaux fournisseurs de produits financiers.
Promotion de pratiques durables
Depuis une quinzaine d’années, le secteur boursier déploie des efforts croissants pour promouvoir des pratiques durables. À titre d’exemple, en 2010, la Sustainable Stock Exchanges Initiative (SSE Initiative) a été lancée en partenariat avec les Nations unies pour fournir une plate-forme mondiale. Cette initiative permet d’explorer comment les bourses, en collaboration avec leurs différentes parties prenantes, peuvent améliorer les performances sur les questions ESG (environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise) et encourager l’investissement durable, incluant le financement des ODD. Les actions de la SSE Initiative se concentrent particulièrement sur six des 17 ODD : l’égalité des genres (ODD 5), le travail décent et la croissance économique (ODD8), la réduction des inégalités (ODD 10), la consommation et la production responsables (ODD 12), les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques (ODD 13) et les partenariats pour la réalisation des objectifs (ODD 17).
En parallèle, la World Federation of Exchanges (WFE) a lancé en 2014 un groupe de travail sur la durabilité, incitant les bourses à un plus grand engagement. Dans un rapport de 2018 (WFE Sustainability Principles-https://www.world-exchanges.org/our-work/articles/wfe-sustainability-principles), la fédération identifie cinq principes facilitant l’atteinte des ODD : l’éducation des investisseurs, des émetteurs et des participants au marché, la promotion d’une meilleure disponibilité des informations ESG, l’incitation des parties prenantes à faire progresser l’agenda de la finance durable, le soutien aux marchés et produits favorisant la finance durable, et l’intégration de la durabilité dans la gouvernance, la stratégie et les structures d’organisation internes.
Des actions collectives et individuelles
Pour affirmer l’engagement des bourses membres envers certains ODD et les rallier à ces causes, la WFE et la SSE Initiatives ont organisé une série d’événements annuels. Parmi eux, « Ring the Bell for Gender Equality », lancé en 2015, vise à sensibiliser sur le rôle et les opportunités du secteur privé pour faire promouvoir l’égalité des sexes. De plus, en 2019, l’événement « Ring the Bell for Financial Literacy » a été instauré pour améliorer l’éducation et la culture financières, renforçant ainsi la protection des investisseurs.
Ces initiatives ont agi comme des catalyseurs, incitant les bourses à redoubler d’efforts pour atteindre les ODD et renforcer ainsi leur engagement en faveur de la durabilité.
Pour identifier les pratiques déployées par les bourses dans le monde, nous avons analysé diverses sources de données, incluant les sites web des bourses, leurs rapports annuels, leurs rapports de durabilité et de RSE, ainsi que les rapports publiés par la WFE et SSE Initiatives. Notre échantillon est composé de 85 entités boursières aux caractéristiques très hétérogènes (taille, âge, croissance, etc.). Parmi ces bourses, 79 sont partenaires de SSE Initiatives et 54 membres de la WFE. Les conclusions de l’étude, publiées en 2023 dans la revue International Journal of Sustainable Development, montrent que les efforts des bourses couvrent l’ensemble des 17 ODD, allant au-delà des six ODD initialement identifiés par SSE Initiatives.
Des actions diversifiées en faveur des 17 ODD
Par exemple, pour réduire la pauvreté (ODD1), la Bourse brésilienne a financé un centre culturel dans un des quartiers les plus pauvres de Sao Paulo, tandis que la Bourse nigérienne a financé un centre de cancérologie mobile, améliorant ainsi la santé et le bien-être (ODD 3). En matière d’éducation (ODD4), les efforts vont du financement d’écoles rurales (Bourse de Casablanca) à l’amélioration du niveau d’éducation financière (Bourse de Malaisie, Bourse d’Allemagne, Bourse de Botswana) ou de l’éducation axée sur la finance durable (Bourse de Luxembourg, Bourse d’Égypte). Ces efforts contribuent à créer une culture de durabilité dans le secteur financier, qui peut avoir des effets d’entraînement positifs sur l’ensemble de l’économie.
Les Bourses œuvrent aussi pour réduire les inégalités de genre, soutenant des associations et programmes promouvant l’égalité (Bourse de Lima) ou encouragent les entreprises cotées à s’engager dans ce type d’actions (La Bourse de Lima). D’autres Bourses ont mis en place des actions internes pour favoriser la promotion de carrière des femmes (Bourse d’Allemagne). Concernant l’ODD 8, la Bourse d’Australie a développé un programme de carrière à tous les niveaux pour aider les collaborateurs à évoluer.
Pour la protection de l’environnement (ODD 13, ODD 14 et ODD 15), des produits financiers à impact environnemental ont été développés (Euronext, Bourse d’Allemagne) ainsi que des actions de sensibilisation (Bourse de Malaisie, Bourse de Luxembourg). Par exemple, la création de produits financiers verts comme les obligations vertes finance la transition énergétique et contribue à la lutte contre le changement climatique.
Des efforts limités mais significatifs
Malgré les possibilités qu’ont les Bourses de répondre aux 17 ODD, nos résultats montrent qu’il y a très peu d’initiatives pour répondre aux besoins sociétaux tels que la réduction de la pauvreté (ODD1), la famine (ODD 2), et l’accès à l’eau et l’assainissement (ODD 6).
Nos résultats confirment également que les bourses représentent une institution financière particulière, capable de prendre des actions internes et externes. Par exemple, pour l’ODD 16, les bourses peuvent inciter les entreprises cotées à améliorer leur gouvernance au niveau externe, et entreprendre divers dispositifs internes pour améliorer leurs propres pratiques de gouvernance.
Nos résultats mettent aussi en lumière les efforts des bourses pour contribuer à un monde plus durable, mais montrent que ces initiatives ne sont pas purement philanthropiques. Un grand nombre d’entre elles permettent aux bourses de créer de la valeur. Les produits durables tels que les obligations vertes et socialement durables attirent de nouveaux investisseurs et augmentent leur performance.
Vers un avenir durable : le rôle des bourses
Notre étude révèle aussi de fortes disparités dans les pratiques des bourses, pouvant s’expliquer par différents facteurs tels que leur taille, leur politique de gouvernance et les politiques nationales respectives. Ces disparités s’expliqueraient aussi par la nature volontaire de l’engagement durable et l’absence d’un cadre réglementaire pouvant accompagner la transition. Nos résultats laissent ainsi suggérer que la collaboration entre les bourses et les régulateurs joue un rôle essentiel pour renforcer la durabilité.
Les résultats de l’étude montrent de manière claire qu’un nombre croissant de bourses s’est approprié la problématique des ODD et commence à instaurer des pratiques visant à les atteindre. Ainsi, les bourses se positionnent de plus en plus pour jouer un rôle essentiel dans la transition globale vers une économie plus durable. Cette évolution ne se limite pas à des initiatives isolées, mais représente une tendance marquée par des efforts concertés et systématiques.
En poursuivant leur collaboration avec les organismes de réglementation, en favorisant la transparence, en promouvant des pratiques responsables tant internes qu’externes, et en offrant des produits financiers à impact environnemental et sociétal, les bourses pourront contribuer de manière significative à la construction d’un avenir plus durable. Il est donc crucial qu’elles poursuivent leur évolution, leur innovation et leur adaptation aux défis et aux opportunités de la durabilité.