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Les colonies de vacances seraient-elles vraiment devenues du tourisme ?!

Maison de Courcelles. SandMulas/Maison de Courcelles

La Direction générale des entreprises (DGE) a transposé une directive européenne, dite directive « Travel », en droit français. Celle-ci vise à protéger les consommateurs de voyages touristiques contre un certain nombre de risques.

Des voyages touristiques ? Mais que viennent donc faire les colonies de vacances, les camps scouts et les classes de découvertes dans cette transposition ? Le choix surprenant de considérer ces organisations dans le cadre du déplacement de personnes qui contractualisent avec un organisateur a pourtant bien été pris, pour une considération touristique et commerciale de l’activité, du loisir, des vacances.

La question de la justesse de considérer les camps, colonies de vacances et classes de découvertes comme des activités commerciales, touristiques, concurrentielles et contractualisables mérite d’être posée. Ce qui peut paraître évident à une direction administrative du ministère de l’Économie et des Finances saisit le champ de l’animation par sa vision biaisée et politiquement orientée, balayant l’histoire avec froideur, reniant le caractère propre de telles organisations, qui ne sont pas et n’ont jamais été une activité touristique.

Un retour sur l’histoire des finalités de ces actions montre que la directive Travel est le dernier avatar d’une longue évolution libérale. L’origine des colos, traditionnellement citée, remonte à 1876 et à la première ferien-kolinie organisée en Suisse par le pasteur Bion. Des voyages scolaires étaient organisés bien avant cela, notamment par Don Bosco et les camps organisés par les patronages. Dès le départ, classes de découvertes, patronages et colonies de vacances sont liés.

Scouts EEUDF 1947. Eclaireuses Eclaireurs Unioniste de France

Le scoutisme naît en 1907 alors que les colonies de vacances et les patronages existent déjà. Il s’inscrit dans les mêmes finalités : le sanitaire et social. Ces organisateurs et ces mouvements cherchent à former des enfants en bonne santé, physiquement forts, intellectuellement développés et spirituellement bons. Colonies et camps cherchent à former les bons républicains ou chrétiens de demain : les dimensions politiques et religieuses sont fortes.

Dès les années 30, la dimension éducative des centres de vacances se développe. En France, scouts laïques, Éducation nouvelle, syndicat national des instituteurs et organisateurs de colonies de vacances (notamment G. de Failly et son association Hygiène pour l’Exemple) vont construire des stages de formations de moniteurs de colonies de vacances, ancêtres du BAFA et aux origines de la création des CEMEA.

Colonies H. Dunant de la Croix-Rouge à Pragnères (65). collection privée J-M Bocquet, Author provided

Les chrétiens font de même, construisent leur pédagogie sur le même modèle. Comme les républicains, les chrétiens utilisent leurs bâtiments scolaires pendant l’été pour organiser des colonies de vacances. Dès l’après-guerre, la finalité éducative des colonies de vacances et des camps scouts est assez clairement affichée et précisée. Tout ce qui peut se faire dans une colo ou un camp est présenté comme éducatif : vivre en collectivité, faire du sport, dessiner, construire, chanter, danser, etc. Aujourd’hui encore, l’argument avancé pour justifier de l’existence des colos et des mouvements de jeunesse est de dire qu’ils sont éducatifs, comme pour affirmer le sens de ces actions.

Quels sont les liens qui unissent ou distinguent les colonies de vacances, les camps scouts, les classes de découvertes et les activités touristiques ? Pourquoi chercher à y intégrer ces œuvres sociales, agissant dans l’intérêt général et assigner ces formes de séjours au marché et au tourisme ?

La directive Travel

Pour la protection des consommateurs, la Commission européenne a adopté la directive n°2015/2302 du 25 novembre 2015, laquelle concerne les voyages à forfait et les prestations de voyage. Si la transposition de celle-ci en droit français au 31 décembre 2017 a bien respecté les délais prévus, nombre d’acteurs du champ de l’animation et de l’éducation tombent des nues alors qu’ils découvrent que cette transposition s’applique aux accueils collectifs de mineurs et aux classes de découvertes, pour aller bien au-delà des activités de tourisme.

Cette opération s’est déroulée sans une réelle concertation des acteurs du champ, dans une urgence apparente mais en toute discrétion. La transposition risque fort de signer l’arrêt de mort de nombreuses associations organisatrices, lesquelles avaient déjà du mal à survivre dans un univers fortement concurrentiel. C’est aussi et surtout l’idée de colos différentes qui est mise en péril.

