Il y a quelques mois, la ministre de la Culture Rachida Dati lançait le « printemps de la ruralité », une concertation nationale sur l’offre culturelle en milieu rural. Que nous enseignent les conclusions de cette consultation ? S’agit-il d’un début de reconnaissance et de valorisation des cultures populaires ?
Au cœur de l’été, les conclusions du Printemps de la ruralité lancé par Rachida Dati à son arrivée au ministère de la Culture sont passées relativement inaperçues. Le site du gouvernement expose le projet de la sorte :
« Afin d’être au plus près des réalités du terrain, une consultation nationale en ligne a été menée pendant deux mois auprès des habitants, élus, associations et acteurs culturels. En parallèle, les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC/DAC) ont organisé au sein des territoires des rencontres, des débats et des ateliers autour de la place de la culture en ruralité. »
La consultation qui a duré près de six mois propose finalement quatre axes et 23 mesures, avec, à la clef, une enveloppe de 98 millions d’euros sur trois ans. Si cette enveloppe paraît bien insuffisante pour remplir les ambitions du plan, certaines mesures ne manquent pas d’originalité, voire d’audace, mais posent de nombreuses questions.
Dès sa nomination, la ministre avait déjà créé la polémique en voulant « la réintégration des acteurs de l’éducation populaire au sein du ministère de la Culture ». Rappelons que le divorce entre les réseaux d’éducation populaire et le ministère renvoie à la création de ce dernier en 1959. Elle a scindé le monde culturel français en deux camps porteurs de deux conceptions de la culture qui s’opposent depuis, institutionnellement et idéologiquement.
Rompre avec une politique culturelle élitiste ?
Avec le cantonnement des acteurs de l’éducation populaire dans le giron du ministère de la Jeunesse et des Sports, l’hégémonie du ministère de la Culture n’a fait que se renforcer. Au fil du temps, une politique culturelle élitiste et intellectualiste s’est imposée, reposant sur des principes nobles d’accès « aux grands œuvres de l’humanité » pour tous les Français.
« Venue d’en haut », cette politique des arts, appelée démocratisation culturelle, reste un leitmotiv des institutions du ministère qui ne finance aujourd’hui qu’à la marge des formes culturelles plus proches des Français. Même lorsque, exceptionnellement, ces institutions s’orientent vers les formes populaires, dans le cadre des « droits culturels » par exemple, c’est en général pour mieux se les réapproprier et leur redonner une dimension intellectualiste, ce que les sociologues appellent « l’artification de la culture ».
Alors, la surprise fut grande lorsqu’il apparut que le premier axe des conclusions du Printemps de la ruralité visait à « valoriser la culture et les initiatives locales ». Au-delà de « l’intuition » de la ministre, ce qui apparaîtrait comme une politique de reconnaissance est d’autant plus intéressant qu’elle permettrait de nuancer l’idée que les Français n’ont pas accès à la culture et d’analyser la multitude de formes culturelles en acte dans tous les milieux sociaux, ruraux ou non.
De fait, l’idée que les Français n’ont pas accès à la culture (fondement de la politique de démocratisation) résiste difficilement à l’analyse sociologique. En réalité. Loin d’être éloignés de la culture, les publics qui ne fréquentent pas les institutions ont leurs propres attentes culturelles et leurs pratiques.
Valoriser les initiatives locales pourrait être un premier pas vers la reconnaissance de ces pratiques culturelles de terrain. Surtout, cela permettrait peut-être de prendre en compte une autre manière de « faire culture ». Soutenir des pratiques qui sont culturelles, non parce qu’elles donnent accès aux grandes œuvres valorisées par une élite, mais parce qu’elles permettent une expérience commune hors du commun, faite d’émotion, de plaisir et de fête. Une conception dionysiaque, qui valorise la participation durant les moments culturels, par la danse, le chant, les cris, le faire.
Des conclusions contradictoires
Cependant, au-delà de cette intention originale, les conclusions du rapport conduisent à s’interroger sur la possibilité d’un tel soutien aux initiatives locales. Tout d’abord, parce que si la ministre affirme ne pas apporter par ce plan, « la culture dans la ruralité : elle existe déjà », immédiatement après, elle ajoute que « la culture et l’accès à la culture doivent être […] une politique régalienne. Elle participe à la construction civique et citoyenne des individus. » Noble intention encore, mais contradictoire, qui voit d’un côté, la reconnaissance de ce que font les populations, de l’autre, la poursuite d’une politique d’accès à une culture venue d’en haut pour éduquer des populations rurales en « bons citoyens ».
Interrogations encore, lorsque le plan prévoit que ce soutien passe par la mobilisation des DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) « pour l’accompagnement des porteurs de projet par une ingénierie adaptée ». Si ce point laisse songeur, c’est parce que les DRAC incarnent localement cette culture venue d’en haut et sont souvent les garantes de la qualité artistique telle que définie par les professionnels de la culture institutionnelle.
Sur le terrain, dans les communes, cette vision de la qualité artistique du point de vue institutionnel intéresse peu (rappelons que seul 3 % de la population a un abonnement dans une institution). À de nombreuses reprises, j’ai pu observer des conflits lors des arbitrages de subventions de manifestations culturelles : Ici, une responsable art plastique DRAC mettant son véto si un artiste local était invité parce qu’il n’avait pas assez exposé dans les galeries de renom ; là, un DRAC subventionnant une exposition d’art contemporain au moment où se tenant un festival de musiques country organisé par un comité des fêtes, festival rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes, et dont il ignorait jusqu’à l’existence.
Comités des fêtes contre DRAC, le choc culturel risque d’être rude, les besoins ruraux se situant moins au niveau de l’ingénierie (axe 4 du plan) et de la définition de la qualité artistique, que de banals besoins financiers parfois d’à peine quelques centaines d’euros. De même, lorsque le plan annonce une nouvelle Direction générale des territoires, alors qu’il est plutôt besoin d’une simplification et d’un assouplissement de l’accès aux subventions.
Quant à l’éternelle évocation incantatoire « du maillage culturel territorial » et de la venue des artistes dans les campagnes (axes 2 et 3 du plan) : pour le premier, il est démontré depuis 60 ans que la proximité des équipements culturels n’a jamais effacé la distance sociale qu’ils représentent, et donc qu’elle n’a que peu d’effets sur leur fréquentation. Pour le deuxième, au regard de ce qui vient d’être dit, il apparaît que les artistes, nonobstant tout l’intérêt qu’on peut leur porter, ne constituent pas le cœur des enjeux culturels des mondes ruraux, pas plus que des mondes urbains d’ailleurs.