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Les coopératives énergétiques citoyennes, des modèles originaux pour plus de sobriété ?

A Thal Marmoutier, les panneaux photovoltaïques sont même installés sur le toit de la mairie. Energie partagée

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


Lors de l’interview télévisée du 14 juillet 2022, le président Macron a annoncé un « plan de sobriété énergétique » dans lequel il s’agit de « rentrer collectivement ».

Il y a là une évolution affichée du référentiel du changement socioécologique et de sa gouvernance. Jusqu’alors étaient surtout avancées des adaptations du mix énergétique – moins d’énergies carbonées (pétrole, gaz) ou nucléaire, plus de renouvelables (éolien, photovoltaïque) –, sans remettre en cause le principe de l’abondance énergétique, c’est-à-dire des transactions de continuité.

Les références à la sobriété s’analysent, elles, comme des transactions de rupture : produire et consommer moins. Ceci rappelle la « sobriété heureuse » popularisée par Pierre Rabhi, qui évoque « le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie, [afin de] remettre l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations ».

Avancer le registre de l’exemplarité individuelle

En tant que cheminement maîtrisé – la « planification écologique » posée par le gouvernement Borne –, la transition énergétique peut se lire comme une systématisation des comportements et des actions, du niveau global à la sphère individuelle, jusqu’aux usages quotidiens : ainsi des campagnes visant à promouvoir une douche plutôt qu’un bain, pour économiser l’eau, etc.

Une mise en responsabilité couplée à un registre de l’exemplarité sont ici sous-jacents. Cela conduit à réfléchir à la place des individus dans la transition. Si l’on a pu questionner l’action publique en la matière et interroger l’organisation d’« alternatives » aux grands acteurs et réseaux du secteur, le citoyen lui-même est de plus en plus appelé à agir, et pas seulement les jeunes.

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À chacun de « faire sa part » au quotidien : ce serait une consécration de l’appel du Mouvement Colibris. « On pompe des matériaux, le jour où il n’y aura plus ces matériaux, qu’est-ce qu’on fait ? Moi je crois beaucoup, comme dirait Pierre Rabhi, à la sobriété heureuse », relaye un coopérateur des Centrales villageoises (CV) de Saverne (entretien, 31/03/2020).

Le clubhouse de Saverne. Énergie partagée

Les coopératives énergétiques produisent à partir de sources renouvelables et d’installations décentralisées. Le modèle repose sur une participation économique des membres ou actionnariat citoyen, dans l’objectif d’ouvrir le financement et le pilotage à des acteurs locaux dans un territoire. Tout comme au niveau national où le réseau Énergie partagée et celui des Centrales villageoises datent du début des années 2010, le développement est relativement récent en Alsace : 2010 pour Énergies partagées en Alsace, 2017 pour les CV de Saverne, 2019 pour les CV d’Alsace centrale, etc. Ces initiatives sont lancées le plus souvent à l’intersection entre des citoyens engagés pour la cause écologique, des élus désireux de se positionner localement et des profils d’acteurs professionnels en rapport avec le domaine de l’énergie.

Qu’est-ce qui favorise ou non ces coopératives citoyennes ? Avec quels compromis pratiques ? Dans le cadre du projet européen Interreg RES-TMO et des activités de la chaire européenne Jean Monnet GoInUSE, l’enquête sociologique que nous avons conduite de 2019 à 2022 sur les animateurs et les membres de coopératives énergétiques citoyennes en Alsace dégage quelques pistes.

Individualisation ou gouvernementalité de la transition énergétique ?

Le 2 juillet 2022, 84 patrons français, dont ceux d’Engie, EDF et TotalEnergies, ont publié une tribune appelant à une « sobriété d’urgence face à la flambée des prix de l’énergie » ; des associatifs investis dans la transition écologique ont alors répondu que « si chacun peut faire un geste, la part aisée de la population est la première à pouvoir et devoir agir ». Cet échange met en lumière une double dimension des processus en jeu.

La première renvoie à la « gouvernementalité » comme exercice diffus du pouvoir, explicité par Michel Foucault. Elle s’incarne dans des « écogestes » adressés au citoyen pour produire une forme d’autogouvernement. Un tel discours générique de mise en responsabilité individuelle est repris par certains coopérateurs. Selon un adhérent d’Énergies Partagées en Alsace (EPA), « la structure étatique ne peut pas avoir réponse à tout et elle a montré les limites de ses capacités. […] C’est par le comportement individuel qu’on pourra progresser vers une vie plus acceptable pour tous » (entretien, 15/05/2020).

