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A coral reef in the Similan Islands, Thailand. Shutterstock

Les coraux nous parlent, et ils nous en disent beaucoup sur eux

L’océan est un endroit vaste et calme, n’est-ce pas ? Vaste, oui, mais calme ? Pas autant qu’on pourrait le croire…

Mes recherches sur les récifs coralliens m’ont amenée fréquemment à nager au-dessus des coraux et j’ai découvert que lorsque l’on écoute attentivement, de multiples sons se rendent jusqu’à nos oreilles. Il peut y avoir le bruit de petites vagues qui se brisent sur la plage et de débris de corail qui roulent sur le sable quand les vagues se retirent.

Au-delà du bruit de l’eau, il y a des sons plus subtils. Pour certaines personnes, ces faibles bruits ressemblent à un claquement ou un crépitement, comme ce que font les céréales sur lesquelles on verse du lait au déjeuner. Pour d’autres, ils rappellent le son du bacon qui frit.

Quelle que soit l’analogie, ce sont des bruits de récifs naturels, et ces bruits sont une très bonne chose. Si bien, en fait, que nous pourrions utiliser le son des récifs coralliens sains pour améliorer ceux qui sont dégradés et dont le nombre augmente rapidement.

Au cours des trois dernières décennies, la hausse des températures océaniques a soumis les récifs coralliens à un stress considérable. Les événements extrêmes peuvent tuer de grandes portions d’un récif en peu de temps. Par exemple, 29 pour cent des coraux de la Grande Barrière de corail sont morts pendant la vague de chaleur marine de 2016. Il faut parfois de 15 à 25 ans pour qu’un récif se remette d’un épisode de blanchissement.

Les poissons chantent

Les sons qui émanent des récifs coralliens proviennent de toutes sortes de poissons et d’invertébrés. Les poissons des récifs coralliens produisent un large éventail de bruits de basse fréquence, de grognements, de gargouillis et de croassements pendant qu’ils se nourrissent, se battent, se courtisent et s’accouplent. En fait, tout comme les oiseaux, certaines espèces de poissons chantent à l’aube et au crépuscule, et parfois pendant la nuit, en chœurs sous-marins.

Les sons de haute fréquence sont surtout produits par les invertébrés. Parmi eux, les crevettes sont les plus bruyantes. Les crevettes serpentines sont munies d’une griffe élargie qui produit un claquement audible lorsqu’elle est fermée rapidement.

La modeste crevette qui casse. (Shutterstock)

Si vous placiez l’oreille tout à côté du minuscule crustacé, le son pourrait atteindre 190 décibels, plus fort que le bruit du décollage d’un avion à réaction ! Heureusement, personne ne les entendra jamais d’aussi près, car ces crevettes vivent dans les profondeurs des crevasses du corail.

Le son qui séduit les larves

Au début de leur vie, la plupart des animaux des récifs coralliens sont de minuscules larves flottant dans l’eau. Cette période larvaire peut durer de quelques jours à plusieurs semaines, les larves se déplaçant de quelques mètres à des centaines de kilomètres de leur lieu de naissance.

Pour ces animaux qui se dispersent sur de longues distances, la capacité à trouver un nouveau foyer dans l’immensité de l’océan est essentielle. Il y a 30 ans, les scientifiques pensaient que les larves de poissons étaient transportées au gré des courants. Ainsi, s’installer dans un nouveau lieu était en grande partie une question de chance.

Aujourd’hui, nous en savons plus. Les larves de poissons de récif sont capables de voir, entendre et sentir l’habitat du récif, et de nager de manière très efficace vers celui-ci.

Des scientifiques ont immergé des pièges lumineux, conçus pour attraper des larves de poisson attirées par la lumière, munis de haut-parleurs sous-marins qui émettent des sons de récifs, d’autres habitats ou rien du tout. Ils ont camouflé les haut-parleurs avec de petits monticules de roches coralliennes qui émettent des sons ou ont introduit une minuscule larve de poisson dans une chambre avec des enregistrements sonores contrastés, pour voir quel son allait attirer les larves.

Ces études montrent que de nombreux poissons de récif larvaires sont attirés par les sons d’un récif vivant. Les pièges lumineux et les tas de décombres qui émettent des bruits de récif capturent beaucoup plus de larves que lorsqu’il n’y en a pas. Ils capturent également des larves d’un plus grand nombre d’espèces et de familles.

Le bruit de récif peut également repousser certaines larves de poissons, peut-être parce qu’il révèle qu’il y a trop de prédateurs ou trop peu de partenaires potentiels sur le banc. Ces espèces s’installeront alors dans les endroits moins bruyants.

Un indice de santé du récif

Les bruits de récif révèlent beaucoup de choses sur leur état. Les récifs coralliens plus bruyants, dominés par les sons de basse fréquence, sont généralement en bonne santé : ils abritent plus de corail, plus de poissons, plus de grands invertébrés et sont plus complexes sur le plan architectural, comprenant beaucoup de grottes et de crevasses.

En revanche, les récifs coralliens qui émettent plus de bruits de haute fréquence sont généralement en moins bonne santé. Ils contiennent plus de coraux morts, plus d’algues et moins de poissons.

Une murène sort la tête d’un tas de corail mort et blanchi sur un récif tropical endommagé. (Shutterstock)

Les récifs coralliens, qui émettent des sons de haute et de basses fréquences, abritent une plus grande variété d’espèces de poissons. Les récifs des zones marines protégées ont des signatures acoustiques complexes de ce type, tout comme ceux de la Grande Barrière de Corail avant une série de tempêtes et un blanchiment massif des coraux. (Les récifs coralliens australiens dégradés sont maintenant plus silencieux et moins attrayants pour les larves qui cherchent à se fixer).

L’environnement sonore sous-marin est essentiel pour qu’une larve de poisson sache s’il y a un récif corallien à proximité, et si ce récif est un bon endroit pour s’installer. Mais certaines espèces ont une meilleure ouïe que d’autres, et la profondeur et la structure de l’habitat peuvent également modifier la façon dont les sons émanent du récif.

Repeupler les récifs dégradés

Il nous apparaît évident qu’il faut maintenant utiliser ces sons naturels pour attirer les poissons vers les récifs dégradés.

Une expérience récente a montré que cette idée est prometteuse. Deux fois plus de poissons, parmi tous les principaux groupes d’alimentation, se sont installés sur des récifs de corail rubis qui émettaient des sons de récifs sains que sur des récifs similaires mais silencieux. Les récifs sains qui émettent des sons ont également attiré 50 pour cent d’espèces en plus.

Cela suggère que l’enrichissement acoustique pourrait être un nouvel outil puissant pour aider à reconstruire des communautés de poissons sur des récifs coralliens en mauvaise santé. Les auteurs de l'expérience ont averti qu’il doit être utilisé parallèlement à des interventions visant à s’attaquer aux causes du déclin des récifs coralliens, en particulier les changements climatiques.

Sans ces actions simultanées, l’utilisation d’une bande sonore attrayante pour inviter les petits poissons sur des récifs dégradés qui offrent peu de nourriture ou d’abri serait comme faire de la fausse représentation. Et cela ne finit jamais bien pour la partie qui se fait berner.

This article was originally published in English

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