Pourquoi ça ne colle pas avec le tourisme ?

Les liens entre tourisme et colonie de vacances ont toujours été ténus, mais jamais les colonies de vacances ne sont tombées à pieds joints dans le tourisme. Plusieurs éléments permettent de comprendre cela. Le tourisme et les colonies de vacances furent tous deux l’apanage de la noblesse puis de la bourgeoisie. Le tourisme s’organise en industrie dès le XIXe siècle pour occuper le temps libre des bourgeois, par les bourgeois, pour les bourgeois. Le thermalisme en est, d’ailleurs, un très bon exemple.

Mondrepuis : Carte Postale, Colonie de Vacances Pro Vita. Collection privée JM Bocquet, Author provided

Les colonies de vacances, quant à elle, organisent le temps des enfants pauvres ou d’ouvriers par la bourgeoisie pour les rendre plus forts et plus sains, pour qu’ils deviennent les bons ouvriers de demain. L’hygiénisme domine, souvent dans la charité. Ce qui distingue tourisme et colonie de vacances, c’est la finalité et le public concerné. Ce qui les rapproche se révèle être le déplacement et l’utilisation du temps libre. Au tourisme, la forme industrielle et aux colonies de vacances, la forme désintéressée, l’association.

À des fins politiques et sociétales, l’État a organisé la question de l’enfance et de la jeunesse. Les colonies de vacances sont progressivement devenues un puissant outil de politiques publiques : amélioration de l’état sanitaire (année 20), occupation du temps libéré, endoctrinement (sous Vichy), construction des élites (entre-deux-guerres), accès à la culture, aux loisirs (année 70), éloignement des quartiers (année 80) ou tentative de mixité (CIEC 2015). Mais l’État et les collectivités ont aussi utilisé les colonies de vacances comme outil de développement du tourisme : dans les années 60 un grand nombre de bâtiments de colonies de vacances sont construits en même temps que les stations balnéaires de bord de mer.

Dans les années 70, puis 80, c’est au tour des Alpes de voir le nombre de colonies de vacances se développer, comme si, maintenant que les stations sont construites, il fallait utiliser les colonies de vacances pour faire tourner le business. On retrouve cette même idée dans le plan montagne de la région Auvergne-Rhone-Alpes de 2017-2018, pour lequel un investissement est prévu pour mettre aux normes les bâtiments de colos, après avoir massivement investi dans les structures de ski. Les enfants en colos serait-il l’élément permettant de rentabiliser les investissements dans les infrastructures ? En cela, aménagement du territoire, tourisme et colos sont liés.

Activités d’éveil. Evasoleil

Les associations organisatrices flirtent, elles aussi, avec le tourisme et ses formes : gamme de séjours, prestations, activités, forfaits, et thématiques. La Ligue de l’Enseignement créa un opérateur de voyage et de séjour agréé en 1993 (Vacances Pour Tous Internationnal), l’UFCV a fait de même dans les années 80 avant faillite. La Fédération Léo Lagrange fut créée dans les années 50 par Pierre Mauroy en adaptant les jeunesses socialistes à la société du loisir. Les associations structurent leur catalogue de vente, segmentent les publics, développent l’offre et ajoutent même des options de voyage ou d’hébergement. Les rapports commerciaux changent, on passe d’une organisation en interne (comme les communes ou les associations pour leurs membres) à une vente par catalogue ou site Internet. On choisit une colo comme on choisit un hôtel. Il existe même des ventes privées de séjour.

Maison de Courcelles. SandMulas, Author provided

Parmi les conséquences de ces évolutions ? Le nombre d’enfants baisse toujours un peu plus, il y a de moins en moins de classes moyennes qui partent en colo, les pauvres ne partent qu’entre eux. Les publics ne se mélangent plus, les mixités sont quasi-inexistantes.

Les colonies de vacances et les classes de découvertes : est-ce vraiment du tourisme ? À moins d’agiter des définitions nouvelles, émancipatrices du tourisme, comme un « tourisme transformationnel » qui ferait mieux avaler la pilule de cette transposition, cela n’est pas le cas. Serait-ce bien des transformations des enfants et des jeunes par l’industrie du tourisme que l’on nous propose indirectement ? Accepter cette transposition revient à accepter la fermeture d’associations qui organisent des séjours à des fins non commerciales, dont les modèles ne sauraient limiter les enfants à des programmes préétablis, aux risques préquantifiés. Le champ de l’animation risque d’en être non pas bouleversé mais annihilé, avec des catégories d’enfants qui n’auront plus accès aux vacances. Ce choix de société vers lequel nous semblons fatalement entraînés va au-delà de la pensée des colonies de vacances. Les conditions privilégiées d’existence sont d’une part accordées aux « gros » acteurs et aux marchands pour, d’autre part, une rationalisation, de plus en plus anticipée, des risques et donc des activités.

