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Tête d’insecte du nouvel ordre Permopsocida. Nature.com, Author provided

Les charmes discrets des insectes fossiles

Il y a 99 millions d'années, dans ce qui est aujourd'hui la Birmanie, une grenouille se préparait à faire son repas d'un scarabée. Las ! Les deux animaux ont été engloutis, englués dans une résine : le morceau d'ambre qui en a résulté vient d'être analysé par des chercheurs américains. Une belle et rare découverte qui nous offre l'occasion de lever le voile sur des pans entiers de l'histoire de la vie.

En particulier, en observant les insectes emprisonnés dans l'ambre. Ils représentent en effet l’essentiel de la biodiversité de notre planète. Les conditions de leur émergence, leur origine profonde et leur évolution sont véritablement informatives pour comprendre le fonctionnement actuel des écosystèmes, tout autant que leur devenir. C’est dans ce contexte que notre équipe de l’Institut de Systématique Evolution Biodiversité, pilote d’une collaboration internationale (Chine, Liban, Allemagne, USA, Tchéquie, Russie), vient de décrire un nouvel ordre d’insectes, les Permopsocida, à partir d’extraordinaires fossiles dans l’ambre de Birmanie datant du Crétacé.

La compréhension de cette mégabiodiversité, des centaines de milliers d’espèces d’insectes, ne peut plus se faire sans que l’on étudie de près l’évolution de ses compartiments les plus importants.

Des fossiles peu prisés… à tort

Les insectes fossiles sont plutôt négligés dans les études paléontologiques. Souvent considérés à tort comme moins fiables et informatifs que les fossiles des sédiments marins, difficiles à étudier, peu nombreux, mal conservés. Ces fossiles se retrouvent dans des sédiments d’origines continentales, plus rarement d’origine marine ou alors correspondant à des sédimentations littorales. Ils sont souvent associés à des végétaux fossiles qui aident à renseigner sur les paléoenvironnements.

C’est une source maintenant reconnue en biologie évolutive, grâce aux efforts de quelques scientifiques qui les traquent sur tous les continents et à travers la découverte de gisements exceptionnels. L’application de techniques sophistiquées sur les nouveaux gisements ou les fossiles historiques des collections de paléontologie qui en possèdent est également un facteur d’intérêt supplémentaire pour un regain d’intérêt vers les insectes fossiles et leur intégration dans les reconstitutions paléo environnementales.

Les fossiles d’insectes servent également à calibrer l’apparition de lignées évolutives dans les travaux de phylogénie moléculaire (destinés à en savoir plus sur les liens de parenté entre les êtres vivants) et sont donc de plus en plus précieux. Où les trouve-t-on ? Parmi les plus remarquables, dans les gisements d’ambre, cette résine fossile, qui contiennent des inclusions très bien conservées. Ce sont des sources d’informations exceptionnelles, grâce à l’utilisation de techniques comme la tomographie à rayons X. Les reconstitutions virtuelles 3D qu’elles permettent, avec de nombreuses autres techniques d’imagerie associées, quelquefois de véritables dissections virtuelles, sont des avancées notables et nécessaires pour comprendre la mise en place des organismes les plus diversifiés de la planète que sont les insectes, avec au jour d’aujourd’hui près de 1,5 million d’espèces décrites.

Anciennes lignées

La complexité de l’histoire évolutive des insectes est à rechercher dans l’ancienneté de leurs lignées qui remontent aux temps profonds du Paléozoïque, avec une origine probable au Silurien (-450-420 millions d’années), à partir de lignées de crustacés aquatiques. La plupart des ordres actuels (une trentaine) étaient déjà en place à la fin du Carbonifère et quelques un sont éteints entre la fin du Permien (il y a 250 millions d’années) et la crise dite “K-T” (fin du Crétacé, il y a 65 millions d’années). La découverte d’un nouvel ordre d’insectes est toujours un événement. Elle permet en général de répondre à des questions phylogénétiques avec des implications évolutives importantes.