Cette optique représente un certain déplacement du sens des communs, au-delà de la gestion de ressources. Elle apparaît en effet connectée avec une société de l’information en « accès libre » : « Tout le monde est sur Internet, même les plus anciens. […] La source d’information est là, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas » (entretien, coopérateur EPA, 22/05/2019).

Concrétiser la transition énergétique dans l’épaisseur du social

Or, une seconde perspective a trait à l’épaisseur du social : à la fois les rapports entre sensibilité de principe et passage à l’action effective, et les capacités d’action concrètes au quotidien, qui sont distinctives entre les groupes sociaux.

D’une part, chaque coopérateur met en avant des priorités sur tel ou tel domaine, sans vision panoptique : « Je ne suis pas un écologiste qui vit dans la forêt avec pas de wifi, pas d’électricité. Je fais des choses mais comme un citoyen lambda. Je roule en voiture et aussi en transports en commun. Je vis normalement » (entretien, coopérateur EPA, 25/03/2020). Cette complexité pratique ressort nettement des évocations du compteur Linky – controversé, tant en termes sanitaires que de surveillance à distance. Si l’on entend certaines dénonciations – « Le Linky n’est qu’un agent-espion qui taxera les gens sur leurs futures utilisations électriques » (entretien, coopérateur EPA, 25/04/2019) –, d’autres y trouvent un appui à une consommation raisonnée : « Le Linky, pour le solaire […] c’est indispensable. […] Ça permet de voir si on a fait l’effort et continuer dans une dynamique » (entretien, coopérateur CV de Saverne, 09/04/2020).

Des panneaux installés sur l’église de Boesenbiesen. Google maps

En même temps, la part de la maîtrise technique fait que l’on se sent plus ou moins habilité à s’engager dans un projet. Même cette animatrice des CV de Saverne titulaire d’un doctorat et ancienne adjointe au maire note le verrou de certains aspects techniques : « On parle de stockage, j’ai vu des échanges sur des forums. […] J’ai du mal à m’y intéresser parce qu’on passe un cap dans la spécialisation, dans la compétence. C’est vraiment très très technique » (entretien, CV Saverne, 05/05/2020). Il en va de même de subtilités du tarif de rachat de l’énergie produite, attractif car a priori « garanti » sur 20 ans : toutefois, « l’année dernière, le prix de rachat a baissé. […] Quand on voit les modalités de calcul, c’est des études macro-économiques qu’il faut. […] À l’AG, tout le monde a eu peur, c’est tellement complexe » (entretien, coopératrice CV Saverne, 18/04/2019).

D’autre part, le prix des actions dans les coopératives énergétiques n’est pas neutre. En France, le modèle des CV défend un prix limité en vue d’une démocratisation des renouvelables : « Il y a pas mal de CV qui font leurs parts à partir de 50 € en espérant que ça encourage pas mal de gens à mettre juste un peu d’argent symboliquement, mais qu’ils se sentent engagés » (entretien, président des CV d’Alsace centrale, 03/05/2019). Un autre modèle privilégie un prix plus élevé devant faciliter le financement de projets. Ces choix sont susceptibles d’évoluer et, pour preuve, la coopérative EPA a modifié sa position : « Ça a été voté à la dernière AG, on a considéré que notre objectif était d’avoir de nouveaux coopérateurs, et 500 € c’était un frein pour beaucoup de personnes. […] On essaie d’essaimer » (entretien, membre EPA, 25/03/2020).

Le défi est double : assurer une viabilité financière aux projets sans renforcer les lignes de partage socio-économiques. Une rapide énumération de profils parmi les membres des CV de Saverne et d’EPA est riche de sens : sans surprise si l’on étudie les engagements environnementaux, on dénombre des ingénieurs, des professions du secteur énergétique et des enseignants, actifs ou en retraite, autant de détenteurs d’un capital technique, administratif, économique ou éducatif. Mais il ne faut pas simplifier : il n’y a pas que de tels profils si l’on considère l’ensemble des adhérents et pas uniquement les porteurs. Ainsi de cette étudiante qui a rejoint les CV de Saverne : « J’ai pris une seule action à 100 €, ça reste un budget qui est quand même conséquent, tout le monde n’a pas forcément des ressources » (entretien, 16/04/2020).

In fine, les expériences de coopératives énergétiques citoyennes font ressortir un domaine de validité des voies et des moyens du changement en train de se faire : quels types de transformation et qui y prend part ou non. C’est là une problématique fondamentalement sociale.

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