Colo et tourisme vivent donc une longue histoire d’attirance et de rejet : amour contrarié et amitié qui ne colle pas.

Scouts EEUDF 2017 : du tourisme ? Eclaireuses Eclaireurs Unioniste de France

Pourquoi la transposition de la directive Travel est-elle dangereuse ?

Que va entraîner cette intégration définitive et imminente des colonies de vacances dans l’industrie touristique ? Évidemment la disparition des petites associations à la faveur d’un mastodonte généré par les fusions-acquisitions, la disparition des valeurs de partage et de faire-ensemble des colonies de vacances au profit d’apports individuels éducatifs contractualisables (autrement appelés compétences) et, enfin, la réduction de toutes activités de temps libre à une activité de divertissement, utilitariste, pensée par des industriels.

C’est, là comme ailleurs, la disparition d’un outil de politiques publiques permettant d’aménager le territoire, de construire des mixités, de travailler sur le rythme de vie des enfants et de leurs parents ou de penser une société du care et de la paix.

C’est aussi, et définitivement, placer la question économique au-dessus de la question éducative, c’est officialiser que les colonies de vacances et les classes de découvertes relèvent de la Direction générale des entreprises et non plus d’une direction spécifique au sein d’un ministère dédié.

Progressivement, au cours des trente dernières années, les organisateurs de colonies de vacances et de classes de découvertes ont glissé vers le tourisme, tant dans la forme que dans le contenu des séjours proposés. Soit, ils sont devenus de plus en plus gros, à l’image de l’UCPA, qui devient aujourd’hui le principal opérateur du secteur en rachetant une agence de voyages pour mineurs, soit ils ont dû mal à survivre à la concurrence. Certains ont disparu.

Ce ne sont pas les gros opérateurs qui souffriront de la directive Travel mais les petits qui essaient de donner sens à leur action, qui survivent dans un paysage concurrentiel. Les gros, quant à eux, à l’image du tourisme du XIXe siècle, sont les bourgeois qui travaillent pour et par les bourgeois, en utilisant les avantages des solidarités : le CEE, les prix de groupe de la SNCF, le BAFA, et les aides publiques.

Que font les ministères concernés ? La transposition de la directive Travel qui est proposée n’est ni acceptable, ni acceptée. Les envies nouvelles et les actions qui viseraient à la revisiter commencent à se faire entendre, afin que les Accueils collectifs de mineurs (ACM) et les classes de découvertes soient exclus de cette directive. Pourquoi ne pas s’appuyer sur l’histoire et les acteurs du champ ? En contrepartie, pourquoi les réactions d’organismes reconnus ou de leurs représentants semblent-elles tamisées, tâtonnantes, puisqu’elles ne sont pas publiques ? Non-connaissance du sujet ? Non concernés ? Craintes de briser une diplomatie et des acquis ?

Maison de Courcelles. SandMulas

Un élan contre cette transposition

Les colonies de vacances et les classes de découvertes restent un objet sensible dans le cœur des français. Elles ont été des lieux de plaisir, de camaraderie, de vie collective et d’expérimentation, même si elles ont aussi été, pour certains, des lieux détestés.

Dans une dynamique difficile, les colonies de vacances doivent-elles être jetées dans une poubelle comme d’autres objets désuets ? Ne peut-on pas les considérer avec soin, les réparer, les transformer sans les dénaturer, les repenser dans le cadre d’une économie circulaire ou travailler sur le sens à travers des recherches à différentes échelles ? La mise en concurrence, avec des objets rapides et déshumanisés et dans un modèle économique libéral, est-elle fatale ? Politiquement, nos enfants ont toujours besoin de prendre du temps et de (re)construire un rapport à la nature. Les colonies, camps et classe de demain, s’ils existent hors du tourisme, peuvent être ce lieu de découverte et de rencontre.

Ajoutons que d’autres pays européens, qui n’ont pas de dispositif similaire aux colonies de vacances mais des mouvements de jeunesse, appliquent cette directive uniquement aux agences de voyages… Dans les pays européens, le tourisme est représenté par les voyages à forfait, organisés par des tour-opérateurs, et qui ont peu à voir avec une certaine idée des colos, du scoutisme et des classes de découvertes !

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