Le mystère des Hémiptères élucidé

Les Hémiptères (punaises, pucerons, cigales, mais aussi cochenilles et aleurodes) sont l’un des grands ordres composant la mégadiversité des insectes avec près de 100 000 espèces décrites, dont certaines déprédatrices ou auxiliaires de cultures, ou encore d’intérêt médical. De nombreuses espèces sont des vecteurs de maladies pour les plantes, les animaux et l’homme.

Les premiers Hémiptères connus remontent au Carbonifère moyen, vers 330 millions d’années. Le succès de leur biodiversité depuis cette époque est expliqué par la transformation des pièces buccales de ces insectes vers une configuration unique dans le règne animal qui leur permet de percer les téguments (enveloppe externe) des végétaux ou de proies afin d’en aspirer les sucs nutritifs à l’aide d’un rostre (partie buccale modifiée pour percer et aspirer) articulé.

Reconstitution des insectes du nouvel ordre, autour de moins 100 millions d’années. Les fleurs butinées sont des nyssaceae. Nature Scientific Reports, Author provided

L’apparition de ces pièces buccales d’un type si particulier a toujours été l’un des mystères de l’évolution des insectes. Notamment parce que l’on n’a pas trouvé d’organismes intermédiaires entre les Hémiptères et ceux de groupes proches comme les psoques (Psocoptères) ou les thrips (Thripida). Du coup, il n’était pas possible d’établir un scénario évolutif cohérent.

Notre équipe avec une collaboration internationale apporte du nouveau. Nous venons de décrire un nouvel ordre d’insectes, les Permopsocida, basé sur l’examen d’extraordinaires fossiles dans l’ambre Crétacé de Birmanie, qui permet de comprendre l’évolution de ces insectes.

Le nouvel ordre décrit a eu des représentants connus entre le Permien (-270 millions d’années) et le Crétacé moyen (-90 millions d’années), soit pendant plus de 180 millions d’années. Seuls les insectes représentants du Crétacé, connus grâce aux inclusions dans l’ambre, ont permis de résoudre cette énigme phylogénétique grâce à des pièces buccales parfaitement conservées. En effet, la plupart des insectes fossiles ne sont connus que par leurs ailes, imprimées dans des sédiments, dont les caractères morphologiques permettent des reconstructions phylogénétiques partielles, sans pouvoir apporter des informations paléo biologiques très précises sur leur mode de vie. C’était là une unique occasion d’en savoir plus, car ce nouvel ordre d’insectes n’a pas de représentants actuels connus : il est donc considéré comme éteint.

Ambre fossile et nouvelles technologies

Inclusion dans l’ambre. Nature Scientific Reports, Author provided

C’est donc grâce à la qualité exceptionnelle des inclusions dans l’ambre de ce gisement qu’il a été possible de reconstruire la morphologie de ces organismes, notamment en utilisant la reconstruction en 3D et une technique originale d’extraction du contenu de l’estomac de ces fossiles a permis de connaître leur régime alimentaire. Ces insectes étaient des consommateurs de pollen d’angiospermes, qui étaient des végétaux en train de devenir dominants au milieu du Crétacé.

Ces reconstructions sont rendues possibles par l’application de méthodes d’imagerie qui impliquent des équipements comme les synchrotrons (accélérateurs de particules circulaires). Ces équipements génèrent de la lumière aux caractéristiques multiples qui sont utilisées pour analyser des échantillons de toute nature. Les inclusions paléontologiques dans l’ambre, quelquefois totalement opaques, constituent une cible de choix pour ces grands équipements qui en révèlent les secrets les plus intimes.

Cette découverte sur l’origine des Hémiptères permet de mieux comprendre la dominance de ces insectes dans la biodiversité passée et actuelle, et à travers eux, de l’ensemble des insectes dans les écosystèmes actuels.

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